« Le canard du doute aux lèvres de vermouth ». Isidore Ducasse, plus connu sous le pseudonyme de comte de Lautréamont, désignait ainsi les journalistes achevant leurs articles à l’heure de l’apéritif, avant le fatidique bouclage. Cette semaine c’est justement un Canard – enchaîné et souvent déchainé pour le meilleur – qui exprime son scepticisme dans un portrait de Michèle Rubirola maire de Marseille. Le volatile, à la manière du Monde une semaine auparavant, a du mal à imaginer l’élue verte dans la peau de première magistrate de la deuxième ville de France. Une majorité de nos confrères et consœurs sont, de fait depuis le mois de juin, plongés dans la plus grande perplexité par celle qui a pourtant effacé en douceur vingt ans de gaudinisme absolu.
C’est l’une des contradictions de cette ville multiséculaire : elle parle fort mais aime les forces silencieuses.
Hervé Nedelec
Même si comparaison n’est pas raison, on a retrouvé peu ou prou des commentaires qui accompagnaient déjà à la fin des années 80 l’accession du professeur Robert P. Vigouroux à la plus haute fonction municipale. Les communicants qui entouraient alors Vigouroux – à commencer par le turbulent Bernard Tapie – usait de l’image du « grand savant taiseux » d’envergure internationale, pour combler le silence abyssal du maire de Marseille. Les réserves des médias lucides sur cet élu ombrageux, n’ont pas pour autant empêché l’édile d’amorcer ou de réaliser les projets dont la ville avait besoin. Son camp, la gauche socialiste, s’est alors étiolée voire entretuée, jusqu’à dessiner la voie royale sur laquelle Jean-Claude Gaudin allait s’engager pour deux longues décennies. C’est l’une des contradictions de cette ville multiséculaire : elle parle fort mais aime les forces silencieuses. A l’hôpital, dont Robert P. Vigouroux était un pilier, on parle de « patron ».
Michèle Rubirola justement est médecin. Sera-t-elle pour autant une « patronne » ? Ses prestations publiques récentes, particulièrement son apparition chaotique dans l’émission de France 2 « Vous avez la parole », n’ont pas rassuré ses proches et laissé dubitatifs les téléspectateurs marseillais. Son entourage avait sans doute dû, à tort, lui conseiller de ne pas se rendre au stade Vélodrome et tenter un duplex depuis « sa » mairie. Funeste erreur ! Son intervention face à un ministre de la Santé, Olivier Véran, en surchauffe, fut une épreuve à la regarder et tenter de l’entendre. Ceux qui portent son étendard l’ont vécu ainsi. Il n’en fallait pas plus pour que les questions s’accumulent et que ses supporters comme ses adversaires s’interrogent : a-t-elle l’étoffe d’une dirigeante ? A-t-elle envie de régner sur Marseille ? A-t-elle autour d’elle la loyauté qui fait la force ?
A-t-elle gagné l’élection de juin ou est-ce la droite qui a brûlé ses propres vaisseaux ?
Hervé Nedelec
Ressurgit dès lors la question majeure : a-t-elle gagné l’élection de juin ou est-ce la droite qui a brûlé ses propres vaisseaux ? Les historiens le diront. Mme Rubirola, dès son premier discours, a affirmé qu’elle serait la maire de tous les Marseillaises et Marseillais. Elle a assuré aussi que « le clanisme, le népotisme, le clientélisme ont vécu ». Rien jusqu’ici ne permet de contester cette volonté même si le docteur Rubirola sait qu’il est difficile de sortir d’une longue maladie. Certains politiques ont des années durant métastasé le corps social et politique phocéen et, selon certaines études récentes, c’est un électorat jeune et soucieux du devenir de Marseille qui a mis fin à ce sombre règne. Et fait basculer, notamment au centre-ville, l’élection municipale en faveur du Printemps marseillais.
Parce que motivé sur des questions aussi essentielles que le vivre ensemble, la qualité environnementale, le bon usage des deniers publics, ces citoyens seront aussi vigilants qu’exigeants. Michèle Rubirola sait la difficulté de la tâche d’autant que la métropole, le département et la région dirigés par la droite ne lui apporteront pas une aide spontanée.
L’Etat attentif devra aussi être convaincu du bien fondé des choix et des priorités qu’elle va proposer. Elle pourra aussi légitimement, et ce sera fait prochainement avec la publication d’audits, arguer d’un héritage lourd avec un endettement record, des chantiers urgents – l’habitat indigne, et les écoles – des questions environnementales et de santé publique pressantes.
Pour l’heure quelques-uns agitent comme seuls arguments à lui opposer ses tergiversations, sa communication balbutiante, son duo prétendu « vénéneux » avec le socialiste, Benoît Payan. Elle a répondu par un silence prudent que d’aucuns assimilent à un dilettantisme patent. Un arrêt sur image ne fait pas tout un film, mais il est temps pour la maire de Marseille de raconter la suite de l’histoire.