L’héritage ne fait pas toujours le bonheur. En ces temps politiquement troublés, on entend beaucoup à Marseille de voix s’élever pour faire table rase d’un passé que l’on n’assume pas, voire qu’on jette volontiers dans les poubelles de l’Histoire.
Ainsi en va-t-il de la loi PLM, voulue et imposée par Gaston Defferre au début du premier septennat de François Mitterrand. Elle lui avait permis, en 1983, de commettre, selon son opposition d’alors, un véritable hold-up démocratique, au détriment de Jean-Claude Gaudin.
Cette combinaison, savamment mise au point au palais de l’Elysée et place Beauvau, lui avait permis, avec un déficit en voix de près de 10 000 unités sur l’ensemble des votants marseillais, d’emporter Marseille pour un sixième mandat. La ville avait été alors divisée par la loi en six secteurs (huit aujourd’hui) savamment dessinés par les équipes du ministère de l’Intérieur en tenant compte des résultats précédents de chaque bureau de vote.
Loi PLM : Gaudin parla alors de « charcutage électoral »
Gaudin parla alors de « charcutage électoral ». De plus le maire n’était pas élu au suffrage direct. Defferre bénéficiera in fine, pour retrouver son fauteuil, grâce à cette brillante alchimie de 64 élus de gauche contre 37 à la droite. Alors qu’après son triomphe de 1977 la gauche perdait 31 villes de plus de 30 000 habitants, Marseille faisait figure de miraculeuse rescapée. Defferre, qui avait habilement introduit la loi PLM dans les lois de décentralisation s’imposait comme un subtil manœuvrier. Trois ans plus tard, hélas, « Gaston » succombait après une nuit dantesque passée avec sa famille politique qui l’avait mis, sous la houlette de Michel Pezet, en minorité.
On connait la suite même si elle n’était pas forcément attendue. Le professeur Robert P. Vigouroux succédait à « Gaston », au grand dam de Pezet qualifié alors dans les colonnes du Provençal de « parricide ». Puis Vigouroux réalisait en 1989, avec l’aide de Tapie et de Mitterrand, un grand chelem (huit secteurs sur huit) qui surprenait bien au-delà de son camp. L’heure de Gaudin allait sonner lorsque Vigouroux renonçait en 1995. Ironiquement, c’est avec cette même loi PLM qui l’avait jusque-là desservi que le leader de la droite républicaine l’emportait pour un bail de quatre mandats successifs. Grandeurs et misères de la loi PLM donc, selon le camp et l’époque dans lesquels on se place.
A la lecture de ces pages de l’histoire locale, on ne laisse du coup d’être étonné par les derniers soubresauts qui agitent la sphère politique phocéenne.
La loi PLM, si longtemps honnie par la droite locale est désormais défendue bec et ongles par Renaud Muselier. Il appartient pourtant au même groupe Renaissance que Sylvain Maillard qui avec un autre député David Amiel, souhaite voir modifier la loi PLM pour partir à la reconquête de… Paris. Parmi les arguments avancés par les parlementaires : la loi PLM serait un déni de démocratie.
Ces macronistes « historiques » souhaitent que les élections municipales à Paris, Lyon et Marseille soient arbitrées par deux scrutins séparés. L’un pour élire les conseillers de secteurs, l’autre pour choisir le maire. Muselier y voit une nouvelle pétaudière et surtout une manœuvre parisianiste. Et un danger comme le rapportait Libération en citant le président de la Région Sud. Il s’adressait alors à ceux qui envisageaient de modifier la loi : « Je vous ai déjà dit que c’est une connerie, vous auriez dû m’en parler, vous allez donner la ville à [Sébastien] Delogu ! »
Le député LFI des quartiers nord n’attendait sans doute pas d’être ainsi flatté au moment où il réclame au Printemps Marseillais et à Benoît Payan toute la place qu’il estime revenir à la formation de Jean-Luc Mélenchon. Le courroux de Muselier est d’autant plus grand qu’il croyait avoir tissé des liens suffisamment solides avec Emmanuel Macron pour être informé en temps et heures des velléités de Maillard et consort. Il aurait dû lire Macron dans le texte avant de se précipiter dans ce vaisseau amiral qui ressemble de plus en plus au Titanic : « On est d’abord loyal quand on est fidèle à ses idées. »
Un Benoît Payan peut-il pour autant en appeler aux mannes de Jean Jaurès qui s’adressant à l’Assemblée nationale lançait : « C’est nous qui sommes les vrais héritiers du foyer des aïeux ; nous en avons pris la flamme, vous n’en avez gardé que la cendre. » Il ne semble pas prêt à ranimer celle qu’entretenait Defferre.
Balayant ainsi l’héritage defferriste, Payan prône le réalisme politique
Calculette dans une main et les résultats des derniers scrutins dans l’autre, il a réalisé que son salut passerait par la réforme de cette loi PLM, plus marteau pour lui aujourd’hui que javelot. Et pour faire bonne mesure il enfonce le clou en crucifiant cruellement son initiateur : « Tout ce qui nous remet dans le droit commun me convient ». Balayant ainsi l’héritage defferriste, Payan prône le réalisme politique. L’archipel marseillais peut faire, selon lui, basculer la ville si la loi PLM est maintenue vers les extrêmes.
LFI et RN sont en embuscade et savourent le spectacle qui leur est offert avec gourmandise. Franck Allisio, le leader de la formation lepéniste y va de sa ruade, concédant, grand prince, que les deux systèmes ont leurs avantages et leurs inconvénients. Mais il ajoute : « Dans une ville où on est les champions de la fraude, c’est remplacer une usine à gaz par une autre ». Les mots ont ici une saveur particulière alors que Marine Le Pen doit se défendre devant la justice d’avoir lourdement « fraudé » au parlement européen. La République reconnaîtra les siens.
Les semaines qui viennent verront sans doute nos leaders locaux ferrailler ferme dans les arrières cours du pouvoir central. La droite marseillaise plaidera pour la loi écrite et promue par Gaston Defferre. La gauche réformiste jouera un toute autre air et pèsera de tout son poids pour tuer la loi PLM, quitte à faire trembler une tombe au cimetière St Pierre. « Terribles sont les chansons quand elles intiment l’ordre de se souvenir » écrivait Edmonde Charles-Roux. C’était il y a si longtemps.
Lien utile :
L’actualité de la réforme de la loi PLM dans les archives de Gomet’