L’opération a mis du temps à mûrir. Depuis 2019 les services de la Métropole avaient identifié le haut de la Canebière comme un espace privilégié d’intervention pour redynamiser le quartier.
Le Cinéma Artplexe et son toit-terrasse, l’Odéon, la faculté de droit, la Place de l’innovation du CIC aux allées Gambetta, la réfection de la place Léon Bum et le ravalement de l’Église des Réformés font bouger les lignes, mais le lieu en gestation à cheval sur la Canebière et les allées Gambetta a pour vocation à faire vivre des activités culturelles et économiques sur un même lieu en journée et en soirée. Ce qui manque dans un secteur en grande paupérisation.
L’opération met autour de la table la Métropole, bien sûr, dans le cadre de son opération Grand Centre-Ville, mais aussi la municipalité et l’Établissement public foncier régional (1) qui n’ont pas souvent la capacité à travailler ensemble. Pour définir un espace d’aménagement viable de 2300 m2, quatre bâtiments distincts ont été réunis dans un projet unique de réhabilitation. Ils sont situés aux 26 et 28 allée Léon Gambetta et aux 113 et 115 La Canebière.
Côté Canebière, les immeubles ont subi des squats. Ils ont été acquis à l’amiable en 2020 auprès de l’AP-HM pour l’immeuble du 113, et en 2022 auprès d’Aix-Marseille-Université (AMU) pour l’immeuble du 115.
Côté Gambetta ce sont d’anciennes résidences de la bourgeoisie marseillaise, des patrons de compagnies maritimes grecs en général, qui avaient construit de belles demeures avec un jardin entre Canebière et Gambetta. Ils ont été transformés en immeubles de bureau, occupés longtemps pour partie par une mutuelle. Ils ont été acquis par préemption en 2019.
Les locaux hébergent notamment Dunes (médiation sociale) et surtout le QG des Éco-acteurs géré par le collectif Synchronicity en occupation temporaire et de manière transitoire, qui fédère les acteurs de l’économie sociale et solidaire de Marseille dans un lieu d’échange et de travail.
Au milieu de l’année 2022, l’Établissement public foncier en lien avec la Métropole et la Ville de Marseille a lancé une consultation d’opérateurs. Le projet porté par Pivot Panda, l’investisseur européen la Foncière Magellan et l’architecte Matthieu Poitevin (agence Caractère spécial) a été retenu en novembre 2023 pour son approche innovante. Pivot Panda, est contractant général des usages. D’autres parties prenantes sont impliquées comme Hiptown, acteur français du coworking à impact et Orane, l’association qui organise le festival Marsatac.
Pivot Panda se définit comme un « créateur de lieux uniques ». Dénicheurs et concepteurs basés à Marseille, ses collaborateurs réalisent « des projets d’espaces de travail, de lieux de vie tels que des hôtels, des commerces, du co-living, coworking ou des logements meublés, centrés sur les usages et adaptés aux besoins du client. » Ils connaissent bien le quartier puisqu’ils y ont piloté le roof top des Réformés qui connaît un vrai succès.
La Foncière Magellan (Paris) est un acteur européen de la gestion d’actifs immobiliers, créée en 2010, agréée par l’AMF ; elle recherche « des actifs à forte création de valeur (rénovation, restructuration…), avec un double objectif de performance financière et environnementale ». L’investissement est chiffré à huit millions d’euros.
Un démonstrateur de l’économie du centre-ville
Laure-Agnès Caradec, conseillère métropolitaine déléguée à la planification (PLUi), à l’urbanisme se félicite de cette coopération : « Je suis particulièrement fière de voir ce projet évoluer dans le bon sens, depuis son lancement en 2019. La Métropole mobilise pleinement sa compétence en matière économique et d’immobilier d’entreprises avec les nouveaux dispositifs ‘‘Aix-Marseille Provence Immo Invest’ et l’aide pour les commerçants et artisans destinée à la modernisation et l’exploitation de locaux vacants situés dans les centres-villes et villages métropolitains. »
Laurent Lhardit, adjoint au maire en charge du dynamisme économique, de l’emploi et du tourisme durable voit naître une « opération emblématique de la redynamisation que nous souhaitons, avec la maire de secteur, Sophie Camard, pour le centre-ville de Marseille, avec une bonne coordination des acteurs publics, conjuguée à l’initiative privée, dans un dialogue exigeant ». Il souhaite dupliquer la méthode : « c’est, dit-il dans un communiqué, « un véritable démonstrateur que nous souhaitons reproduire sur d’autres sites », avec une « politique de préemption commerciale et, demain, avec la foncière de redynamisation commerciale et tertiaire qui va être créée. »
Des archéologues du vivant
Matthieu Poitevin a fait une proposition respectueuse des lieux et de leur histoire. Pas question ici, comme on le voit ailleurs, de démolir les planchers pour ne garder que les façades et faire des plateaux de bureaux anonymes.
