Cyril Dufau-Sansot, le directeur général d’Hy2gen, industriel, chef d’entreprise franco-allemand, ancien de Polytech Marseille, a fait du groupe basé en Allemagne à Wiesbaden, un opérateur mondialisé porteur de projets industriels ambitieux pour la production de carburants de synthèse à base d’hydrogène vert destinés au transport maritime et terrestre, à l’aviation et l’industrie. En 2022 il a réalisé une levée de fonds records dans l’hydrogène de 200 millions d’euros mené par Hy24 avec Mirova, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et Technip Energies. Il est actif dans la région avec deux projets Sunrhyse à Signes et Hynovera à Gardanne et Meyreuil. Le projet qui doit s’implanter sur les surfaces libérées de la centrale thermique a suscité débats, contestation, pétitions et rejets. Mais toujours souriant et décontracté face aux oppositions, Cyril Dufau-Sansot revient après la concertation préalable avec un projet totalement réinventé à base de CO2 biogénique. Explication de texte pour Gomet’ et revue de détail des projets régionaux.
Où en est la construction de Sunrhyse à Signes dans le Var dont vous avez posé la première pierre en décembre 2022 ?
Cyril Dufau-Sansot : Nous déployons des solutions hydrogène et cela prend du temps ! La construction sur le site se fera à partir du 2e semestre 2024. Ensuite nous recevrons les équipements mi-2025 pour une production en 2026 de 4 mégawatts d’électrolyse.
Quel est l’investissement et qui investit ?
C.D-S : L’investissement global est de 20 millions d’euros dont 30 % de fonds propres, nous-mêmes et certains de nos partenaires investisseurs. 30 % de subventions, puisque l’écosystème Hynovar avait été lauréat de l’appel à projets Ecosystèmes territoriaux hydrogène, (il avait reçu environ 17 millions d’euros) . Pour Sunrhyse nous avons reçu environ six millions€, le solde du bouclage du financement se fait avec de la dette bancaire.
À Gardanne vous avez profondément changé le projet. Le 19 mars 2024 les garants dans leur bilan annuel annoncent sur le site de la concertation préalable, “Hynovera est en cours de reconfiguration”. “Le maître d’ouvrage a décidé de produire uniquement du carburant d’aviation durable pour des acteurs locaux. Hy2gen a désormais acté de les fabriquer à partir de CO2 biogénique et non plus de biomasse forestière.” C’est un retournement complet ?
C.D-S : Nous avons pris acte du fait que le classement Seveso est pour les collectivités, les riverains et les associations un point bloquant. Nous appliquerons, malgré tout, les préceptes dictés par le classement Seveso seuil bas. En termes de sécurité, nous ne dérogerons en rien à nos projets et à nos valeurs. La sécurité reste notre priorité.
Document du dossier de concertation
Nous avons changé de technologie, nous abandonnons le procédé de gazéification de biomasse, mais pour étudier un procédé alcoolique de fermentation et de distillation. Ça se rapproche très fortement de la production de spiritueux ou de rhum dans les Antilles ! Nous allons fabriquer de l’alcool qui sera transformé en carburant renouvelable. Nous avions deux possibilités, soit la fermentation de biomasse, soit la fermentation de CO2 biogénique.
Au vu de nos études nous retenons uniquement la voie de fermentation de CO2 biogénique, principalement pour des raisons économiques. La fermentation de biomasse demandait une grande emprise foncière et limitait la production de carburant renouvelable sur site.
Concrètement comment distille-t-on du CO2 biogénique ?
C.D-S : Le CO 2 biogénique est issu de ressources renouvelables et principalement indirectement de bois ou de déchets organiques. Il y a deux types de CO2 aujourd’hui :
- Le CO2 dit industriel, est issu principalement de la combustion des dérivés du pétrole
- Le CO2 biogénique issu de combustion de dérivés d’activités issues du bois comme la papeterie.
Nous utiliserons le CO2 qui n’est pas issu du pétrole, soit des centrales biomasses, soit des sites de production de biogaz, soit des papeteries par exemple.
Quels sont les gisements de ce CO2 ?
C.D-S : Nous avons de gros gisements de CO2 dans la région comme la papeterie à Tarascon, les centrales biomasse, la centrale de Gardanne, les productions de biogaz dans le Vaucluse, nous discutons avec pas mal d’acteurs.
La question du transport des camions a focalisé les débats lors de la concertation préalable. Comment ce CO2 arrivera-t-il sur site ?
C.D-S : Le CO2 peut être transporté de façon liquéfiée par camion, ou par pipeline, il est alors gazeux et les réseaux pipeline dans la région sont très développés.
Quel sera l’équipement à construire sur le site ?
C.D-S : Il y a une partie de fermentation avec des enzymes qui va, je dirais, grignoter la molécule de CO2. Et à côté de ça, nous aurons une production d’hydrogène par électrolyse de l’eau, comme c’était aussi prévu initialement.
Une fois que le CO2 est “fermenté”, on se retrouve avec un alcool, de l’éthanol. Les molécules de carbone et les molécules d’hydrogène vont s’agglomérer avec ça, nous pourrons donc produire du kérosène de synthèse.
Votre cible commerciale reste toujours le transport aérien ?
C.D-S : Nos clients finaux seront les compagnies aériennes. Nous livrerons du carburant de synthèse qui sera in fine mélangé jusqu’à 50 % avec du kérosène fossile pour être intégré dans les réservoirs des avions. Nous sommes sur le marché du SAF (pour sustainable alternative fuel.)
L’Union européenne et la France ont défini des minimums de consommation de carburant durable, en 2025, il faut que les compagnies aériennes mettent 2 % de kérosène vert dans leur mélange, ça va monter à 6 % en 2030 jusqu’à 70 % en 2050. Tous les projets seront nécessaires !
Comment sera financé le projet gardannais ?
C.D-S : Nous allons créer une société de projet dont nous serons l’actionnaire majoritaire et nous resterons propriétaire du site. Nous investirons sur fonds propres, environ 30 %. Le reste se construira avec des subventions et principalement par de la dette. Natixis, des groupes bancaires font partie de nos actionnaires. Nous travaillons à structurer un pool de banques pour financer la partie de dette de chaque projet.
La concertation se poursuit…
C.D-S : Nous sommes dans une phase de concertation continue jusqu’au démarrage d’une enquête publique. Pendant cette phase-là, nous communiquerons vers les associations, les collectivités, les parties prenantes pour leur présenter les évolutions du projet et répondre à leurs attentes. Il faut alors des éléments factuels, étoffés et concrets. Nous avons donc relancé des études et nous poursuivrons avec des nouvelles études (1) plus détaillées. Nous présenterons probablement au 2e semestre à la CNDP les modalités de communication. Fin d’année 2024, nous organiserons quelques réunions publiques pour présenter les résultats, les évolutions du projet et répondre aux différentes questions.
(1) Hy2gen contribue au programme Syrius, lauréat de l’appel à projet Zibac, pour « Zones industrielles bas carbone » sur Marseille-Fos- Berre- Gardanne. Avec 40 industriels et 9M€ de budget, le programme Syrius réalise une trentaine d’études d’ingénierie et de faisabilité cofinancées par l’État et les industriels du territoire pour définir une trajectoire de décarbonation. Le projet est porté par l’association Piicto qui en assure la coordination générale.