Changement de décor : l’élection législative a totalement bouleversé le paysage politique phocéen. Nous annoncions un bastion du Rassemblement national et malgré les scores des européennes extrêmement favorables, pas un seul des candidats RN des huit circonscriptions de Marseille intramuros n’emporte sa circonscription au premier tour.
Le RN patine face au réveil de la gauche
Dans la périphérie des huit autres circonscriptions, seul Frank Allisio l’emporte au premier tour faisant plus de 60% des voix avec plus de 40 points d’avance sur Maryline Czurka du Nouveau Front populaire. Certes Marignane et Saint-Victoret ont depuis très longtemps des sympathies pour l’extrême droite, mais le maire de Vitrolles Loïc Gachon était manifestement plus que surpris par le score du Rassemblement national dans sa ville. Un score qui rappelle que cette cité fut un temps gérée par le Front national de Bruno Mégret.
Dans les autres circonscriptions le Rassemblement national ne réussit pas à passer au premier tour, même s’il frôle les 50% comme à Arles où Emmanuel Taché de la Pagerie est à 47% face au communiste Nicolas Koukas ou dans le nord du département de Lambesc à Barbentane, où le très discret RN Romain Baubry est à 49,5 %.
Dans la circonscription du pays minier de Gardanne à Meyreuil, qui inclut aussi grâce au génie d’un découpeur de circonscription, Plan de Cuques et Allauch, le député RN qui eut son heure de gloire en étant le doyen de l’Assemblée, José Gonzales échoue de justesse à 48,3 % alors que nombre d’observateurs le voyaient passer au premier tour. Il a pourtant peu de chance de perdre son siège, puisque les reports de voix du candidat NFP – LFI, conseiller municipal de Gardanne d’opposition ne seront pas évidents sur la candidate de la majorité présidentielle Véronique Bourcet-Giner qui fait un bon score sans résider dans la circonscription. Elle est médecin à Calas, dans un univers peu favorable à la majorité présidentielle. Les Républicains qui tiennent pourtant la mairie de Gardanne n’atteignent même pas les 3%.
Dans la 9e circonscription Joëlle Melin plafonne à 45% alors que le candidat de la majorité présidentielle Bertrand Mas-Fraissinet n’aura pas avec ses 18% accès au second tour. Le candidat socialiste Bernard Ougourlou-Oglou avec près de 24% peut mathématiquement l’emporter s’il fédère tout le camp républicain.
Le Rassemblement national là où il fait 45 %, à des chances de gagner des postes de député, mais à cette heure rien n’est écrit.
L’effondrement de la majorité présidentielle
Que les candidats soient issus de la gauche de la droite ou du centre, leur étiquette majorité présidentielle les a desservis. Première victime de ce désamour, Sabrina Roubache Agresti qui malgré son omniprésence avec le projet Marseille en grand et sa captation d’héritage gaudiniste et macronien, ne réussit pas à être en 2e position et a annoncé se retirer pour le second tour. Pascaline Lécorché, chercheuse à la Timone, secrétaire de Place publique, a reçu le soutien marqué de Raphaël Glucksmann. Elle arrive trois points devant la secrétaire d’État Sabrina Roubache et bénéfice de son désistement.
Dans la 8e circonscription Jean-Marc Zulesi est à 18 points du RN, mais il a des réserves avec la gauche, les Verts, les Républicains.
La défaite surprise est celle de Mohamed Laqhila, député Modem, très présent sur le terrain et à l’Assemblée, qui est devancé par le doyen Marc Pena, candidat Front populaire non encarté de 800 voix. En première place figure Hervé Fabre-Aubrespy, qui fit du Ciotti avant Ciotti depuis 10 ans, puisqu’il est d’origine gaulliste, mais il n’atteint même pas les 40 % dans sa circonscription. Mohamed Laqhila subit l’opprobre qui frappe tous les candidats de la majorité présidentielle dans le département. Comme c’est le cas pour une élue avec laquelle il s’est souvent opposé, l’aixoise Anne-Laurence Petel devancée par un revenant du PS, Jean David Ciot qui est en ballotage pour retrouver un mandat à l’Assemblée.
Très clairement dans les Bouches-du-Rhône la majorité présidentielle risque le zéro député. Une situation des plus paradoxales quand le président de la République comme les ministres ont choyé Marseille et sa région avec le plan Marseille en grand et les nombreuses visites censées rétablir la sécurité, soutenir des projets, Investir dans le territoire
Les gauches en bonne position
Les gagnants apparents sont à gauche. Apparents, car singulièrement divisés. L’étiquette Nouveau front populaire ne doit pas camoufler des différences radicales de personnalités qui sont présentées aux électeurs.
