« Y’a-t-il plus de cancers ici qu’ailleurs ? », « Le diabète de type 1 est-il plus fréquent ici qu’ailleurs ? Et les maladies auto-immunes ? » « La santé des enfants est-elle impactée ? »… Depuis le début des années 2000 et notamment les controverses citoyennes autour de l’installation de deux terminaux méthaniers et de l’incinérateur de déchets ménagers de la ville de Marseille dans la zone industrialo-portuaire (ZIP) de Fos, les habitants se posent de nombreuses questions sur l’impact sur leur santé des expositions cumulées dans leur environnement direct, notamment industriel. À leurs portes, une concentration d’industries chimiques, pétrochimiques, sidérurgiques, d’incinération de déchets ménagers et industriels, de plateformes logistiques avec leur trafic maritime et routier induit, de terminaux pétroliers, méthaniers, céréaliers, et autres cimenteries, émettent quantité de polluants, tous les jours. Trois maladies chroniques ont montré des prévalences particulièrement élevées au sein de la population de répondants de l’étude Fos Epseal. Il s’agit de l’asthme cumulatif, des cancers et des diabètes.
Une prévalence élevée de l’asthme cumulatif chez les adultes
L’asthme est l’une des maladies chroniques les plus communes chez les répondants. Plus de 15,1 % rapportent avoir ce que l’on nomme de « l’asthme cumulatif », c’est-à-dire le fait d’avoir eu dans sa vie, ou d’avoir actuellement, de l’asthme, contre 10 % au niveau national. De manière significative, l’asthme à Fos-sur-Mer et à Port-Saint-Louis commence à l’âge adulte pour 48 % des participants à l’étude. La littérature scientifique a déjà établi le rôle de la pollution de l’air dans le déclenchement des exacerbations de l’asthme chez l’adulte déjà asthmatique. Les études les plus récentes suggèrent aussi un rôle des polluants atmosphériques dans le déclenchement de l’asthme lui-même, à l’âge adulte. Pour le Dr Dominique Bonnet, pneumologue du CHG d’Arles ayant aussi exercé une grande partie de sa carrière à Port-Saint-Louis, « Il n’est pas surprenant de trouver plus de maladies respiratoires dans une région où il y a des usines donc des émanations… ça tombe sous le sens… ». Pour elle comme pour les habitants, le potentiel irritant des allergènes et particules en suspension dans l’air de la zone, est forcément exacerbé dans le voisinage d’usines dont on sait spécifiquement que les process impliquent l’utilisation, l’émission et la production d’agents chimiques potentiellement ou reconnus pneumallergènes.
A Fos-sur-Mer, deux quartiers dépassent en outre les 20% de prévalence. La pointe de la ville située en bordure directe des deux accès routiers principaux longeant la ville au Nord et à l’Ouest, est fortement exposée aux pollutions industrielles environnantes par tous régimes de vent. Le second quartier de Fos le plus touché borde le Nord de l’étang de l’Estomac. Dans ce quartier, les Fosséens ont suggéré qu’il y aurait une entrée de particules irritantes par l’étendue sans obstacle de l’étang, en provenance de la plateforme de Lavéra, de la cimenterie toute proche ou du trafic sur la RN568. A Port-Saint-Louis, ce sont les quartiers Est qui sont les plus touchés. En tête des explications retenues, l’influence de toutes les particules et polluants irritants en provenance de la zone industrielle de Fos. « Le panache industriel global mis en suspension du fait des activités industrielles atteint la ville par les quartiers où l’asthme est le plus élevé. Par vent fort, ce sont aussi ces quartiers qui sont les plus impactés par les particules plus ou moins grossières provenant des remblais de laitiers et autres matériaux irritants utilisés pour combler les marais et installer les nouvelles plateformes logistiques », estime l’étude.
Le cancers du sein touche 3 fois plus de femmes qu’en moyenne en France
Dans l’enquête, les cancers sont relativement communs et plus élevés qu’en France. Parmi les répondants, 11,8% ont ou ont eu un cancer alors qu’on estime que 6% de la population française est ou a déjà été atteinte de cancer. Les types de cancer les plus fréquents parmi les répondants sont dans l’ordre décroissant, le cancer du sein (26% de tous les cancers de l’étude, pour une prévalence de 3% dans notre population totale adulte), le cancer de la prostate et de l’utérus (chacun respectivement 11,5% de tous les cancers de l’étude, et 1,3% des adultes de l’étude). Les cancers les plus fréquents chez les habitants de Fos et de Port-Saint-Louis touchent presque exclusivement l’un des deux sexes : les hommes pour la prostate, les femmes pour le sein et l’utérus. Dans l’étude, les femmes sont plus touchées par les cancers que les femmes en France. En effet, 14.5% des femmes (sur 468 femmes) ont rapporté avoir ou avoir eu un cancer, contre 5.3% en France, soit quasiment trois fois plus.
