Le fonds d’investissement suisse Ginkgo, propriétaire du site de Legré-Mante à la Madrague de Montredon (Marseille 8e) depuis 2017, a présenté son nouveau projet immobilier lors d’une réunion publique avec les riverains, les associations et les comités d’intérêts de quartiers (CIQ) mardi 10 mai. Un permis de construire a été déposé. La Ville de Marseille doit statuer avant la fin de l’année 2022.
Au pied du Mont-Rose, la cheminée en briques de l’ancienne usine Legré-Mante témoigne du passé ouvrier du village de la Madrague de Mondredon (8e arrondissement de Marseille). Le site est superbe en apparence : d’un côté, la mer Méditerranée avec un petit port de pêche, de l’autre, le Parc des Calanques et ses chemins de randonnées. Mais l’usine, active pendant deux siècles, y a produit du plomb de 1874 à 1883 puis de l’acide tartrique de 1887 à 2009, date à laquelle le site ferme définitivement. Cet héritage ouvrier ne va pas sans conséquences. Les sols sont hautement pollués en plomb et en arsenic. Des métaux dits « lourds » et nocifs pour la santé des habitants selon l’arrêté préfectoral de 2011.
Deux ans après la fermeture de l’usine, la société Oceanis rachète les parcelles privées de la friche industrielle pour y ériger un programme immobilier. Mais le projet avorte en 2013 face à l’opposition des riverains soutenue par les membres l’association très active, Santé littoral Sud, née en 2011. Le projet augmentait la congestion automobile du quartier et ne respectait pas la loi Littoral.
Des débuts balbutiants
Quatre ans plus tard, le fonds d’investissement suisse Ginkgo s’intéresse au terrain de 8,5 hectares et en devient propriétaire en 2017. Mais, la société qui se positionne comme « un expert de la dépollution » va connaître elle aussi des difficultés pour faire avancer son projet.
Associé depuis le départ au promoteur Constructa, le fonds dit « à impact » commande une Interprétation de l’État des Milieux (IEM) en 2018 pour analyser la pollution des sols comme l’exigeait un arrêté préfectoral. S’en suit la publication d’un plan de gestion, obligatoire pour dépolluer les friches industrielles de ce type. Cependant, le maire de secteur de l’époque, Yves Moraine (LR), met un coup d’arrêt au projet en mars 2020 rejetant le permis de construire de Ginkgo.
Quelques mois plus tard, au changement de mandature, les élus du Printemps Marseillais, Pierre Benarroche, le maire du 6e et 8e arrondissement et Christine Juste l’adjointe à l’environnement de la Ville de Marseille, renouent avec Ginkgo espérant trouver « un compromis » entre les volontés citoyennes, les intérêts économiques de l’entreprise et les problématiques d’aménagement du territoire.
Un nouveau projet immobilier
Les nouveaux élus se saisissent du dossier in medias res, notamment Christine Juste, ancienne membre de l’association Santé littoral sud jusqu’à son élection à la Ville de Marseille. Lors de la réunion du 10 mai de ce printemps 2022, Ginkgo présente son nouveau projet immobilier « 195, La calanque ». Ce projet revu avec les élus et les CIQ a été conçu « selon les inquiétudes des habitants » assure Pierre Benarroche.
Pour rappel, le premier permis de construire de juin 2018 (document ici) prévoyait un programme immobilier de plus de 24 000 m2 avec 11 568 m2 de logements, ainsi qu’une résidence séniors et de tourisme de 5 000 m2 chacune, 1329 m2 de commerces de proximité et 1 687 m2 de services publics. Ce projet garantissait la création de 125 emplois.
Quatre ans plus tard, le projet immobilier a été remodelé en partie avec la Ville.« Nous avons tenu à rééquilibrer la nature des logements et apporter de la mixité », explique Pierre Benarroche qui précise que la nouvelle loi 3DS impose aux arrondissements des villes (Paris, Marseille et Lyon) de compter au minimum 15% de logements sociaux minimum. « Dans le 8e, nous n’avons que 7% de logements sociaux », clarifie l’élu.
Le document actuel projette la construction totale de 21 737 m2 avec 330 logements. Plus précisément, le projet Ginkgo prévoit la création de logements pour les familles de 7 743 m2 soit 112 logements, 2 415 m2 de logements sociaux soit 38 logements, une résidence séniors de 7 903 m2 soit 133 chambres seniors, et une résidence de tourisme de 1 619 m2 soit 47 de logements. Or, le nombre de création d’emploi a été réduit à 105 postes. Pour l’heure, le nombre de places de parking est toujours estimé à 468 places.
Pour compléter l’offre de logements, 998 m2 seront consacrés aux commerces, 515 m2 aux équipements publics et 556 m2 aux services. Mais le flou persiste sur le type de commerces et de services publics envisagés. « Nous n’avons aucune information sur les commerces qui seront installés », dénonce Rolland Dadena, le président de l’association Santé littoral sud, soutenu par le maire qui réclame une éclaircie sur cette zone d’ombre. Pour sa défense, Ginkgo admet : « Il est vrai que nous ne connaissons pas encore précisément les commerces. Mais le travail va être d’aller chercher des commerces de proximité qui ne nécessitent pas l’utilisation de la voiture. »
Des zones d’ombre sur la mobilité
Dans la même veine, la prise en charge des services publics n’a pas été explicitée. « Qui va se charger de financer les transports ? », se demande le militant de Santé littoral sud. Le projet Ginkgo ambitionne en effet de désengorger le quartier car le trafic automobile peut aller « jusqu’à 10 000 voitures par jour l’été », se désole Christine Juste.