Dans l’étang de Berre, à Martiques, le communiste d’ouverture Pierre Dharréville aborde une situation délicate avec un score de 36 % peu négligeable et un renfort possible de Lila Lokmane, majorité présidentielle, qui a rassemblé 7 219 électeurs soit 12,3 %. Dans un communiqué elle déclare : “Notre maison à tous, La République, brûle. Face au RN, on ne transige pas, on ne réfléchit pas. Il n’y a pas de compromis, pas d’hésitation à avoir. C’est donc sans condition aucune que
j’apporte tout mon soutien à Pierre Dharréville pour battre l’extrême droite, dimanche 7 juillet prochain. L’heure est à l’union et au rassemblement de toutes les forces républicaines et de progrès. Nous devons tous entrer en résistance et dresser le plus haut front républicain pour le second tour : pas une voix ne doit aller au Rassemblement National !”. Le député sortant a des troupes motivées, mais il faudra qu’il aille chercher plus loin pour dépasser les 47,5 % du RN, Emmanuel Fouquart.
À Marseille les deux gagnants LFI sont les sortants sans conteste qui emportent haut la main leurs deux circonscriptions. Dans le centre-ville, Manuel Bompard fait un carton à 67,5 %. Malika Torchi, conducteur de tram, mère célibataire qui représentait la majorité présidentielle sauve 10% du scrutin dans un secteur, où il ne se fait pas bon défendre le gouvernement. Dans la 7e circonscription, Sébastien Delogu emporte presque 60 % des suffrages d’électeurs, plutôt séduits par son comportement charismatique et provocateur.
La division des candidats venus de la France insoumise dans la 5e circonscription (4e et 5e arrondissement) s’est soldée par la victoire au finish de Hendrick Davi, le dissident qui devance le candidat officiel mélenchoniste Allan Popelard de 200 voix. Leur total aurait permis de gagner au premier tour sur le Rassemblement national, Frank Liquori qui ne fait que 25,8 % des voix.
Des sociaux-démocrates et des écologistes en bonne posture
Restent les postes, qui à vrai dire étaient des circonscriptions désespérées, qui ont été attribués aux socialistes et aux écologistes.
Laurent Lhardit dépasse Claire Pitollat, la députée sortante majorité présidentielle de 900 voix. La députée paie une présence évanescente sur le terrain et peu visible à l’assemblée. Laurent Lhardit, un social-démocrate revendiqué, qui a reçu le soutien de Raphaël Glucksmann va affronter le RN Olivier Rioult qui n’a fait que 32 % des suffrages. L’adjoint à l’Economie du Printemps marseillais se trouve donc en bonne position, si les voix de Claire Pitollat ou Laure-Agnès Caradec (8,7%) forment un front républicain.
Christine Juste, candidate écologiste, ne se présentait pas dans son territoire habituel. Et pourtant, elle réussit à être deuxième avec plus de 28% des voix à 10 points du RN. Cette écologiste indépendante, parfois en délicatesse avec son parti, est très présente dans les quartiers avec son mandat d’adjointe au maire de Marseille en charge de l’environnement, de la lutte contre les pollutions, de l’eau et l’assainissement, de la propreté de l’espace public, de la gestion des espaces naturels, de la biodiversité terrestre et de l’animal dans la ville a su séduire ce quartier. Elle dépasse de 3% le député sortant Lionel Royer-Perreaut, rallié à la Macronie, bien implanté dans le secteur et qui devrait douloureusement se retirer.
Enfin, le jeune Amine Kecassi, 21 ans, qui a fondé l’association Conscience, dédiée aux familles de victimes de règlements de compte par suite du décès de son frère, se présentait au nom des écologistes dans la 3e circonscription (partie du 12e, 13e et partie du 14e). Il a drainé 35,7 % des voix face à la RN, Gisèle Louis, qui est à 42,7. Il a une chance de devenir le benjamin de l’Assemblée !
Enfin dernière brique de cette recomposition du paysage politique départemental, c’est la disparition du parti Les républicains, canal historique. Laure Agnès Caradec leur chef de file plafonne à 8,7 %.
Une recomposition en vue pour les municipales de 2026
Il faudra attendre d’abord mardi, à 18 h00, pour savoir si des triangulaires perdurent, malgré les directives des partis et puis dimanche soir prochain pour savoir quels sont les députés issus du département. Mais d’ores et déjà les élus locaux ne sont pas dans le même agenda que les élus nationaux, qui visent 2027 et la présidentielle, les élus locaux ont comme agenda 2026 et les élections municipales.
À cet égard l’élection triomphale de deux députés LFI, qui plus est, de fortes personnalités, doit inquiéter du côté de Benoît Payan, qui, ne l’oublions pas, est à la tête d’une coalition, le Printemps marseillais qui comprend toute la gauche, sauf LFI (qui n’a pas souhaité s’y joindre aux dernières municipales). Mais les ambitions de Sébastien Delogu vers la mairie sont évidentes et elles font de LFI, une opposition interne à la gauche avec laquelle il faudra compter pour présenter une liste en 2026.
Les bons scores réalisés par deux des conseillers municipaux du Printemps, Lhardit et Juste, leur donneront certainement aussi du poids dans les discussions internes au Printemps marseillais pour faire avancer leur projet.
Enfin, avant les élections se dessinait à partir du cabinet de Renaud Muselier un regroupement de jeunes, issus de la droite, qui voulaient préparer l’alternance à Benoît Payan. Les résultats des élections leur donnent à ce jour peu de marges de manœuvre et si la droite, ou la majorité présidentielle, ce qui devient quasiment la même chose, veut reprendre la ville, il y aura du pain sur la planche.
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