La scène est spectaculaire. Elle est pourtant devenue commune. Au port de plaisance de la Pointe-Rouge (8e), mercredi 14 juin, la vedette L’Albatros, un bateau de plus de sept mètres de long, est enlevé de l’eau. Suspendu aux câbles d’une grue mobile, ce navire découvert abandonné en 2020, au port du Frioul, puis amarré pendant trois ans au Vieux-Port, s’envole avant d’être détruit.
Contacté par les services de la Métropole Aix-Marseille-Provence, l’autorité portuaire principale du territoire, son propriétaire n’a pas souhaité le récupérer. « Il n’a rien voulu faire, et a laissé le bateau pourrir encore et encore », relate Thibaut Blan, maître et surveillant de port au Frioul. Selon lui, le contrevenant s’expose à un lourd dédommagement.
Mais L’Albatros n’est pas un cas isolé, et la Métropole peine à contenir ce qu’elle qualifie de « phénomène d’abandon ». Face à la multiplication des « bateaux ventouses » dans les ports de plaisance, l’intercommunalité met en place, de la Côte Bleue à La Ciotat, en passant par Marseille, une filière locale de déconstruction et de valorisation des épaves.
Une chasse aux bateaux abandonnés
Au premier coup d’œil, L’Albatros ne ressemble pas à l’image, sans doute déformée, qu’on se fait d’une épave. Pourtant, de « nombreuses expertises » ont été réalisées. Et les agents assermentés sont formels : « ce navire est hors d’usage ». Abandonné, il occupe de la place et représente une entrave à la bonne exploitation des ports. Pire, ce bateau de pêche laissé pour mort devient « une source de pollution », signalent les maîtres de port.
Lunettes de soleil vissée sur le nez, rien ne semble leur échapper. Ils connaissent « leurs » bateaux, et ceux qui ne sont que de passage. « Un bateau abandonné ? On le repère direct », assure Thibaut Blan. Aujourd’hui au nombre de 16, ils seront bientôt 24 agents répartis sur huit capitaineries, de Sausset-les-Pins à La Ciotat. Un renfort que la Métropole juge nécessaire pour surveiller au mieux les 28 ports de plaisance sous son pavillon.
L’Albatros n’est plus navigable. Son enlèvement est nécessaire. Les équipes du prestataire Mediaco, « numéro un du levage », se chargent de l’opération. Elles sont épaulées par les maîtres de port du Frioul et de la Pointe-Rouge, qui mouillent le short pour bien sangler la carcasse. Dans les airs pendant près d’une minute, le temps d’une délicate manœuvre, le navire flotte une dernière fois avant de disparaître.
Déposé délicatement par l’engin de levage sur un camion plateforme, L’Albatros entame à la Pointe-Rouge son dernier voyage. D’ici quelques jours, ce bateau de pêche à la coque rouillée, abîmée par le sel, les vagues et le temps, sera emmené à Gignac-la-Nerthe, dans une usine de démantèlement et de recyclage des épaves, où il sera déconstruit. En France, le concept de fourrière maritime n’existe pas.
Coût de l’opération : 9500 euros
Si les opérations d’enlèvement sont salutaires, elles sont également très onéreuses. La prise en charge de L’Albatros, par exemple, a coûté près de 9500 euros – une addition salée au frais de la Métropole. Il faut dire que les démarches sont parfois longues. D’abord, les agents doivent identifier le bateau fantôme, ainsi que son propriétaire. Ils s’appuient pour cela sur les compétence de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM).
Une fois que la personne est identifiée – si elle n’est pas décédée – les services procèdent à des mises en demeure. Ensuite, un PV de constat d’abandon est dressé. D’autres contraventions suivent. « Si les délais sont passés, on demande une déchéance de propriété », explique Thibaut Blan. À l’issue de ce long processus administratif, le navire appartient enfin à la Métropole qui peut alors entamer les procédures de déconstruction.
Des épaves déconstruites et valorisées
En tant qu’autorité principale, la Métropole prend en charge l’ensemble des démarches administratives, techniques et juridiques. Elle procède chaque année à l’enlèvement de 10 à 15 navires gênants, puis organise l’envoi des épaves en filière de déconstruction et de valorisation. Pour cela, l’intercommunalité a conclu un accord-cadre de quatre ans (2023-2027) avec cinq entreprises permettant de procéder à toutes ces opérations.
La déconstruction des navires a le vent en poupe. Et la filière locale progresse, soutenue par l’État. Aujourd’hui, le coût de la déconstruction est facturé par les fabricants de bateau dès l’achat. Ce procédé porte un nom : « éco-contribution ».
L’année dernière, 100 navires ont été détruits et, sur les quatre premiers mois de 2023, 56 ont été traités sur le site EPUR Méditerranée de Gignac-la-Nerthe. Ce centre de recyclage est agréé par le dispositif APER. Il s’agit de l’éco-organisme officiel de la filière de traitement des déchets issus des bateaux de plaisance ou de sport. Ce « déconstructeur » s’adresse également aux particuliers qui souhaitent traiter leur embarcation à moindre coût.
Comme L’Albatros, quelque 39 bateaux de plaisance hors d’usage (BPHU) ont été enlevés entre 2018 et 2021, pour un coût total de 171 000 euros hors taxe. Malgré l’installation de caméras de surveillance dans certains ports, le phénomène d’abandon est croissant. En revanche, les procédures sont plus rapides qu’auparavant.
À ce jour, les services compétents estiment qu’environ 58 navires seront pris en charge d’ici à 2024. Et le montant global des opérations prévu à horizon 2027 représente une somme conséquente : 650 000 euros hors taxe.
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