Dans l’indifférence générale, avec des scores peau de chagrin sur les antennes et la portion congrue sur le papier, le débat européen tente de s’extirper de la gangue dans laquelle quelques gaulois réfractaires s’entêtent à l’enterrer. Peine perdue. Du Nord au Sud c’est à celui qui surenchérira le plus violemment dans l’art singulier de noyer le poisson dans la vase abjecte de la haine et du rejet de l’autre. M. Mélenchon privé de meeting pro-Palestine à Lille assimile son censeur – un président d’université – à Adolf Eichmann, un des tenants de la Solution finale. Mezzo voce son principal adversaire, M. Bardela, recommande pour sa part aux émigrés qui veulent s’assimiler de choisir pour leurs enfants un prénom français. Comme Jordan sans doute, prénom d’origine hébraïque qui rappelle le fleuve que les insoumis veulent relier à la mer. Affligeant.
Heureusement, en mettant le cap au Sud, on peut retrouver le goût de la compétition et de la saine polémique. Avec l’OM bien sûr, qui rêve de reprendre une petite coupe européenne à la santé des princes. Mais plus sûrement avec notre immortel préféré, Marcel Pagnol, dont on célèbre le cinquantenaire de la disparition, mot éminemment inconvenant lorsqu’on sait la place qu’il tient encore dans nos bibliothèques et dans le patrimoine littéraire français.
Les commémorations évoquent souvent les guerres. Celle-là ne déroge pas à cette tradition et elle ne laisserait sans doute de surprendre l’auteur de Manon des sources, de La fille du puisatier ou encore de la célébrissime Trilogie. Sur ce ring insolite les forces vives de notre gent politique locale, départementale et régionale. A ma gauche Benoît Payan portant fièrement les couleurs de Marseille qu’il défend du bar de la Marine aux marches de la Treille en passant par la Canebière. A ma droite Renaud Muselier, Martine Vassal, Lionel de Cala (maire d’Allauch), Gérard Gazay (maire d’Aubagne) faisant bloc derrière l’étendard de Nicolas Pagnol petit-fils du célèbre cinéaste, écrivain, auteur de théâtre.
Petite explication de ce pugilat. Au commencement le petit Nicolas rêvait de vivre sa vie de château à la Buzine, propriété de la municipalité qu’il avait gérée avec succès pendant cinq ans. Le château de ma mère – selon la légende pagnolesque – attirait pourtant 80 000 visiteurs par an mais M. Payan entendait être maître en sa nouvelle demeure. Elle serait donc vidée de sa substance par l’héritier qui retirait des lieux tout ce qui appartenait au fonds de dotation Pagnol ainsi que, déterminant, le droit d’exploitation et de représentation de l’œuvre ou du nom de l’académicien français.
Alors que la mairie, fort marie, campait sur sa position, Nicolas prenait donc le maquis ou plutôt la garrigue en rejoignant les terres où son grand-père estivait, chassait la bartavelle, s’encanaillait avec un chevrier.
L’aubaine était trop belle pour les adversaires de Benoît Payan qui emboitaient le pas impétueux de Nicolas et s’appropriaient ce patrimoine provençal que l’on passait dès lors au laminoir d’une pensée choisie. Ces dernières heures, on a ainsi inauguré la promenade des époux Pagnol dans la délicieux noyau villageois de la Treille. Un intervenant estimait qu’à travers Pagnol c’était des valeurs intemporelles qu’on célébrait : « L’amour, la famille, le travail, la solidarité ». En écho un autre élu, au nom de ses valeurs et traditions encore et toujours s’emporte : « S’ouvrir à la Méditerranée c’est bien, mais il ne faut pas oublier le Garlaban. » Sur une des pages de « Mein Kampf » la bible d’Hitler, Pagnol un temps, soupçonné à tort de complaisance avec Vichy, avait écrit « Quel con ». Peut-être l’écrirait-il au pluriel aujourd’hui.
Bon, on nous annonce aussi l’ouverture d’un musée consacré à cette plume acérée à Allauch en 2026. Dommage pour Marseille qui laisse ainsi s’échapper partie de son plus précieux patrimoine. Dans l’annuaire des académiciens marseillais il reste Edmond Rostand et Adolphe Thiers. Mais le premier a fait carrière loin du Lacydon et le second a martyrisé la Commune. Comme c’était dit dans Marius : « quand on fera danser les couillons tu ne seras pas à l’orchestre ! ».