Toujours selon l’étude, la piste environnementale résidentielle et une plus grande vulnérabilité des femmes à certains polluants perturbant le fonctionnement hormonal ou affectant des organes qui le régulent reste l’explication la plus probable. Les femmes des deux villes du golfe de Fos travaillent moins que les hommes. Les participants aux ateliers ont rappelé que l’hypothèse selon laquelle une exposition régulière à la pollution de l’air dans la zone pouvait constituer un des facteurs favorisant le développement des cancers chez les femmes. « Au-delà du compartiment air, l’ensemble des voies d’exposition résidentielle aux polluants susceptibles de perturber le système hormonal et d’influencer la carcinogenèse peut contribuer à affecter gravement la santé des femmes. La pratique de la collecte, pêche ou cueillette de produits locaux imprégnés de ces polluants, sur des périodes plus ou moins longues, y contribue peut-être. De même, le nettoyage à la maison des bleus de travail encore imprégnés des « poussières » et polluants des expositions professionnelles des hommes du foyer, encore rapporté aujourd’hui dans notre enquête, peut aussi jouer un rôle. L’aspect intergénérationnel des types de cancer rapportés chez les femmes, en cas de stabilité résidentielle de la population comme il semble que ce soit le cas dans l’étude, peut aussi constituer une piste explicative intéressante », décrit l’équipe de recherche.
Le diabète de type 1 plus présent sur les deux communes
Chez les répondants, 12,9 % ont ou ont eu un diabète, alors qu’en France la prévalence est de 5,2 %. Et l’enquête montre que le diabète de type 1 est beaucoup plus représenté que sur la population nationale. 11, 5 % des participants diabétiques relèvent du type 1 contre 5,6 % dans l’ensemble du pays. D’après Sylvaine Goix, qui prépare avec l’Institut écocitoyen une étude des variations des taux de diabète de type 1 dans un ensemble de communes du département, « dans l’étude, si on est à près de trois fois le niveau national de diabète de type 1, cela montre qu’on doit creuser dans le sens du lien avec la pollution… ». A l’hôpital de Martigues, les endocrinologues ont noté un taux de diabète auto-immun (type 1) qui les intrigue. De même qu’à Port-Saint-Louis, certains médecins locaux avaient été alarmés par le nombre d’enfants atteints de diabète. « Au-delà de la mise en lumière de l’écart significatif entre prévalence locale de diabète auto-immun et prévalence en France, ce résultat essentiel de l’étude pose à nouveau la question des mécanismes locaux qui pourraient faire réagir plus qu’ailleurs le système immunitaire. En effet, le diabète de type 1 appartient à la catégorie des maladies auto-immunes, qui sont elles-mêmes des maladies liées à un dysfonctionnement du système immunitaire », note l’étude.
La répartition spatiale des prévalences du diabète montre une certaine homogénéité, mis à part pour les quartiers de Port-Saint-Louis situés le long du Rhône et dans la zone de Malebarge, Allende et Faubourg Venise, plus touchés. À Fos, c’est le quartier des Carabins qui enregistre une hausse (comme pour les cancers). « Les Carabins constituent un contre-exemple à l’explication unique par le critère de la défaveur sociale, ainsi que le sont les quartiers bordant le Rhône, à Port-Saint-Louis. Au cours des ateliers, la piste des perturbateurs endocriniens a été envisagée, en toute logique. Les PCB (polychlorobiphényles), perturbateurs endocriniens, sont présents de manière massive dans l’eau du Rhône et certains sont émis par les usines dans la zone industrielle. On comprend qu’ils peuvent aussi se retrouver dans l’eau du golfe de Fos, à l’embouchure du Rhône, et dans les poissons et fruits de mer et d’autres produits cultivés ou ramassés localement. Certaines études scientifiques ont montré que les concentrations de PCB étaient plus élevées dans le lait maternel des femmes qui développent un diabète de type 1 », énonce les auteurs de l’étude. Ils se sont également penchés sur les autres maladies endocriniennes : 13,4 % des répondants ont répondu en être affecté, en comparaison des 10% de la population française. Les types les plus communs de maladies endocriniennes cités sont les nodules et ablations ou cancers de la thyroïde, les dysfonctionnements de la thyroïde (dysthyroïdies, hypo ou hyper-thyroïdies) et les cancers hormonodépendants.
REPERES
> Consultez l’étude Fos Epseal dans son intégralité> Équipe et méthodologie de l’enquête
L’équipe de recherche qui a proposée l’étude participative en santé environnement ancrée localement sur le front industriel de Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône (Fos Epseal) s’est formée autour de sa directrice scientifique, Barbara Allen, sociologue et professeur au sein du programme « Sciences et technologies dans la société » à l’école polytechnique Virginia Tech University (États-Unis), de Yolaine Ferrier, membre du Centre Norbert Elias à Marseille, de l’épidémiologiste et biostatisticienne Alison Cohen, de l’université de Berkeley et de Johanna Lees, docteure en sociologie du Laboratoire de sciences sociales appliquées de Marseille.
Depuis le début de l’année 2015, l’équipe a recueilli plus de 800 réponses, documentant la santé de plus de 2 000 habitants dont 454 enfants, soit en tout plus de 8% de la population des deux villes. L’équipe a consulté et interviewé plus de quarante acteurs locaux : médecins, cadres techniques des services santé, représentants d’associations en charge de la surveillance de la qualité de l’air ou de l’environnement… L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a financé l’étude sur la période 2015-2017, sur des fonds qui lui ont été confiés par l’Institut thématiques multi-organisme cancer d’Aviesan. L’équipe de recherche, indépendante, franco-américaine et pluridisciplinaire (sociologie, épidémiologie, biostatistiques, anthropologie) était basée au Centre Norbert Elias à Marseille et son financement géré par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
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