La nouvelle donne du recrutement… Après avoir approfondi les changements en cours sur le marché de l’immobilier, la rédaction de Gomet’ s’intéresse dans ce nouvel hors-série, compris avec votre hebdomadaire, aux secteurs de l’emploi et de la formation. Ici aussi, de nouvelles tendances apparaîssent avec des talents qu’il faut de plus en plus séduire, et pas seulement avec une bonne feuille de paie. Les entreprises tentent de se renouveler pour engager les meilleurs tandis que les centres de formation multiplient les initiatives et formats.
Marché du travail : les mots ont pris du poids, l’emploi est effectivement aujourd’hui un marché et un marché en tension entre une offre, souvent pénurique, et une demande souvent pléthorique. Tous les professionnels que nous avons interrogés pour ce hors-série sont unanimes : la donne a totalement changé en matière de recrutement. Les directeurs de ressources humaines traquent les compétences, les entrepreneurs sont en manque de main-d’œuvre, les chasseurs de têtes ne trouvent plus de têtes. La situation est confirmée par une étude récente réalisée par la plateforme de recrutement en ligne Hellowork[1]. «Le marché de l’emploi et du recrutement en France, déclare Hellowork dans une conférence de presse a fortement évolué ces dernières années. De nouvelles pratiques ont émergé, entraînant de nouvelles attentes des candidats et actifs français. S’épanouir, mettre du sens dans son travail, avoir un bon équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle sont à présent des prérequis. La crise sanitaire a rebattu les cartes en accélérant l’adoption de certaines pratiques, comme le télétravail ou la visioconférence, mais aussi en bousculant les envies de bon nombre de Français. S’épanouir au travail n’a jamais été aussi important, et choisir la bonne entreprise pour y arriver est un défi majeur. »
Pourtant les acteurs du recrutement non pas encore totalement intégré cette nouvelle donne. Hellowork[2] par exemple note que le recruteur comme le candidat ont une vision différente de l’entretien : « Surprise, chacun pense que c’est l’autre qui a le pouvoir. Ainsi, 76 % des candidats pensent que les recruteurs sont en position de force, quand 79 % des recruteurs renvoient la balle aux candidats. »
En fait les transformations sont à l’œuvre depuis plusieurs années. Trois facteurs se cumulent :
D’abord l’inadéquation de l’offre de formation avec la demande des entreprises. L’étude du Carif-Oref qui reprend des chiffres de 2019 montre bien le décalage entre un système éducatif qui reste malthusien dans la production de cadres et d’ingénieurs et la demande des entreprises du territoire. Rappelons qu’il manque toujours 15 000 ingénieurs dans la région. Ce dysfonctionnement de nos systèmes de formation évolue dans le bon sens avec la généralisation de l’apprentissage et de l’alternance. La réforme attendue des lycées professionnels devrait contribuer à une meilleure adéquation entre la réalité de l’entreprise et les formations.
Le deuxième facteur est paradoxal, puisque les tensions sur le marché viennent de la bonne tenue de notre économie. L’économie française a recréé des emplois et des emplois industriels, elle est en croissance et malgré ses faiblesses structurelles comme le déficit du commerce extérieur, elle a fait un bond qualitatif et quantitatif ces dernières années. Les entreprises innovantes et en développement aspirent les talents et la ressource humaine devient un frein à la croissance.
Le troisième facteur est sociétal, il a été aggravé par la pandémie : les salariés, de certaines branches en particulier, ne veulent plus, ni du cadre de travail qu’on leur offre, ni des salaires, ni surtout de l’absence de perspective de leur vie professionnelle. La Dares, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion vient de publier une étude sur le télétravail et sur les mobilités des salariés. Les situations sont très diverses selon les professions : «Les familles professionnelles recourant le plus au télétravail, celles dont le pourcentage de « télétravail régulier » est supérieur à 50 % en janvier 2021 sont:
- Les techniciens et agents de maîtrise de l’électricité et de l’électronique,
- Les ingénieurs et cadres techniques de l’industrie,
- Les cadres des transports et de la logistique,
- Les techniciens des services administratifs, comptables et financiers,
- Les cadres des services administratifs, comptables et financiers,
- Les dirigeants d’entreprises,
- Les employés et opérateurs / les techniciens / les ingénieurs de l’informatique,
- Les cadres / les professions intermédiaires administratives de la fonction publique,
- Les employés / les techniciens / les cadres de la banque et des assurances,
- Les cadres commerciaux et technico-commerciaux,
- Les professionnels de la communication et de l’information. »
Difficulté supplémentaire pour les entreprises, les salariés quittent les grandes métropoles et sont prêts à déménager souvent à plus de 100 km de leur lieu de travail pour trouver un cadre de vie équilibré. « Entre les mois d’avril 2020 et 2021, les salariés du privé déménagent davantage qu’au cours des douze mois précédents (12,3 % contre 11,8 %) » note la Dares.
