C’était une publication attendue : le rapport de la Chambre régionale des comptes sur le plan Marseille en grand. La juridiction vient de dévoiler un document de 108 pages qui décortique le plan présidentiel sous l’angle de sa structuration (période de mise en oeuvre de 2021 à 2023, intégralité du document en bas d’article). L’enquête est le fruit d’un travail mené par six chambres de la Cour des comptes, avec la Chambre régionale des comptes. Elle dresse un premier bilan, trois ans après le discours d’Emmanuel Macron au Pharo, le 2 septembre 2021. Et ce bilan n’est pas glorieux…
Absence de gouvernance et de contractualisation
Le rapport souligne ainsi « le caractère insuffisant de la gouvernance et des moyens de pilotage » car malgré la création de sociétés publiques locales pour les écoles et le logement, aucune structure globale n’a été créée pour chapeauter l’ensemble du plan.
Pour la CRC, le déroulé du plan souffre ainsi d’un manque de concertation entre les différents acteurs. Ces derniers – Ville de Marseille, Métropole, Région – ne s’accordent en outre pas entre eux. Les magistrats dénoncent également « un manque de cohérence » dans le plan qui mêle « mesures d’urgence et projets de développement à long terme. »
De plus, Marseille en grand ne découle d’aucun texte ou contrat formalisé dérogatoire du droit commun, le seul texte de référence en la matière étant le discours formulé par Emmanuel Macron. Dans les faits, relate la CRC, un projet de “contrat d’ambition” a bien été soumis fin 2021 aux collectivités territoriales, qui n’ont pas réussi à se mettre d’accord dessus…
Or, « comme dans la vie courante, quand il n’y a pas de contrat, rien n’est figé… », note Nathalie Gervais, présidente de la CRC, à l’occasion de la présentation presse du rapport, lundi 21 octobre. Un point d’autant plus préoccupant que le gouvernement a annoncé 60 milliards d’euros d’économies et qu’une partie des fonds alloués au plan Marseille en grand ne sont pas sanctuarisés.
Des promesses de financement … toujours pas engagés
Pour cause, seulement 1,31% des cinq milliards promis par l’Etat ont à ce jour été décaissés, pointent les magistrats financiers. Sur les écoles, malgré de premières concrétisations, on est donc encore loin du milliard promis sur chacun de ces volets, de même que sur la mobilité urbaine, au point mort (voir le graphique ci-dessous).
Par ailleurs, l’exécution du plan a été lancée avant la réforme métropolitaine prévue dans le cadre de la loi 3DS, réforme qui était pourtant perçue comme une condition de l’Etat pour débloquer les fonds. La CRC déplore ainsi l’inaboutissement de la réforme, ainsi qu’un montant trop élevé des attributions de compensation versées à ses communes – 178 millions d’euros de majoration par an.
Or, souligne le rapport, « l’investissement de l’Etat sur le territoire ne pourra produire ses pleins effets à long terme qu’à la condition que les administrations publiques locales soient en capacité d’en assurer la pérennité et le fonctionnement. »
Marseille en grand : des projets transports sur la touche ?
Marseille en grand : des mesures « insuffisantes »
Enfin, après la forme, la CRC s’attaque également au fond et fustige notamment « l’absence d’études et de concertation préalable. » La Cour juge ainsi certaines mesures « insuffisantes », par exemple sur le volet éducation du plan : « Le plan Marseille en grand n’intègre aucune mesure spécifique visant à améliorer le climat scolaire, à renforcer la santé des élèves ou accroître la mixité sociale des établissements » peut-on ainsi lire. Idem concernant le logement, pour lequel la CRC déplore « une absence de réflexion sur la ségrégation résidentielle » ainsi que la mobilité, qui se limite à la réflexion sur les transports en commun et concerne des projets localisés qui n’ont pas d’envergure véritablement métropolitaine (la CRC cite en exemple le tramway entre Aubagne et La Bouilladisse).
Le plan passe en revanche sous silence certains points d’interrogation sur des projets bien spécifiques de Marseille en grand, par exemple sur la cité du cinéma, qui semble suspendue, ou encore Odysseo.
Une série de nouveaux rapports à venir
La présidente de la CRC, Catherine Gervais précise néanmoins que ce premier rapport n’est que le premier d’une série de rapports sur Marseille en grand, qui invite les acteurs du plan Marseille en grand à revoir leur copie. Plusieurs autres rapport sont d’ores et déjà prévus : l’un en 2025 portant sur le respect des recommandations émises par la CRC dans le rapport présenté ce 21 octobre ; puis, à compter de 2026, une série de rapports thématiques, reprenant chacun des volets de Marseille en grand.
Rapport de la Chambre régionale des comptes sur Marseille en grand : la réponse du ministère des relations avec les territoires et de la décentralisation
Dans la foulée de la présentation du rapport de la CRC, le ministère concerné, celui des relations avec les territoires et de la décentralisation occupé par Catherine Vautrin, a répondu par voie de communiqué :
« Le ministère des Relations avec les Territoires et de la décentralisation tient à indiquer que le plan « Marseille en Grand » concrétise un investissement exceptionnel de l’État et apporte depuis trois ans une réponse forte face à des carences anciennes et des retards importants dans le développement des services
• Le rapport de la Cour des comptes, publié ce jour, est une photographie des entretiens conduits au deuxième semestre 2023, qui ne reflète plus la situation actuelle.
• Les services préfectoraux sont pleinement engagés pour suivre de près l’avancement des projets, dont la maîtrise d’ouvrage est partagée entre les collectivités et l’État.
• L’absence de centralisation de la décision, mise en exergue par la Cour, est adaptée à la nature même du plan. Il n’y a pas de contrat global ; le plan « Marseille » repose sur plusieurs contractualisations autour des différentes thématiques. Des protocoles sectoriels ont ainsi été signés indépendamment pour chaque thématique, permettant de s’appuyer autant que possible sur des instances existantes, afin d’éviter un millefeuille administratif.
• Trois ans après le lancement du plan, 90 % des mesures sont engagées. Des résultats sont déjà visibles dans le quotidien des Marseillais
1. le renforcement des effectifs et des moyens de la police et de la justice ;
2. la livraison des six premières écoles à la rentrée 2024, et quatre supplémentaires d’ici la fin de l’année ;
3. 31 autres projets en cours de sélection des maîtrises d’œuvre pour un démarrage des chantiers en 2025 ou 2026 ;
4. les cinq projets de mobilité en cours de finalisation, dont la ligne 4 du bus à haut niveau de service, qui permettra de relier le nord à l’est de la ville, offrant ainsi un nouveau mode de transport rapide pour plus de 45 000 habitants. »
Un communiqué qui donnera un peu de baume au coeur à ceux qui ont tenté de piloter Marseille en grand ces dernières années, successivement le préfet à l’Egalité des chances Laurent Carrié, puis l’ex-secrétaire d’Etat Sabrina Agresti-Roubache et Virgine Avérous, l’actuelle sous-préfète chargée du plan, sous l’autorité du préfet Christophe Mirmand, le préfet de région et du département, présent depuis le début, et principal dépositaire de l’autorité de l’Etat sur le territoire.
Document source : le rapport de la CRC sur Marseille en grand
En savoir plus :
> Le site de la CRC
> La Chambre régionale des comptes consulte les acteurs du plan Marseille en grand