Gomet’ a publié en juin 2022, un hors-série consacré à l’emploi et à la formation « Le recrutement inversé », dans lequel nous apportons un éclairage sur les modes de formations qui évoluent afin de s’adapter aux nouvelles tendances sur le marché de l’emploi sur le territoire. Extrait.
Alors que les entreprises peinent à recruter, la formation initiale (écoles, universités…) et la formation professionnelle (organismes de formation) prennent leur part de responsabilité pour fluidifier le marché de l’emploi. Avec la réforme du nouveau Compte professionnel de formation (CPF), couplée aux conséquences du Covid-19, les formations jouent les caméléons pour répondre aux préoccupations des entreprises et continuer à attirer de plus en plus de candidats, notamment par la voie digitale.
Les écoles du territoire dévoilent des campus flambant neufs
L’une des premières réponses des écoles est d’agrandir leurs établissements, et de fait, augmenter leurs capacités d’accueil pour former plus d’étudiants sur le territoire. Installée à l’orée du Parc des calanques de Marseille (9e), l’école de commerce Kedge business school a ainsi fait le pari de construire un nouveau campus de plus de 6 000 m2. La Chambre de commerce et d’industrie d’Aix Marseille (CCI AMP), consciente du besoin d’attirer et de fidéliser les entreprises grâce à la formation des jeunes, a ainsi dé- pensé 36 millions d’euros pour financer les travaux de ce bâtiment de verre. Tout de baies vitrées, le campus épouse le relief de la colline pour accueillir 1 800 étudiants supplémentaires à l’horizon 2025, en plus des 5 000 actuellement formés. C’est avec ce nouveau visage que l’école de management ambitionne de conquérir en priorité le cœur des étudiants internationaux encore minoritaires (17 %).
De son côté, l’école d’ingénieur Centrale Marseille a engagé les rénovations de son futur campus bleu « La jetée » doté d’un amphithéâtre hyperconnecté. En parallèle, la grande école poursuit ses réflexions pour créer un espace dédié à l’innovation en open source : le « Marseille creativity center (MC2) » selon Françoise Henrio, la responsable des relations entreprises de l’école. Ce nouvel écrin de 4 000 m2 d’innovation, chiffré à plusieurs millions d’euros, sera ouvert aux étudiants de Centrale et aux entreprises, chercheurs ou associations. L’établissement public opte pour une stratégie d’attraction des étudiants à l’extérieur du territoire. « Ils viennent à 90 % d’autres régions en France ou à l’international » selon la professionnelle qui se réjouit « de l’installation d’une nouvelle antenne à Nice » signée avec le ministère de l’antenne niçoise. A terme, Centrale Marseille espère accueillir deux promotions de 300 étudiants ingénieurs post-bac. De quoi répondre « au besoin de recrutement d’ingénieurs des entreprises dans le Sud » souligne Françoise Henrio.
À Aix-en-Provence aussi, l’école supérieure des sciences commerciales d’Angers (Essca) se transforme. Le réseau d’écoles Essca, reconnu pour ses formations post-bac, dispose de deux campus de 1 200 m2, l’un, avenue du Club hippique et l’autre en face du Parc Jas de Bouffan. Afin de poursuivre son développement dans le Sud-Est, l’Essca intégrera un campus de 5 500 m2 en 2025, construit par Bouygues Immobilier sur la zone de La Constance. L’école de commerce tentera ainsi de doubler ses effectifs en trois ans, pour passer de 450 à 1 000 étudiants accueillis. Et c’est déjà prometteur : « Nous croulons sous les candidatures depuis que nous avons obtenu le grade de licence. Nous n’avons pas atteint 50 % ou 70 % de notre objectif pour la rentrée 2022, mais 217 % ! » s’enthousiasme Alexandre Tremblay, le responsable des relations avec les entreprises.
