La préfecture des Bouches-du-Rhône a lancé une AMI, un appel à manifestation d’intérêt, pour trouver des solutions innovantes, dont l’option de tuyaux souples, afin de dériver les eaux rejetées dans l’étang de Berre par la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas. La préfecture des Bouches-du-Rhône, la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer), l’Agence de l’eau, la Préfecture maritime Méditerranée, un représentant du président du Conseil régional et de la Métropole Aix-Marseille Provence et le Gipreb (Groupement d’Intérêt public pour la réhabilitation de l’Étang de Berre devenu syndicat mixte) sont mobilisés pour examiner les offres reçues avant le 15 janvier dernier.
Nous sommes dans la phase d’échanges avec les pétitionnaires jusqu’au 30 avril 2025 et une décision est annoncée pour le 1er juillet. Précisons qu’il s’agit du choix de l’option technique retenue, mais que cela ne préjuge pas de l’attribution effective du ou des marchés.
L’AMI vise à obtenir de la part d’opérateurs économiques « des solutions intégrant la faisabilité, la pertinence, et les modalités de réalisation du projet de dérivation des eaux rejetées de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas au sein de l’étang de Berre, via une option de tuyaux souples ».
Une feuille de route pour dépolluer, sauver la Durance et préserver la production énergétique…
La problématique est connue et n’a à ce jour pas trouvé d’issue positive au vu des massifs investissements requis pour mettre fin aux dépots d’eau douce et de limon dans l’Étang de Berre. Pollué par les effluents industriels et urbains depuis le XIXᵉ siècle, l’étang a fait l’objet de nombreuses interventions pour le dépolluer et limiter les apports d’eau douce à 1,2 milliard de m³/an et les apports solides à 60 000 tonnes.
Le Gipreb et EDF ont avancé vers des solutions techniques intéressantes qui s’inscrivent dans une feuille de route pour prolonger la chaîne hydroélectrique de la Durance et du Verdon au-delà de l’Étang de Berre en rejoignant la mer Méditerranée ou le Rhône. L’État retient trois objectifs :
- Accroître la production énergétique de la chaîne hydroélectrique aujourd’hui limitée par les quotas de restitutions dans l’Étang de Berre ;
- Contribuer à la restauration environnementale de l’Étang de Berre en limitant les restitutions d’eau et limons dans l’étang ainsi que les restitutions en Basse Durance
- Créer de nouvelles opportunités de valorisation de l’eau sur le territoire.
« Le projet de dérivation est donc désormais un projet territorial d’ensemble, énonce l’AMI, avec de multi-enjeux (énergie, eau, environnement) et de multiples acteurs concernés par ces enjeux, et le projet est structuré de façon à refléter cette organisation multi-acteurs et multi-enjeux ». Trois options sont sur la table :
- Un tracé de rejet au Rhône depuis Saint-Chamas par siphon puis via tunnel + canal.
- Une solution identique de tunnel avec rejet en mer en exutoire au droit de Port-de-Bouc.
- Une troisième solution a été proposée : un rejet en mer par le canal de Caronte via des tuyaux souples ensouillés. Ce rejet doit être assorti d’une valorisation partielle de l’eau à destination des usages d’eau potable, d’irrigation agricole et d’eau industrielle.
Des tuyaux « souples » de 4 m de diamètre !
Les tuyaux souples, des “tuyaux flexibles non rigides” à partir du bassin de démodulation, devront a minima conduire les eaux stockées et transitant dans le bassin via l’Étang de Berre par le Canal de Caronte au-delà du périmètre du Golfe de Fos vers la pleine mer, afin de ne pas déstabiliser l’équilibre écologique et halieutique de ce dernier.
Par contre il semble aventureux d’envisager des rejets en mer massifs d’une eau alpine potable, alors que le changement climatique perturbe tous les écosystèmes hydrauliques. Les entreprises qui ont répondu devaient donc rechercher des process de valorisation :
- Valorisation de l’eau vers les réseaux de sécurisation d’eau potable des communes de l’ouest du département en connexion avec les infrastructures projetées par la Métropole Aix-Marseille Provence dans le cadre de ses compétences eau et assainissement.
- Valorisation de l’eau pour un usage industriel par connexion vers le réseau d’eau industrielle de la zone industrialo-portuaire géré par le Grand port maritime de Marseille (GPMM).
- Valorisation de l’eau par reconnexion vers les réseaux d’irrigation agricole.
- Valorisation de l’eau vers la nappe astienne de La Crau par procédure d’injection si cette solution technique, actuellement en étude de faisabilité, s’avère techniquement viable.
- Valorisation par desserte partielle vers l’Étang de Vaccarès au sein du parc régional de Camargue afin d’en abaisser la salinité.
- Valorisation par desserte par tuyaux ensouillés au-delà du Golfe de Fos des usages en eau potable et agricole des départements du Var, des Alpes-Maritimes, du Gard, de l’Hérault, et des Pyrénées-Orientales, et le cas échéant au-delà.
Un bassin de 1,5 km2 dans l’étang de Berre…
Le schéma soumis à l’étude prévoit de préserver les capacités de turbinage de l’usine de Saint-Chamas dont les rejets se déverseraient dans un bassin de démodulation constitué d’une digue formant une enceinte dans l’étang de Berre, se refermant au nord le long de la rive de l’étang et au sein de laquelle est aménagée une échancrure de déversement permettant de gérer les apports importants de débit dans le bassin en cas de turbinage hivernal ou en cas d’arrêt de pompage. En complément une station de pompage à l’ouest de la sortie d’usine, le long de la berge de l’étang devrait permettre l’alimentation du circuit de dérivation via plusieurs pompes de grande capacité. Un ouvrage de 1,5 km2 de surface qui retiendrait un volume de 3 millions de m³ d’eau douce et de limons.
Mais la suite n’est pas écrite car il s’agit d’évacuer, vers des destinations non encore abouties, 30 m3 à la seconde au printemps. Avec des tuyaux souples, mais qui n’ont rien à voir avec l’arrosage de votre jardin : ils mesureraient 4 mètres de diamètre et devraient être enfouis dans les tréfonds des sédiments industriels du canal de Caronte de l’Étang de Berre et du Golfe de Fos.
Des industriels ont tenté de répondre à ces équations qui comportent plus d’inconnues que de données avérées. Une fois les études d’ingénierie, les reconnaissances bathymétriques, géophysiques, archéologiques et géotechniques ainsi que les études de risque et d’impact environnemental programmées, les candidats devaient intégrer de plus les problématiques d’autorisation administratives, de procédures d’expropriation éventuelles et de compensations environnementales.
Quel modèle économique ?
Ils avaient à donner leur avis sur le modèle économique et financier du projet en permettant au futur constructeur et/ou opérateur des ouvrages de se rémunérer grâce à l’eau non jetée dans l’étang de Berre grâce aux ouvrages. Et en plus il leur est loisible de donner leur avis sur le montage juridique et financier. L’État qui semble perplexe et désarmé face à cette solution audacieuse les sollicite in fine pour lui fournir « une méthodologie fondée sur un comparateur avantages inconvénients des solutions proposées. »
Le nombre d’opérateurs en mesure de répondre à une telle quadrature du cercle, à une telle complexité et à un enchevêtrement d’impératifs contradictoires est limité aux bigs du secteur, tant il demande de ressources fines. Rendez-vous le 1er juillet pour découvrir le lauréat.
Document source : l’AMI concernant la dérivation des eaux rejetées à la centrale de Saint-Chamas
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