L’affaire était rare et les 20 hectares soudain mis sur le marché de l’appellation Châteauneuf du Pape ont attiré en 2023 l’attention du monde viticole de ses acteurs locaux, mais aussi des brokers internationaux qui sont à l’affût de biens prestigieux et rentables pour des stars, pour des fonds de pension, pour des grandes fortunes. Rappelons d’emblée pour situer les enjeux qu’un hectare de Châteauneuf du Pape vaut à lui seul 500 000 euros
Que s’est-il passé ? En 2023 la centaine d’actionnaires du Groupement foncier agricole la Nonciature, détenteurs collectivement d’actions du Domaine de la Présidente sur la commune de Bédarrides décident, après 33 années, de mettre leurs biens sur le marché. Les actionnaires se rémunèrent en général sur les bénéfices annuels, souvent en bouteille de la cave et sur la vente in fine du bien acquis. Le gestionnaire est Amundi du groupe Crédit agricole dans le cadre de ses placements patrimoniaux.
« Le Châteauneuf du Pape est très prisé comme valeur refuge » souligne lors d’une conférence de presse à la maison des vins Julien Latour, président du comité technique Vaucluse de la Safer Provence Alpes Côte d’Azur. « C’est un vin de garde très qualitatif qui se vend 30 à 40 euros la bouteille. »
Domaine de la présidente : une opération exceptionnelle
1re AOC viticole de France en 1936, l’appellation Châteauneuf-du-Pape couvre 3 150 hectares sur les communes de Châteauneuf-du-Pape, Bédarrides, Courthézon, Orange et Sorgues. Elle compte 300 déclarants de récolte, et produit en moyenne 90 000 hectolitres par millésime, soit environ 12 millions de cols, répartis à 93 % sur les vins rouges et 7 % sur les vins blancs. L’AOC s’appuie sur 13 cépages, cinq terroirs distincts élaborer des vins distribués en majorité à l’export (66 % des volumes en 2021).
« De par la superficie de cette propriété, précise Julien Latour, un vignoble en production sur l’appellation Châteauneuf- du-Pape de 19 ha et 24 a et l’absence de bâtiments importants, l’opération est exceptionnelle. Depuis le 1er janvier 2021, la Safer a géré la vente de 74 ha de vignes sur l’appellation Châteauneuf-du-Pape soit une moyenne de 18 ha par an. Cette propriété représente à elle seule la même superficie. »
Avec un enjeu à 10 millions d’euros, la vente attire. En coopération avec la Fédération des producteurs de Châteauneuf-du-Pape, la Safer et le Crédit agricole se positionnent pour gérer la mise en vente. Face à un trader, Caap Transac, filiale du Crédit Agricole Alpes Provence spécialisée en transactions viticoles devient opérateur de la transaction de cession.
Pour Franck Alexandre, président du conseil d’administration du Crédit Agricole Alpes Provence, lui-même ancien vigneron dans le Gigondas, l’objectif commun est de « garder le modèle familial » d’exploitation. Julien Latour de la Safer ajoute « qu’il ne faut pas déséquilibrer le marché » qui se stabilise donc à 500 000 euros l’hectare. Le lot comprend aussi 8 hectares de Côtes-Du-Rhône, mais ce sont « des terres fatiguées » qui sont évaluées 12 000 euros l’hectare.
La Safer a rendu public fin juillet cette offre sur les médias spécialisés. Les agriculteurs avaient une quinzaine de jours pour se positionner, une commission locale va examiner les propositions. Elle étudiera l’ensemble des candidatures, 14 en local, en recherchant la meilleure solution en termes de consolidation, de restructuration parcellaire et d’installation. Les projets de consolidation et de restructuration parcellaires pourront se faire par voie d’échange. Une fois la vente actée, la Safer procédera à l’attribution effective des parcelles, notamment à de jeunes agriculteurs.
Le banquier du monde agricole sera alors, affirme Jérôme Lebon, directeur général adjoint du Crédit Agricole Alpes Provence, « aux côtés des acquérants. Ils auront toute liberté de choix, mais nous ferons tout ce qu’il faut pour être les meilleurs ».