Le plus méditerranéen des Luxembourgeois (il avait reçu les insignes d’Officier de l’Ordre de mérite du Grand-Duché de Luxembourg), l’économiste Jean-Louis Reiffers-Masson de son vrai nom, est décédé le 31 janvier 2025 à l’âge de 84 ans. Ses obsèques ont eu lieu à Jouques sa commune de résidence le 7 février.
Je fis sa connaissance en 1986 lorsque je dirigeais le cahier business de l’éphémère Hebdomadaire fondé par Michel Pezet et que le professeur de finances internationales qu’il était, fournissait en chronique de ce superbe média… qui ne durera que 10 semaines. Toujours trop long, un peu abscons, le papier était passé à la moulinette de ma secrétaire de rédaction, Anne-Françoise Robert qui en faisait miraculeusement un article lisible et clair sur l’économie mondiale. À ce moment, est née une relation de confiance et de complicité qui ne s’est jamais démentie.
Agrégé, docteur d’État, au commencement de sa carrière, Jean-Louis Reiffers s’est principalement préoccupé de finances, d’études internationales et d’enseignement. Il devient doyen de la faculté de sciences économiques, (1974-1977), « doyen rouge » diront ses opposants, puisque l’économie est alors divisée entre Aix et Marseille, entre les ultralibéraux aixois et les keynésiens marseillais. Il est élu vice-président de l’Université Aix Marseille II (1974-1978). Il dirige le Cefi, le Centre d’études et de finances internationales, unité mixte du CNRS, logé dans une bastide antique du Pays d’Aix. Il est un enseignant exigeant, rigoureux, apprécié pour sa pertinence et la profondeur de ces analyses, une référence ; il publie et écrit des ouvrages scientifiques : Économie et finance internationales chez Dunod en 1982, Sociétés transnationales et développement endogène en 1981.
Jean-Louis Reiffers : un homme du Nord qui s’intéresse au Sud
Il se focalise sur la Méditerranée au milieu des années quatre-vingt en analysant ce que l’Alena, la zone de libre-échange qui inclut le Mexique et les États-Unis produit comme développement. L’homme du Nord s’intéresse alors plus fortement au Sud et il voit dans l’espace méditerranéen la possibilité d’une ouverture que les accords de Barcelone laissent espérer. « L’économie mondiale s’articule autour de grandes régions. Pour exister sur un plan économique et donc social, lesdites régions doivent s’intégrer progressivement, en élargissant et en renforçant leurs relations entre elles » disait-il.
La Méditerranée devient le centre de ses travaux. Il fonde l’Institut de la Méditerranée à Marseille, en concurrence frontale avec Barcelone qui déploie l’IEMED, (consortium composé du gouvernement catalan, du ministère espagnol des affaires étrangères et de la coopération et de la Municipalité de Barcelone), en mettant à égalité autour de la table, la Région, la Ville et la Chambre de commerce pour un budget conséquent.
Puis il fondera avec l’Economic Research Forum du Caire, le Forum euroméditerranéen des instituts de sciences économiques (Femise) qui réunit les meilleurs économistes du bassin méditerranéen de 85 instituts, engagés dans une production intellectuelle qui éclaire les réalités de terrain afin de tracer des perspectives pour un monde politique qui a du mal à suivre ces esprits pionniers.
Analyste de la géopolitique autant que de l’économie, il investit les lieux de pouvoir comme l’OCDE, l’Unesco, la Banque mondiale, l’Union européenne, des pays africains ou latino-américains, l’Algérie. Homme de pouvoir et des coulisses du pouvoir, mais homme de l’ombre, il veut, fort de sa compétence économique et politique faire bouger les lignes.
Auteur d’un livre blanc européen fondateur : « Enseigner et apprendre, vers la société cognitive »
En 1991 il est nommé conseiller pour l’éducation et la formation auprès d’Édith Cresson et il la suivra à Bruxelles. Il préside le Groupe de réflexion sur l’éducation et la formation en 1995, il tient la plume du Livre blanc européen « Enseigner et apprendre, vers la société cognitive » un rapport fondateur. Il est aussi l’auteur de « Accomplir l’Europe par l’éducation et la formation » en 1996-1997. Il a été associé à l’élaboration d’un projet européen pour la présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne en 2015 sur l’emploi et la formation des jeunes dans les pays du Maghreb.
C’est de ce lieu de pouvoir qu’il formalise le concept européen des écoles de la 2e chance et qu’il déploiera une énergie sans bornes pour inaugurer celle de Marseille en réalisant l’incroyable alliance entre Édith Cresson, Jean-Claude Gaudin et la Chambre de commerce. Il en sera longtemps un actif président.