Le développement technologique territorial date d’un peu plus de 50 ans. Il a beaucoup évolué : parcs technologiques, technopôles, pôles de compétitivité, clusters, … Toutes ces structures sont aujourd’hui confrontées à des changements d’échelle et à des besoins croissants de la population. Entre mondialisation et proximité sociale, les nouveaux défis sont nombreux. Jacques Boulesteix (*), scientifique reconnu, astrophycisien, impliqué dans de nombreuses structures et dispositifs de dispositifs d’innovation nous livre aujourd’hui une série de chroniques sur l’innovation régionale et ses nouveaux enjeux. Après le premier volet, cette seconde chronique aujourd’hui est consacrée aux pôles de compétitivité.
Les pôles de compétitivité, second étage de la fusée de l’innovation, après les technopôles (lire notre précédente chronique), se sont finalement révélés très efficace. Les pôles ont d’abord été initiés par les acteurs eux-mêmes (universités, centre de recherches, entreprises) qui aspiraient à des échanges beaucoup plus forts, même s’ils étaient localisés dans des lieux éloignés. Le développement des communications n’est évidemment pas étranger à cette évolution. La « fertilisation croisée » s’affranchissait ainsi de contraintes géographiques pour impliquer un maximum de compétences et d’acteurs. Néanmoins, tout restait dans une proximité acceptable permettant les échanges physiques réguliers (réunions, colloques, ateliers, visites d’entreprises, …) et une innovation très concrètement partagée.
Il y a donc une filiation directe entre les technopôles et les pôles de compétitivité : l’espace s’élargit et la nature de l’échange se précise. Ce type de pôle ne peut-être que thématique et l’interlocuteur n’est reconnu que s’il apporte quelque chose. Nous ne sommes plus dans l’économie d’échelle, voire la mutualisation de moyens mi-lourds qui était le point fort des technopôles. Les pôles de compétitivité dessinent une véritable communauté d’intérêts dans un domaine. Cette communauté va développer de stratégies, des alliances qui bénéficieront à chacun. Contrairement aux technopôles dont l’essence-même est liée à des politiques publiques d’aménagement territorial, les pôles de compétitivité sont d’abord issus d’associations loi 1901. La dynamique est inversée : la verticalité passe du haut vers le bas au bas vers le haut. C’est un ressort essentiel.
Neuf pôles en Provence Alpes Côte d’Azur
En 2004, deux rapports importants prônent cette évolution. En février, la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale, ndlr) publie « La France, puissance industrielle. Une nouvelle politique industrielle par les territoires » qui avance explicitement le terme « pôles de compétitivité ». En avril, Christian Blanc, à la demande du Premier ministre, rend son rapport « Pour un écosystème de la connaissance » qui suggère lui aussi la constitution de clusters à la française. Le gouvernement décide alors de lancer en 2005 un appel à projets afin de labelliser les premiers pôles français. Le chiffre de 10 à 15 avait été annoncé. La surprise est qu’une centaine de dossiers furent déposés ! 67 pôles furent finalement labellisés, sept (rapidement neuf) en région Provence Alpes Côte d’Azur.
Ce succès mettait en évidence l’existence de multiples réseaux d’innovation peu visibles mais bien réels et surtout, l’effet d’entrainement que générait l’annonce d’une forte implication de l’Etat dans le processus. Des rapprochements qui n’avaient pu se faire depuis des années étaient alors souhaités par les acteurs industriels et académiques. L’un des exemples intéressants est le secteur de la micro-électronique, des communications et des logiciels dans la région. Depuis, plus d’une dizaine d’années la synergie se faisait attendre entre la partie ouest à Rousset, plutôt orientée sur les composants et la partie est à Sophia-Antipolis, développée dans les applicatifs. Mais le rapprochement ne correspondait nullement aux logiques sectorielles et territoriales existantes. Pourtant, le pôle de compétitivité Solutions Communicantes Sécurisées (SCS), étiqueté mondial, fut proposé et vit le jour. La stratégie, résumée à l’époque par la formule « du silicium aux usages », fut en elle-même une innovation.
2020 : un bilan indéniable mais des signes d’essoufflement
Depuis leur création, les pôles de compétitivité français ont initié plus de 5000 projets de R&D, financés cinq milliards d’euros de participations privées, deux milliards par l’Etat et la BPI, 1,5 par les régions. Ils ont créé une dynamique, une mobilisation en faveur de la recherche-développement et une mobilisation de tous les acteurs territoriaux, dont les collectivités territoriales.
Ce bilan positif n’exonère pas d’un certain nombre d’interrogations qui touchent essentiellement à l’impact réel en matière d’emplois, au déficit persistant de formations ou à la multiplicité des financements qui génère beaucoup de lourdeur. De plus, comme l’a souligné à plusieurs reprises le conseil économique social et environnemental (CESE), les inégalités territoriales ont été renforcées par l’implantation des pôles dans les régions leaders, et les PME non familières avec les pôles continuent de rencontrer des difficultés à participer aux projets collaboratifs, ce qui explique que le nombre d’acteurs impliquées stagne.
Certains pôles, comme Optitec en Paca, ont joué l’élargissement vers d’autres régions et même la fusion (en l’occurrence avec SCS). Mais la tendance est là : les pôles de compétitivité, confrontés à un contexte européen et mondial incertain, peinent à trouver un nouveau souffle. En quelque sorte, ils deviennent moins créatifs et reproduisent les schémas de développement qui leur ont jusqu’à présent réussi. A leur décharge, ils ne sont pas les seuls…
Jacques Boulesteix
Prochain volet : Après Covid, la donne mondiale a changé
[Chronique] La région face à la mondialisation et aux nouveaux défis de l’innovation (1/3)
(*) Jacques Boulesteix est astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS. Elu à la mairie de Marseille de 1989 à 1995, il est alors chargé du développement des technopôles et des universités. Président-fondateur de POPsud en 2000 puis d’Optitec en 2006, il créa également le Comité national d’optique et photonique regroupant les pôles régionaux en optique ainsi que les industriels de la filière. A la fin des années 2000, administrateur de la plateforme européenne Photonics 21, il crée le réseau Optique Méditerranéen, ainsi que l’European Network of Optical Clusters (ENOC). Il dirigea de 2010 à 2018 le fond régional d’investissement Paca Investissement, aujourd’hui Région Sud Invest.