Au nord de Marseille, la grande école du numérique La Plateforme_ va encore plus loin. Son fondateur, Cyril Zimmermann, a annoncé la construction d’un site à la hauteur de son ambition pour 2026 : former 3 000 élèves au code web, à l’intelligence artificielle ou la cybersécurité, sur 25 000 m2 dans le quartier des Crottes (15e). L’établissement prône un recrutement libéré de la culture du diplôme et des frais de scolarité.
Une nouvelle philosophie qui essaime en Provence avec plusieurs autres formations dans la même veine, telles que Webforce3, Wild Code School ou la Rocket School, sans parler du pionnier Simplon. Ces nouvelles formations pratiquent de nouvelles méthodes de recrutement des talents avec l’égalité des chances en ligne de mire : seules la personnalité et la motivation importent. L’argent ne doit pas être un frein. Le coût de ces formations est pris en charge par les opérateurs de compétences (OPCO, ex-OPCA) agréés par l’État et financés par la collecte des contributions obligatoires des employeurs. Ce modèle de la formation « 100 % en alternance » attire de nombreuses entreprises partenaires qui recrutent des collaborateurs dès leur plus jeune âge.
22 034 apprentis en 2020
Selon les chiffres de 2021 du ministère du Travail, 732 700 contrats d’apprentissage ont été signés contre seulement 529 500 en 2020, soit une hausse de 38,4 %. Au niveau local, les effectifs d’apprentis dans l’enseignement supérieur bondissent également de 92 %. Ils sont passés de 11 469 contrats en 2019 à 22 034 en 2020 selon le Carif-Oref Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cette augmentation est le fruit des subventions d’apprentissage accordées par l’État en sortie de crise sanitaire, allant de 5 000€ pour un apprenti mineur à 8 000€ pour un apprenti majeur. En octroyant cette somme conséquente aux entreprises, le gouvernement leur a permis de continuer à recruter des jeunes, voire de les recruter en priorité. Et elles ont joué le jeu : d’un côté, les entreprises ont créé des postes en apprentissage et de l’autre, les formations initiales et professionnelles ont rapidement ouvert leurs formations à l’alternance pour répondre à ces besoins.
« J’ai vu l’offre augmenter d’un côté et le besoin de talents de l’autre. Nos étudiants sont très courus comme ceux des Arts et métiers et les Mines»
Françoise Henrio
Aix-Marseille Université, qui forme 80 000 étudiants sur le territoire, a étoffé son offre de formations en apprentissage, passant de 100 à 128 formations. Désormais, la quasi-totalité des cursus bachelor universitaire de technologie (BUT, en 3 ans) et les licences professionnelles peuvent être poursuivis en alternance dans une entreprise avec le CFA Epure. De même, l’école de commerce Kedge, dont le master (13 000€ l’entrée) obtient d’années en années plus de places en apprentissage dans les Bouches-du- Rhône, passant de 1064 places à 2383 places entre 2021 et 2022 selon Jocelyne Gonnet, la chargée de relations entreprises.
De son côté, l’école Centrale Marseille recrute 15 % d’alternants, un taux « en croissance constante » selon Françoise Henrio qui suit le parcours professionnel de 1 200 élèves. « J’ai vu l’offre augmenter d’un côté et le besoin de talents de l’autre. Nos étudiants sont très courus comme ceux des Arts et métiers et les Mines. Et nos trois écoles sont très soudées sur le territoire, car nous sommes peu. Nous organisons des événements ensemble, nous nous partageons des offres d’emploi… Et cette cohésion plaît beaucoup aux entreprises » témoigne l’ancienne ingénieure dans l’industrie.
Consolider l’offre en apprentissage a été crucial pour soutenir l’emploi des jeunes. Néanmoins, orienter cet apprentissage plus spécifiquement en direction des formations qui mènent aux métiers en tension est devenu un enjeu majeur aujourd’hui pour les décideurs privés comme publics.