Le projet immobilier consacre donc tout un volet à la mobilité : un élargissement de la chaussée le long de l’avenue de la Madrague, l’affrètement d’un « Bus des Calanques » et la création d’une piste cyclable. Cependant, aucune garantie de financement de la Métropole Aix-Marseille n’est actée à ce jour. « Nous sommes en discussions », assure pourtant l’opérateur.
C’est le même discours sur le plan de l’assainissement. Ginkgo a présenté un système innovant pour assainir le quartier et s’engage à financer la station de relevage des eaux usées. Une solution présentée à la société de Service d’assainissement Marseille Métropole, la Seramm, filiale du groupe Suez. Mais, le doute – encore – persiste sur le budget de fonctionnement. « Ils vont construire et partir… qui va payer après ? », rumine Rolland Dadena qui s’agace d’attendre ces clarifications.
Les travaux surveillés comme l’huile sur le feu
Un point reste très tendu pour les riverains : les travaux de dépollution puis le chantier de construction immobilière. « Sans programme immobilier, il n’y aura pas de dépollution » prévient dans la vidéo de présentation du projet Pascal Roudier, le directeur environnement de Ginkgo expliquant la nécessité « d’absorber le coût de la dépollution. »
Mais le 7 avril, Gingko amorce les travaux. « Ils ont fait une énorme boulette » confie Rolland Dadena qui appuie sur son smartphone pour lancer la vidéo d’une voisine. Deux maisons sont démolies par une tractopelle et de la poussière s’échappe du chantier. « Ils ont cassé les maisons sans prendre aucune précaution… la relation de confiance a été ébréchée » peste le militant. De son côté, le propriétaire assure que « cette maison n’était pas polluée » suite aux études menées. Il s’engage à mieux communiquer avec les riverains pour les prochaines étapes du chantier.
Le vent est en effet une contrainte importante. « Parfois, le vent dépasse les 80km/heure » explique le riverain. Par conséquent, Ginkgo assure avoir modélisé l’effet venturi pour intégrer cette contrainte dans la phase de chantier. « Au-delà de 30km de vent nous arrêterons les travaux de terrassement car l’envol des poussières peut présenter un certain nombre de risques » garantit le propriétaire privé qui promet également de bloquer les travaux de terrassement pour les mois de juin, juillet et août, quand les touristes affluent et que les chaleurs montent jusqu’à 40 degrés.
Malgré ces mesures, les habitants et les élus souhaitent que l’État prenne ses responsabilités. « On va demander à l’État comment il entend contrôler les travaux » indique Christine Juste.
Les enjeux de dépollution encore sous tension
Avant de construire le parc immobilier, Ginkgo s’est engagé à prendre en charge la dépollution du site pour 11,8 millions d’euros qui comprend les 2 millions d’euros du fonds Friche distribué par l’État. Sur les 8,5 hectares de terrain, le fonds suisse s’engage à « restituer 5 hectares dépollués au Parc National des Calanques ». Un domaine qui cela dit n’est pas constructible.
Les études menées depuis 2017 ont révélé les trois zones les plus densément polluées. La première et la plus importante : le crassier, un grand talus de terre pollué qui débouche sur une crique de galets où les gens se baignent et pêchent. « Il y a 50 000 m3 de déchets de plombs, d’acide tartrique… », explique Rolland Dadena. Pour dépolluer cette zone, Ginkgo prône la méthode du sarcophage, c’est-à-dire confiner la zone. La deuxième zone se situe au niveau de la cheminée rampante, construite pour éloigner les émanations lourdement polluantes. Ce serpent de pierres grignote une partie du Parc des calanques. Et enfin, la troisième zone se trouve au sein de l’usine elle-même. Ce lopin de terre fera l’objet d’une attention toute particulière des riverains très attachés à la vieille bastide du Chevalier Rose et à l’ancienne maison de maître bien conservée. Le groupe Constructa atteste que 90% des bâtiments seront réhabilités dans leur jus.
Un plan de gestion de dépollution déposé en 2018 vient récemment d’être approuvé par la tierce expertise du Bureau de recherche géologiques et minières (BRGM) prescrite par la Préfecture des Bouches-du-Rhône. Reste maintenant à l’État à statuer sur cet avis favorable avant la validation du permis de construire par la Ville.
Malgré les zones d’ombres, Pierre Benarroche se félicite d’avoir contribuer à recréer du lien entre les différentes parties prenantes de ce dossier aux côtés des équipes municipales. « Nous sommes contents d’avoir rétablit de la transparence. Le projet est présenté pour la première fois publiquement. » avance le maire. De son côté Christine Juste veut aussi aller de l’avant :« On veut travailler avec Ginkgo. On veut que la dépollution ait lieu. L’objectif est que ça se passe bien. Mais il nous faut encore de réelles garanties sur l’impact du projet sur la santé des habitants… »
De son côté, Ginkgo revendique avoir « fait le choix d’être le plus transparent possible, sans être trop technique pour ne pas perdre les gens ». Le site internet du projet est régulièrement mis à jour et présente différents documents consultables en accès libre. Prochaine étape : l’enquête publique en septembre 2022.
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