Racheté depuis 2019 par le groupe Iliad, Jaguar Network est en forte croissance. La société fondée par Kevin Polizzi devrait atteindre les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022 soit un doublement en l’espace de trois ans. Ses ambitions sont alimentées par la commercialisation de l’offre « Free pro » depuis mars 2021, et de l’offre de cloud hybride (cloud privé et public) en avril 2022, à destination des professionnels indépendants, de TPE et PME. Entretien avecDenis Planat, le directeur général de Jaguar Network depuis mai 2021.
Trois ans après le rachat de Jaguar Network, où en êtes-vous de votre projet de développement ?
Denis Planat : Le groupe Iliad avait 20 ans d’expérience dans le B to C, se plaçant comme le 6 ou 7e acteur européen. En rachetant Jaguar Network, la volonté du groupe était de gagner du temps dans la pénétration d’un marché B to B qu’il connaissait peu. Kevin Polizzi [le fondateur et ancien Pdg de Jaguar Network, Ndlr] a développé des clients locaux, historiquement consommateurs d’IT avec un niveau d’exigence très élevé. Avec sa nouvelle offre « Free pro » Iliad a souhaité que Jaguar complète son positionnement initial d’exigence mais pour les plus petits professionnels type TPE, PME. Nous avons créé le centre d’expertise client « Prédictive pro » dédié à l’offre pour laquelle nous avons recruté 80 personnes.
L’offre « free pro » a-t-elle évolué depuis son lancement en mars 2021 ?
D.P : Quand nous avons lancé « Free Pro », les prix étaient assez décoiffants [49 euros le service professionnel, Ndlr]. Nous avions regardé toutes les composantes, back-up 4G, connectivité, et nous avions calculé que chez les concurrents, le prix d’une offre similaire était plutôt à 150 euros. L’écart tarifaire nous semblait alors très significatif au lancement et le prix de notre offre n’a pas évolué. Depuis, soit d’une manière officielle soit d’une manière négociée, les concurrents se sont alignés. Pour autant, nos clients ne nous remontent pas que nous sommes moins compétitifs. Et cela se ressent, aujourd’hui « Free Pro » compte plus de 20 000 entreprises clientes.
Donc, 20 000 clients acquis en un peu plus d’un an. Ça représente combien en parts de marché sur le B to B ?
D.P : C’est assez simple à calculer. Nous n’atteignons même pas 1% de part de marché aujourd’hui. Mais notre ambition, affichée depuis toujours par le directeur général d’Iliad, Thomas Reynaud, est d’atteindre les alentours de 10% à horizon cinq, six, sept ans. Mais le marché est complexe car il est constitué de différents segments clients avec les boxes, les grandes affaires, les offres dans le domaine du cloud…
En termes de chiffre d’affaires, comment avez-vous évolué depuis trois ans ?
D.P : Depuis l’acquisition, nous avons doublé de chiffre d’affaires. Nous étions à 50 millions et d’ici fin 2022, nous aurons plus que doublé pour deux raisons. La première est que la clientèle historique de Jaguar Network continue de nous faire confiance. Nous avons fait de très belles installations avec de grands comptes comme ID logistics qui est un énorme client pour nous désormais sur l’offre cloud. Je peux aussi citer Alcatel submarine Networks.
Adressez-vous vos offres aux collectivités ?
D.P : Les collectivités représentent 20% de notre chiffre d’affaires. Lors de mon arrivée, j’ai même souhaité créer une cellule « marché public » car les offres étaient trop diffuses. Au regard du succès que l’on rencontre sur ce marché, nous avons constitué une équipe de 15 commerciaux, dirigée par Stéphane de la Motte à Marseille. Comme beau contrat, nous avons remporté l’Agence régionale de santé (ARS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Concernant l’offre de cloud hybride (privé et public), quelle est votre stratégie ?
D.P : Nous avons effectué un très beau lancement en avril dernier. C’est un cloud qui mêle le cloud privé et le cloud public.C’est à dire que nos datacenters sont en France, les datas et les infrastructures sont en France, mais il se peut que les logiciels ne soient pas Français. La position de Jaguar est de s’adresser aux clients qui n’avaient pas l’habitude du cloud. Le contrat avec ID Logistics nous a aidé à peaufiner notre offre de « cloud expert » hybride. Nous avons lancé cette offre pour démocratiser la solution cloud pour les PME et ETI dans la même philosophie que Free Pro : simple, paramétrable facilement et aux tarifs très agressifs. Lors du lancement, nous étions aussi deux fois moins cher que le marché.