Les formations initiales s’adaptent aux métiers en tension
Dans la région Sud, les métiers fortement en tension sont essentiellement des métiers de techniciens et d’ingénieurs. Dans le top 5, les techniciens en mécanique, les ingénieurs et cadre d’études, les techniciens en électricité, les couvreurs et les ingénieurs du bâtiment sont les métiers les plus convoités. Néanmoins, l’offre de formation en apprentissage n’est pas encore suffisamment adaptée pour absorber ces tensions. Pour l’heure, les offres de contrat d’apprentissage se concentrent surtout autour des filières commerciales « Fonctions transverses des entreprises et des administrations » (19 %), « commerce et ventes » (17 %) et du « bâtiment, travaux publics » (8 %) selon le Carif-Oref Paca. À l’inverse, les filières relevant de la « santé », des « moteur et mécanique auto », de la « chimie, plasturgie », de la « mode, matériaux souples et céramiques » et des « sciences humaines appliquées » représentent une part très faible du volume des sessions de formation en apprentissage (moins de 2 %).
En Paca, les métiers de la santé (aides-soignants, infirmiers…) et de l’hygiène sont également en fortes tensions. Pour les atténuer et mieux former au métier d’agent d’hygiène, propreté et stérilisation, l’Université Aix Marseille a créé une formation Bac +1 dans le cadre du plan de relance « 1 jeune 1 solution » de l’État mise sur pied par son service de formation professionnelle continue (SFPC). De son côté, l’école d’ingénieur Centrale Marseille qui forme des promotions de 1 200 étudiants, renforce ses efforts sur l’ancrage territorial. Si 90 % de leurs étudiants ne viennent pas de la région, « entre 25 et 30 % restent sur le territoire » as- sure Françoise Henrio avant d’ajouter : « Ce sont plutôt les Marseillais qui s’en vont, même si leur cœur reste à Marseille. » Aujourd’hui, la grande école d’ingénieur atteste d’une insertion professionnelle de ses talents à 100 %, forte de la variété des secteurs de ses parcours et de ses partenariats avec les entreprises locales dont Arcelor Mittal Méditerranée, Naval Group, CMA CGM, Veolia Eau Méditerranée et Airbus Helicopters pour l’industrie ou EY, PwC pour la finance. « On cherche vraiment à valoriser le territoire » témoigne Françoise Henrio. Néanmoins, les étudiants sont parfois réticents à rester dans la région pour trouver leur premier job.
Plusieurs centraliens interrogés sur le salon étudiant « le Foceen », organisé par Centrale Marseille, assumaient leur volonté de partir chercher du travail à Paris. Pour eux, deux raisons sont évidentes : le salaire plus élevé et l’offre plus diversifiée d’emplois. C’est ce qu’explique Pablo Panchev Rousselin, le président du forum : « Je sais que commencer à Paris est plus stratégique pour ma carrière » lançait-il, approuvé par ses camarades.
La formation professionnelle change ses codes
Pour faire face à ces problèmes de recrutements et de tensions sur le marché de l’emploi, la formation initiale n’est pas le seul recours pour les entreprises. Certaines préfèrent renforcer les compétences au sein de leurs équipes plutôt que de recruter des jeunes talents, ou en tout cas trouver un équilibre entre recruter et former. La formation professionnelle est largement plébiscitée par les Français. Selon le baromètre Centre Inffo de 2021, ils sont 92 % à estimer qu’il est important de se former tout au long de sa carrière. Or, 43 % disent aussi ne pas être assez informés par leur entreprise des formations à suivre. C’est l’un des rôles de la transformation du Compte personnel de formation (CPF) en 2018. La nouvelle loi qui encadre le CPF a donné la liberté aux salariés d’utiliser librement leur temps de formation, alors que la décision appartenait auparavant à l’entreprise. À partir de 2018, le CPF a été traduit par une somme d’argent (ex : 1 900 €) à utiliser dans un organisme de formation au lieu d’un nombre d’heures (ex : 48 heures).