Trois défis pour le recrutement
C’est donc un nouveau marché du travail qui se dessine, et qui est un véritable défi tant pour les acteurs de la formation que pour les entrepreneurs.
Le premier défi est celui que l’on appelle le plein-emploi. Nous serions au plein-emploi lorsque nous avons un chômage qui se situe entre 4 et 5 %. Une situation évidemment positive parce qu’elle est marquée aujourd’hui par une reprise de l’emploi des jeunes, secteurs où nous étions parmi les plus mauvais en Europe. Mais ce plein-emploi est une fiction. Si les 5 % de chômage étaient également répartis entre tous les salariés, cela signifierait que chacun d’entre eux irait à Pôle emploi une fois tous les 20 ans. Nous en sommes loin! Car nous avons un « stock de chômeurs de longue durée » dans ces 5 % ou dans ceux qui ne sont pas comptabilisés qui sont, comme on dit pudiquement, « éloignés de l’emploi». L’échec de notre école fait qu’ils ne maîtrisent pas les opérations élémentaires de calcul et d’écriture, qu’ils n’ont pas l’expérience de l’entreprise et du travail et qu’il faut un accompagnement lourd tel que celui qui est fait par les Missions locales pour aller vers une insertion durable. Si nous ne trouvons pas de d’issue à ce chômage résiduel, il deviendrait et il est, peut-être déjà, un facteur explosif pour notre société. Le plein-emploi est donc un emploi inégalitaire si on ne corrige pas les inégalités de chances.
Le deuxième défi est celui des formateurs, des grandes et des moins grandes écoles. Nous avons le paradoxe de pratiquer une école sélective, qui produit insuffisamment de managers et d’ingénieurs, de techniciens, mais elle est loin de l’excellence revendiquée, puisque les classements internationaux ne nous placent pas en haut des palmarès. Nos entreprises ont besoin de milliers d’ingénieurs et de techniciens. Qui va relever le défi de les former et de leur ouvrir les portes des entreprises ? Les gisements sont pourtant évidents : les femmes ingénieurs représentent en moyenne 20 % des ingénieurs en exercice. Cherchez l’erreur !
Enfin le dernier défi est celui du management et du recrutement, nous titrons ce hors-série sur “le recrutement inversé” mais si l’on en croit l’étude qui a été entreprise par la plateforme Hellowork, les pratiques des recruteurs datent encore du siècle dernier. La plateforme relève que les canaux ont changé : « La tension sur le marché́ du recrutement est telle que les recruteurs utilisent de multiples canaux. Les services publics de l’emploi arrivent en deuxième position chez les recruteurs (87 %), comme chez les candidats (60 %). Les bases de CV (ou CVthèques) utilisées par 55 % des candidats et 74 % des recruteurs constituent le troisième canal de recrutement. Le réseau professionnel ou personnel, les salons emploi et job-datings virtuels, viennent compléter les solutions utilisées par les candidats, alors même que les recruteurs y sont relativement nombreux. Un signe que les recruteurs utilisent toutes les pistes à leur disposition pour trouver les profils qui leur font défaut. »
Mais les offres, les méthodes ne sont pas en phase avec les candidats sur des éléments basiques : « Le salaire est l’élément jugé le plus important dans une offre d’emploi par les candidats, mais un tiers des recruteurs seulement disent l’indiquer systématiquement. Seuls deux recruteurs sur trois envoient un accusé de réception de candidature et un recruteur sur trois n’envoie pas systématiquement une réponse aux candidats non retenus, alors que ce sont des attentes majeures des postulants. »
Enfin les attentes sur la culture d’entreprise sont majeures : « les informations sur la culture d’entreprise (ambiance, management, valeurs…) sont le plus recherchées après le salaire. 83 % des candidats disent les trouver importantes dans une offre ! »
[1] Hellowork compte 430 salariés et a réalisé 71 millions € de commandes en 2021. Les services d’Hellowork Group sont utilisés par 30 000 professionnels chaque mois et génèrent plus de 4 400 recrutements et 300 formations par jour selon le groupe.
[2] Hellowork a interrogé́ 1 724 candidats et 355 recruteurs du 16 au 28 mars 2022. Ils ont répondu à des questions sur leurs usages, sur leur utilisation des offres d’emploi mais aussi sur leurs relations et échanges au cours du process de recrutement.