Dans un entretien avec Gomet’, il confirme qu’il va conserver le bâti y compris l’agencement des locaux et des espaces, il veut préserver les traces d’occupations et d’usages antérieurs pour ne pas rompre avec le récit du quartier. Le défi de son agence « Caractère spécial » est « de réparer, repenser, transformer et améliorer la ville, de donner une chance à la ville ancienne de porter en elle les germes d’une nouvelle modernité. » Les quatre anciens immeubles, lit-on dans la présentation du projet, « d’un côté aux plafonds moulurés et escaliers de marbre, de l’autre, aux ouvertures murées et intérieurs dévastés, seront transformés en un lieu hétéroclite au cœur d’un quartier en pleine transformation. Ils seront reliés, rassemblés en une seule et même entité construite à partir de leur diversité, de leurs aspérités, de leur vie. »
Le projet a été conçu avec ses futurs occupants inversant la donne habituelle de locaux en blanc. « Respecter les bâtiments c’est en respecter le mode constructif mais aussi le mode narratif, plaide Mathieu Poitevin, les architectes agissent ici comme des archéologues du vivant » avec la création d’activités tertiaires en coworking, un hub des métiers de la musique, des activités de restauration ouverte sur les deux façades et autorisant le riverain à traverser l’îlot. Pour des prestations et services équivalents, le loyer au m2 des espaces dédiés à l’ESS est décoté de 25%, permettant de supporter à la fois l’équilibre financier du projet et l’équilibre de l’opérateur Orane/Marsatac.
Un hub des musiques urbaines
« La réunion de tous les acteurs du projet très en amont et durant la conception a permis la mise au point d’un programme de travaux adapté et pertinent dans le contexte urbain, garantissant les objectifs de confort et de performance environnementale, tout en préservant et en magnifiant le fameux « déjà là ». La participation financière de Foncière Magellan via son fonds à impact a quant à elle été déterminante dans la faisabilité économique du projet compte tenu de son caractère innovant, du niveau des taux d’intérêt actuel et de l‘augmentation permanente des coûts de construction », commente Guillaume Tanguy, CEO de Pivot Panda.
« Le bâtiment raconte sa vérité, on n’impose pas une histoire toute faite, raconte à Gomet’ Guillaume Tanguy fondateur de Pivot Panda. Le bâtiment a sa noblesse. On a travaillé sur les potentialités du lieu et nous avons construit un tour de table financier qui est bouclé. » Techniquement les opérateurs sont en phase de curage pour éliminer tout « ce qui ne sert à rien ».
Entre les quatre immeubles, l’espace encombré de constructions parasitaires sera dégagé et l’opérateur creusera une salle de spectacle d’une centaine de places pour le hip-hop et le spectacle vivant. Le toit terrasse deviendra un jardin intérieur. « L’îlot se voit restituer un cœur et un sol, végétal, aéré et à l’air libre. Passages couverts, jardin, restaurant, cafétéria associative, salle de musique, studios d’enregistrement, locaux pour ateliers et réunions, et autres bureaux de coworking ou privatisables, composeront ce lieu unique au cœur de la ville phocéenne. L’ensemble retrouvera sa végétalisation et permettra de circuler librement, de faire de l’îlot un lieu vivant, à l’écoute de son environnement et des mouvements du monde, un lieu ressource à l’échelle du quartier et de la ville. »
Le projet accueillera notamment :
- 1300 m2 de coworking à impact dédié à l’opérateur Hiptown
- 550 m2 de hub des musiques urbaines porté par Orane Marsatac
- Une salle de spectacle de 100 personnes, des studios d’enregistrement,
- Un jardin, des lieux conviviaux, un restaurant et un café.
- Un nouveau cheminement urbain permettant de relier la Canebière et les Allées Gambetta.
- Une offre de restauration locale, dont l’opérateur n’a pas encore été désigné et fera ultérieurement l’objet d’un appel à manifestation d’intérêts
Le projet vise la labellisation BBC rénovation Effinergie, il fera l’objet d’un dépôt de permis de construire avant l’été 2024, pour une inauguration en 2025 au terme de 18 mois de travaux.
Équipe projet :
- Investisseur/MOA : Foncière Magellan
- Contractant et développeur : Pivot Panda
- Architecte mandataire : Caractère Spécial – Matthieu Poitevin Architecte
- Architecte du patrimoine : Atelier Sébastien Cord
- Paysagiste : Merci Raymond
- Bureaux d’études : Index Structures, B52, Indigo Énergie, IQE Concept, R2M
- Exploitants : Association Orane, Marsatac Agency et Hiptown Loves You
- Surface : 2330 m2
(1) Créé en 2001, l’Établissement public foncier (EPF) Provence-Alpes-Côte d’Azur associe l’État et des collectivités territoriales, principalement la Région. Il est au service des stratégies foncières publiques. C’est un établissement public de l’État à caractère industriel et commercial (EPIC) doté de ressources financières propres, assurées notamment par la taxe spéciale d’équipement. Il est présidé par Nicolas Isnard, maire de Salon-de-Provence et conseiller régional.