De fait, la crise sanitaire couplée à la transformation de la formation professionnelle, ont permis d’augmenter le nombre de formation suivies. En 2020, 984 000 formations ont été suivies en France grâce à ce dispositif, ce qui représente quasiment le double par rapport à 2019 selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du Travail. Ainsi, le nombre d’organismes de formation a explosé en France : l’État en dénombre 115 000 en mai 2022. Dans le secteur de la santé, la formation continue se développe avec de plus en plus de formations infirmiers sur Marseille, idem pour les autres professions de santé.
Certaines entreprises créent leurs propres organismes de formation
Cependant, la Dares a démontré que le CPF avait majoritairement été utilisé à des fins de reconversion professionnelle, plutôt qu’encouragé par les entreprises pendant la crise sanitaire. Les entreprises auraient consacré leurs efforts à maintenir les emplois, plutôt que d’inciter les salariés à développer leurs compétences. Selon le ministère du Travail, la mise à l’arrêt de la formation continue par ces entreprises peut aussi « s’expliquer par le fait qu’elles ont la possibilité de la faire redémarrer à la demande, grâce à leur propre organisme de formation. » Un exemple local illustre cette mécanique. En effet, l’armateur marseillais CMA CGM a lancé son « Academy » pour former ses collaborateurs. Le groupe mondial ouvrira son centre de formation Tangram en septembre 2023 sur le terrain de l’Ecole nationale supérieure du maritime (ENSM) à la Pointe Rouge (ancienne école de la marine marchande). Un bâtiment sur quatre étages avec 20 salles et trois simulateurs de navigation sera dédié à la formation pour les salariés de la CMA CGM. « Nous comptons former entre 80 et 90 personnes par jour », avance Bruno Khane, le vice-président de la CMA CGM Academy.
Si les 120 000 collaborateurs du groupe seront les premiers à profiter de cette école, Tangram sera aussi ouvert aux autres entreprises : « Nos clients veulent profiter de notre expertise en logistique pour former leurs équipes » explique Benoît Tournebize, le directeur de cabinet du président du groupe Rodolphe Saadé. CMA CGM travaille actuellement avec certains partenaires comme Amazon et des groupes de formation pour la création de nouveaux cursus dédiés aux métiers du transport et de la logis- tique.
Des inégalités notables d’accès à la formation professionnelle
Avec le Covid-19, la formation à distance dite en « e-learning » a explosé. Selon une étude de l’ISTF menée auprès de 400 professionnels de la formation en 2021, 28% des centres de formation souhaitent augmenter la part de leur catalogue proposant des dispositifs 100% à distance alors qu’ils n’étaient que 11% en 2020. Ils sont trois fois plus nombreux aujourd’hui. Et cette tendance pourrait s’inscrire dans la durée puisque 89 % du panel estime vouloir faire évoluer leur offre vers plus de « blended learning » (formation hybride entre le digital et le présentiel). De son côté, AMU estime également que « 72 % des apprenants plébiscitent les parcours digitalisés. »
Néanmoins, selon le Centre d’étude et de recherche et de recherches sur les qualifications (Cereq), l’accès à la formation demeure inégal selon les fonctions occupées en 2021. La moitié des cadres contre un tiers des ouvriers a confié avoir suivi au moins une formation. « Les salariés des grandes entreprises et ceux en CDI à temps plein ont été plus nombreux à se former, comparativement à ceux en CDD ou à temps partiel » explique Ekaterina Melnik-Olive, chargée d’études au Cereq. Le temps dégagé par la mise en place du chômage partiel, associé à d’autres facteurs d’ordre personnel (conditions familiales) et professionnel (pratique de formation de l’entreprise) a représenté une opportunité de se former, notamment chez les salariés qui en avaient mûri le projet avant la survenue de la crise.
Toutefois, selon les conclusions du Cereq, d’autres leviers apparaissent autant sinon plus importants : l’élargissement de l’offre ou encore une meilleure information, notamment via le recours au conseil en évolution professionnelle (CEP) accessible à tous les salariés selon la loi.
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