Tandis qu’un grand débat public piloté par la Commission nationale du débat public a lieu actuellement sur le grand bassin industriel de Fos et de Berre, des élus et militants écologistes (voir en signature) appellent, à l’adresse du président de la République, au lancement d’un convention citoyenne sur le sujet. Gomet’, attaché à la vitalité du débat local, publie leur tribune.
Pour une convention citoyenne sur la relocalisation et la décarbonation de notre industrie en la transformant vraiment et en préservant notre santé et le vivant
La zone industrielle du golfe de Fos et de l’Etang de Berre émet 25% des émissions industrielles nationales de CO2 et génère également une pollution importante provoquant des ravages sanitaires. Les études de Santé publique France montrent une sur-incidence de certains cancers tandis que l’étude épidémiologique participative Fos-EPSEAL a montré que la population riveraine de la zone souffrait de deux fois plus de cancers, de diabète et de maladies chroniques que le reste de la population française.
Cette zone est extrêmement riche également en matière de biodiversité avec de nombreuses zones protégées en Camargue et en Crau. Aussi, la conciliation du développement industriel avec la protection des milieux est complexe et les compensations écologiques toujours inéquitables avec depuis des décennies de grands projets industriels imposés d’en haut au mépris des populations locales.
En tant qu’écologistes, le débat public actuel sur l’avenir industriel et la décarbonation du territoire dans une approche globale était attendu depuis longtemps même si nous déplorons qu’il vienne tard avec des études manquantes ou douteuses.
A l’heure de l’emballement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, de la raréfaction des matières premières, des ravages sanitaires liés à la pollution, nous devons réinterroger nos modes de production et de consommation et ouvrir un autre chemin : celui d’une réindustrialisation démocratique et coopérative pensée à l’aune des limites planétaires.
Proposer un protectionnisme de transition
Nous devons aussi proposer un protectionnisme de transition afin de défendre un modèle écologique et social exigeant capable de résister aux chocs à venir.
Il est en effet impérieux de protéger notre industrie de la concurrence extra et intra communautaire par des taxes douanières et carbone extérieures, une harmonisation sociale en Europe vers le mieux disant et des éco-conditionnalités pour toute aide publique.
Or, les giga factory et les projets énergétiques qui nous sont présentés dans le cadre de ce débat public reproduisent le modèle qui nous a conduit dans l’impasse économique, le désastre social et le chaos climatique qui nous fait face.
Ces projets restent soumis aux fluctuations du marché, aux coups de mentons des nouveaux dirigeants nationaux-populistes, à la financiarisation de l’économie réelle, à une économie globalisée génératrice de désastres sociaux et environnementaux, à des capitaux étrangers dominants conduisant souvent à des délocalisations…
Le primat donné à la décarbonation de notre économie ne doit pas nous faire oublier l’empreinte environnementale globale de l’industrie, pas plus que les effets pervers générés par cette fuite en avant avec de nouvelles infrastructures électriques portant atteinte au vivant en Camargue et en Crau.
Il est impossible de vouloir ainsi massacrer nos paysages et une biodiversité unique au monde avec ce nouveau projet de ligne THT de 65 km avec 180 pylônes (certains de 80m de haut) tandis que des alternatives plus soutenables existent. La décarbonation ne doit pas être l’alibi pour ne pas transformer notre économie et pour détruire nos espaces naturels d’exception. Cette ligne THT créerait un précédent ouvrant une brèche funeste pour la destruction d’espaces naturels protégés.
Nous ne choisirons jamais entre le climat et le vivant !
Nous ne choisirons jamais entre le climat et le vivant ! C’est ainsi que nous regrettons que ce débat public et les projets présentés n’intègre pas l’impératif de sobriété et les enjeux fondamentaux de circularité et d’éco-conception devant guider l’industrie de demain.
Cette fuite en avant vers les technologies de rupture et les nouvelles énergies pose question à l’heure où une économie plus tournée vers la fonctionnalité, la résilience territoriale et la circularité devrait dominer nos débats.
De même, nous sommes sceptiques sur l’inflation de projets liés à l’hydrogène alors que nous ne connaissons pas bien les débouchés et la viabilité réelle de ces projets autour d’une filière encore incertaine.
Nous défendons une économie relocalisée, l’autosuffisance alimentaire, l’autonomie énergétique de notre territoire et donc une économie productive. Mais cette nouvelle industrie doit être fondée sur les besoins réels du territoire, dans une approche d’écosystème mêlant laboratoires d’innovations, petites manufactures low-tech et industrie lourde reconvertie.
Créer de nouveaux espaces démocratiques
Ce changement de paradigme auquel nous aspirons passe d’abord par une gouvernance qui s’extrait du diktat du temps court des politiques pour intégrer le temps long. C’est ainsi qu’il est nécessaire de créer de nouveaux espaces démocratiques qui associent les salariés et les citoyens aux grands choix industriels.
Nous proposons d’abord l’organisation d’une convention citoyenne relative à l’avenir industriel français traitant des questions de décarbonation, de reconversion, de nouvelles industrie, de souveraineté industrielle mais aussi l’accompagnement social des salariés vers ces nouveaux process et nouveaux métiers autour de filières émergentes ainsi que l’enjeu de la stratégie foncière à adopter pour la préservation de nos terres fertiles et de nos espaces naturels.
Cette convention citoyenne sera suivie d’une conférence permanente de la transformation industrielle associant citoyens tirés au sort rapporteurs de la convention, industriels, syndicalistes, élus et ONG pour garantir une juste représentation de tous aux choix industriels afin qu’ils ne soient plus imposés.
Cette instance sera l’instance qui pose, sans filtre, les bases législatives et réglementaires et veille au suivi de la nécessaire planification industrielle à différentes échelles (nationale, régionale et locale), enjeu majeur d’une transition industrielle réussie et maîtrisée.
Reprendre le contrôle au niveau national comme au niveau local des grands choix industriels dans un monde en plein chaos est impératif. Nous demandons au président de la République la mise en place au plus vite de cette convention citoyenne.
Sébastien Barles, adjoint au Maire de Marseille et conseiller métropolitain
Nouriati Djambae, conseillère départementale et municipale de Marseille
Sébastien Mabile, avocat, défenseur de l’environnement
Jean-Luc Moya, responsable associatif, Agir pour la Crau
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