Vaucluse (40,24%), Bouches-du-Rhône (36,85%), Var (43,30 %), Alpes-Maritimes (37,73 %) voire Alpes-de-Haute-Provence (36,30%), les élections européennes ont révélé, et le plus souvent confirmé, l’implantation de l’extrême-droite dans la région Sud. A l’exception des Hautes-Alpes (31,05 %), ces départements ont placé Jordan Bardella largement au-dessus de sa moyenne nationale (31,50 %). La plupart ont ainsi conforté une irréversible hégémonie du Rassemblement National dans au moins quatre de ces départements. Plusieurs facteurs peuvent avoir contribué à cette marée bleue marine, l’Histoire, l’économie, l’immigration ou encore l’insécurité.
L’Histoire rappelle que l’implantation de l’extrême-droite n’est pas récente dans la région. Des grandes cités comme Nice capitale des Alpes-Maritimes ou Toulon préfecture du Var ont été dirigées, il y a trente ans par des édiles du Front National de Jean-Marie Le Pen. On se souvient aussi du couple Mégret qui, à Vitrolles, avait fait main basse sur la ville. Dans le Vaucluse, c’est un autre couple, les Bompard, qui font ou ont fait la loi à Orange et Bollène depuis plus de trois décennies. (Dissident assumé désormais Jacques Bompard est un des fondateurs du FN).
Si le parcours de ces élus a connu des fortunes diverses, leur présence à la tête de ces communes n’a fait que confirmer que cette ultra-droite avait bénéficié d’un terreau historique éminemment favorable. Charles Maurras natif de Martigues, anti-dreyfusard, à la plume aussi talentueuse que vénéneuse trouve désormais sur ces terres, l’écho à ses idées qui allaient du nationalisme le plus exacerbé à l’antisémitisme le plus décomplexé. A Marseille dans les années 30, c’est Simon Sabiani, passé de la gauche au Parti Populaire Français de Doriot et épaulé par la pègre (Spirito et Carbone) qui a failli entraîner la ville sur une route sans retour.
Plus à l’Est, le pays niçois a nourri lui aussi en son sein l’expression de cette violente radicalité avec la Cagoule de sinistre réputation qui fut longtemps très active autour de la Baie des Anges. Mais surtout avec Jean Médecin, maire adulé de 1947 à 1965, (son fils Jacques lui avait succédé) même s’il avait été marqué du sceau de l’infamie pour avoir voté les pleins pouvoirs à Pétain et soutenu un temps Doriot.
L’économie a participé avec ses crises successives à l’effacement des forces traditionnelles de gauche dans la région et a, par effet de bascule, précipité l’implantation de l’extrême-droite. Dans le Var et les Bouches-du-Rhône, les renversements politiques de ville comme La Seyne ou La Ciotat sont une parfaite illustration de cette causalité. La ruine des deux chantiers navals, autrefois fleurons de la Méditerranée, a été fatale au Parti Communiste qui y tenait des citadelles réputées imprenables.
Ailleurs d’autres faillites de l’activité industrielle – on pense aux exploitations minières – ont aggravé là encore la crise politique. Plus récemment le mouvement des gilets jaunes, dont la vigueur a été remarquée dans la plupart des départements de la région, a corroboré l’idée qu’un sentiment généralisé de déclassement avait métastasé une partie significative des citoyens. Cette colère marquée vis-à-vis des pouvoirs publics fédérait bien des maux subits ou ressentis, de l’endettement endémique, à l’abandon des services publics en passant par l’absence de perspectives sociales. Ces électeurs ne trouvaient aucune raison de se réjouir des réussites avérées du tourisme, de l’innovation, de la recherche, de la prospérité des TPE ou PME ou de productions agricoles… ils se sont installés dans un défaitisme récurrent que seul leur bulletin de vote pouvait pour eux atténuer.
L’immigration. La région Sud est depuis la nuit des temps une terre d’accueil, mais elle est aussi une terre de rejet. Des strates successives d’immigrés ont depuis le siècle de l’industrialisation, le XIXe siècle, mesuré combien la misère était aussi pénible sous le soleil que dans les brumes du Nord. Le lexique provençal contient un florilège de mots dégradants qui ont visé tour à tour les Italiens, les Espagnols, les Maghrébins ou encore puisque la liste est sans cesse « enrichie » les Africains… Qu’importe si ces populations honnies ont été chassées de leur sol par la faim ou appelées par les tenants de l’économie coloniale, les industriels à la recherche d’une main d’œuvre bon marché et docile, les agriculteurs consommateurs de saisonniers corvéables et peu coûteux. Reléguées dans les quartiers en déshérence ou abritées dans un habitat indigne, accusées d’avoir des intentions submersives, sommées de s’invisibiliser… ces populations sont désormais associées sans nuance à la délinquance, le crime, l’image dégradée des villes et villages de la région. Le RN en a fait son principal argument de campagne. La droite républicaine lui a emboîté le plus souvent le pas. La gauche républicaine s’est dérobée sur l’obstacle. L’extrême gauche a cru trouver la possibilité de voir émerger là un nouveau prolétariat.
L’insécurité. La consécration de l’info continue par médias ou réseaux sociaux interposés, à l’aube du siècle nouveau, a largement contribué à développer ce qu’on appelle pudiquement « le sentiment d’insécurité ». Il est un peu ce que « la température ressentie » est à la vérité des chiffres météorologiques. Les bilans annuels glaçants qui année après année sont égrainés de villes en territoires renforcent un discours dominant : la société provençale est entraînée irréversiblement dans le cycle infernal de la violence.
L’Histoire régionale du banditisme pour peu qu’on l’explore (Des « Mystères de Marseille » d’Emile Zola à « Marseille Connection » de François Missen) atteste que l’angoisse collective qu’attise volontiers en ces heures la droite et l’extrême droite n’est pas fondée sur une réalité forcément objective. La prostitution, le racket, la drogue ne sont pas des phénomènes contemporains. Leurs racines sont profondes et bien des politiques répressives ou préventives ont échoué à les éradiquer. Des mutations dans cette sphère de l’ombre sont par contre en cours. Les liens qui ont existé dans un passé relativement récent entre cette population marginale et les pouvoirs locaux ont quasiment disparu. Le temps où un maire, un président de département ou un parlementaire invitait à sa table une figure du milieu s’est éloigné. Le fameux « juge de paix » qui régulait les activités criminelles et les cantonnait à des entreprises quasi artisanales est désormais relégué à une muséographie plus ou moins fantasmée. S’est installée une surenchère violente proportionnelle à la masse des profits réalisés par des réseaux internationaux. C’est un puits sans fond qui nourrit des populations paupérisées, abandonnées, aculturées et assignées à résidence. Une aubaine pour ceux qui, à défaut d’apporter des commencements d’analyses sérieuses, en appellent aux solutions sommaires et radicales.
Les quelques jours qui nous séparent du premier et second tour des élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochains déclenchées par Emmanuel Macron, devraient installer un peu plus ces quatre thèmes dans le débat. Les électeurs ne doivent pas s’attendre à des argumentations nuancées.
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