Comment pouvez-vous être deux fois moins cher ? En automatisant la relation client ?
D.P : Quand vous souscrivez à nos offres, vous avez plusieurs canaux de contact, les appels entrants sont gérés ici à Marseille. Vous pouvez commander directement sur le web de manière très autonome. Mais pensant que ça ne suffisait plus, nous avons constitué une équipe de 25 ingénieurs commerciaux là, en 2022. Le but des forces de ventes, n’est pas de vendre uniquement la boxe Free Pro. C’est aussi d’identifier d’autres besoins en cybersécurité, stockage des données, et donc de vendre nos offres cloud.
Quelle est le savoir-faire, la technologie que vous aviez pour lancer l’offre cloud ?
D.P : Il faut d’abord des infrastructures donc des datacenters. Puis, il faut avoir un réseau. Chez Jaguar, nous avons non seulement des salles blanches, mais aussi les équipements actifs, c’est-à-dire les serveurs et les logiciels, les matières premières fournies par nos clients. Interxion, qui possède aussi un datacenter à Marseille, ne fait pas ça, et nous nous le faisons. Nous faisons aussi de l’exploitation de données. Nos ingénieurs créent des architectures qui vont exploiter les applications des clients. Cette couche est indispensable. Donc quand vous dites, je fais du « cloud », ça revient à dire « j’ai une application chez mon client et je décide de mettre cette application à l’extérieur ». Actuellement, avec notre data center à Marseille et nos deux autres data centers à Lyon, il nous reste cinq à 18 mois d’avance.
Tout professionnel souscripteur de l’offre « free pro » accède à l’offre cloud pour sauvegarder ses données ?
D.P : C’est là tout le génie historique de Jaguar qui est de sauvegarder, d’envoyer physiquement la data dans le disque dur de la boxe. Cette donnée part automatiquement sur un datacenter. Ou quand la boxe coupe la fibre pour un problème X ou Y, le boitier se met automatiquement en back up 4G pour ne pas avoir de coupure.Et ça c’est nouveau. Cette boxe Free pro vient d’un univers d’ingénieur où les contraintes d’exploitation des données viennent d’assez haut.
Avez-vous de nouveaux projets innovants ?
D.P : Jaguar mène quelques expérimentations fortes dans le champ du « campus 5G ». Nous réfléchissons à l’utilisation de la 5G en circuit fermé pour les industriels, ce que l’on appelle l’industrie 4.0. Nous nous intéressons aux usages, car le plus intéressant avec la 5G c’est à quoi ça sert, notamment dans les industries de pointe comme l’imagerie médicale ou la construction aéronautique. Nous sommes à l’orée de l’usage de la 5G dans le milieu professionnel. C’est un thème très porteur. Nous aurons une très belle réalisation à vous montrer en octobre.
Vous déménagez dans le quartier Smartseille, toujours dans le 15e arrondissement. Pourquoi ?
D.P : Nous déménageons dans l’immeuble tout neuf « Smartsea », dont le propriétaire est Groupama, à côté d’EDF le long de la passerelle. Nous serons locataire de 6 500m2 carré de bureau. L’idée est d’accompagner notre croissance. En 2020, à Marseille, nous étions moins de 200 collaborateurs. A la fin de l’année, nous serons plus de 300 collaborateurs. Et d’ici quelques années, nous projetons d’accueillir 500 collaborateurs dans l’immeuble. Dans ce nouveau bâtiment, nous souhaitons vraiment favoriser le travail collaboratif, surtout depuis la généralisation du télétravail deux jours par semaine. L’agence de conseil Rubikle basée aux Docks nous accompagne pour l’aménagement.
Vous restez donc bien ancrés sur le territoire…
D.P :Il n’a jamais été question de quitter Marseille ! La municipalité m’avait demandé de passer la voir, inquiète de voir relocaliser Jaguar, avec l’arrivée d’un nouveau patron. Je suis Auvergnat, donc Jaguar aurait pu partir en Auvergne (rires). Mais pas du tout. Nous tenons beaucoup à nos collaborateurs. Ils n’ont pas envie ou les moyens d’acheter une voiture et ils souhaitent rester en ville. Et puis, Jaguar est né à Marseille, donc on restera ici.
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