Sophie Meynet de Cacqueray, vice-présidente formation d’Aix-Marseille Université (AMU), professeur en droit public à la faculté de droit et de science politique est en première ligne pour évaluer les conséquences de Parcoursup sur l’enseignement supérieur et faire évoluer les formations de la grande université métropolitaine qui accueillent 80 000 étudiants.
Elle constate des évolutions positives tant en matière d’orientation des lycéens que de taux de réussite dans le cycle de licence depuis la mise en place de la plateforme (44% de réussite en 2022-2023 contre moins de 40% avant 2020). Mais elle pondère son avis en expliquant qu’elle ne parvient pas à identifier ce qui provient directement de Parcoursup, de la réforme du bac ou encore des dispositifs mis en place dans le cadre de la loi d’orientation. Elle insiste surtout sur l’apport de Parcoursup comme un très bon outil d’information et d’orientation « qui a permis aussi l’identification des étudiants plus fragiles par le biais des “Oui si” et les fameuses licences en quatre ans et les mesures d’accompagnements qui ont financées par la loi ORE. »
Une meilleure communication avec les lycées, un nouvel accueil pour les néo étudiants
Concernant l’organisation d’AMU dans ce nouveau contexte, elle se félicite de « la meilleure communication avec le secondaire. C’est un point qui me semble extrêmement important. Nous sommes engagés parallèlement avec le projet Panorama, un projet France 2030 avec le rectorat qui permet ce lien renforcé. Il y a des périodes d’immersion des lycéens à l’université. La communication se fait bien sûr par les différents salons auxquels on participe. On communique également par tous nos canaux, y compris les réseaux sociaux. Nous voudrions améliorer encore cette communication. Il faut encore accentuer ce lien avec le secondaire, par exemple développer encore les périodes d’immersion des lycéens à l’université.»
Autre volet renforcé par AMU, l’accueil des nouveaux étudiants. « Il y a la volonté d’identifier les étudiants les plus fragiles qui auraient pu passer au travers de Parcoursup. On va mettre à partir la rentrée 2024 des tests de néo-entrants avec le repérage d’étudiants qui seraient soit en difficulté soit en besoin d’avoir un renforcement sur la discipline ou l’ouverture vers d’autres disciplines parce qu’ils sont excellents. nous devons accompagner ces deux publics. » Un contrat pédagogique de réussite étudiante afin d’identifier tous les étudiants qui ont des besoins particuliers est mis en place.
En terme de flux d’inscriptions, l’université continue à voir le nombre d’inscrits augmenter. Les filières phares comme la santé, le droit ou la psychologie continuent d’attirer, se félicite l’universitaire. Nous essayons d’orienter notre offre en fonction des débouchés. « Nous travaillons avec les professionnels, avec le rectorat, notamment à la faveur de la réforme de l’enseignement professionnel pour voir quel parcours professionnalisant nous pouvons mettre en place. Il est clair que Parcoursup nous donne des éléments d’indications. On voit très bien par exemple que les filières de l’IUT comme les BUT sont extrêmement demandées. On voit aussi qu’il y a une baisse d’attractivité pour les métiers du secteur secondaire (industrie, ndlr) et une augmentation pour ceux du tertiaire, comme les techniques de commercialisation. »
« Pas de course à la création de diplômes » mais des parcours de plus en plus personnalisés
Dans le contexte où les offres de l’enseignement privé se multiplient, l’université se doit de réagir mais la responsable d’AMU se refuse à entrer dans « la course à la création de diplômes. Je ne pense pas que cela soit intéressant pour les jeunes. Nous sommes là pour les étudiants. Pas pour autre chose comme le secteur privé qui a une vocation mercantile. Ce n’est pas notre cas. Je crois au contraire qu’il faut regarder l’environnement qui est le nôtre, le territoire, et se mettre en adéquation avec les débouchés. Les deux versants de l’université sont bien définis et complètement liés : des savoirs académiques et l’acquisition de compétences dans le but d’une professionnalisation.»
Ce qui n’empêche pas l’université de travailler sur des parcours plus personnalisés notamment les doubles diplômes, notamment en licence, à l’instar des formations “droit économie gestion”, “droit lettres”, “droit histoire de l’art.” « Nous essayons de développer des formations pour attirer à l’université un public différent. Il y a la volonté de s’adresser à la fois à des étudiants excellents comme le parcours de licence MPCI (mathématiques, physique, chimie, informatique) qui sont recrutés ensuite par des grandes écoles et des étudiants en difficulté. Nous devons faire ce travail d’informations pour informer sur ces multiples parcours. Et là-dessus, il est certain que nous sommes moins bons que les écoles privées.»
Après le bond de l’apprentissage, le défi de la formation tout au long de la vie
Ces dernières années, une autre évolution majeure a concerné le développement de l’apprentissage et de l’alternance. AMU s’adapte et répond aux nouveaux besoins. « En 2020 nous comptions à peu près à 2700 apprentis. En 2023/2024, nous sommes quasiment à 5000 apprentis. A la rentrée 2023, nous avions plus de 160 formations qui étaient ouvertes à l’apprentissage, réparties de façon quasiment équivalentes entre les licences et les master. » Sophie Meynet de Cacqueray voit désormais poindre un autre défi : la formation tout au long de la vie. « On voit bien que les jeunes aujourd’hui ne sont pas attirés à l’idée d’avoir quarante ans de carrière dans la même boîte ou dans la même branche. Ils veulent pouvoir passer d’un job à un un autre, changer de secteur d’activité. Nous allons jouer notre rôle en permettant la sortie de l’université puis un retour pour venir compléter ses compétences. Pour certains jeunes qui seraient en difficulté pour entrer immédiatement à l’université et préfèreraient d’abord travailler, nous pourrions récupérer et valider un certain nombre de savoirs acquis lors d’une première expérience professionnelle. »
Concrètement, la VP formation d’AMU évoque par exemple la création de formations très courtes à bac+1 pour des bacheliers qui n’arriveraient pas à suivre dans des licences générales. « Nous pensons aussi pour des jeunes, après une licence, qui ne sont pas pris en master immédiatement, d’ouvrir l’opportunité de travailler trois à quatre ans et d’accéder ensuite à une prolongation d’études. Nous avons également lancé un appel à projet grâce à notre fondation A*Midex, nommé Passerelles qui veut créer de nouvelles relations entre les facultés et les écoles associées comme Centrale ou l’IAE. » Ces nouveaux parcours permettraient de valider une double compétence.
« Nous voulons que l’on puisse entrer à l’université, en sortir et y revenir, c’est ça l’idée. »
Sophie Meynet de Cacqueray
« Nous voulons que l’on puisse entrer à l’université, en sortir et y revenir, c’est ça l’idée » résume Sophie Meynet de Cacqueray. La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, en visite à la marina olympique de Marseille fin février insistait justement, devant les jeunes sportifs de l’équipe de France de voile, sur les enjeux de la personnalisation des formations tout au long de la vie. C’est le mode de demain que nous accompagnons conclut la vice-présidente d’AMU, qui n’ignore pas l’énorme chantier à mener. Comment à la fois traiter la masse et entrer dans les parcours individuels ? « C’est un challenge. A l’université nous accueillons tout le monde. C’est à la fois une richesse et une difficulté. Nous essaierons de surmonter les difficultés pour en faire une des richesses.»
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