A Marseille, les ferries et les bateaux de croisières sont accusés de provoquer une pollution grave. Les professionnels se mobilisent.
Il aura fallu attendre un reportage de l’émission Thalassa, en janvier dernier, pour que le problème de la pollution des navires à Marseille soit sérieusement étudiée. « Nous avons été négligents. Lʼémission de particules fines sur les ports est un problème que nous aurions dû attaquer plus tôt », avoue François Alfonsi, le président de Qualitʼair Corse. Lʼassociation de surveillance de qualité de lʼair corse sʼest associée avec son homologue Air Paca pour organiser une grande journée de réflexion sur le sujet. Pour la première fois, associations, élus, industriels et armateurs se sont réunis, mardi 14 novembre, au World Trade Center de Marseille pour évoquer les solutions à mettre en place en Méditerranée pour réduire lʼimpact écologique des navires de passagers.
Vingt fois plus de particules fines à la Major quʼen centre-ville
Les premiers concernés par ces nuisances sont les riverains du port qui respirent chaque jour les fumées des paquebots qui font escale dans les bassins Est : « On a dû vivre tout lʼété les fenêtres fermées à cause de la pollution des bateaux. Les murs des immeubles noircissent à vue d’œil et je mʼinquiète pour ma santé », témoigne Renée, une habitante de Mourepiane venue manifester sa colère dans la salle. De nombreuses associations ont fait le déplacement mardi pour réclamer plus dʼinformations sur le danger sanitaire et la mise en place de solutions : « Une pointe de pollution soufrée impacte directement les poumons des riverains des ports. Il faut donc bannir le carburant soufré », insiste Richard Hardouin, figure marseillaise de lʼassociation France Nature Environnement. En juillet dernier, lʼassociation a réalisé de nouvelles mesures de la qualité de lʼair avec des résultats inquiétants aux abords du port. Si sur la Canebière, le taux (déjà élevé) est de 15 000 particules fines par cm3, à la Major, il grimpe à 300 000 soit vingt fois plus. Air Paca a également affiné ses études sur la part du trafic maritime dans la pollution aux particules fines à Marseille. « On lʼestimait jusquʼalors entre 5 à 10 % en centre-ville mais il semblerait que ce chiffre soit en dessous de la réalité. Suite à un travail en collaboration avec le laboratoire de chimie de lʼenvironnement, on pense quʼelle se situerait davantage entre 10 % et 20 % », avoue Dominique Robin, directeur général dʼAir Paca.
Lʼuniversité de Rostock et le centre de recherche sur l’environnement allemand Helmholzzentrum Munich ont établi un lien entre les gaz d’échappement des cargos et plusieurs maladies cardiovasculaires et respiratoires. Au total, les émissions du transport maritime seraient la cause de 60 000 morts par an en Europe. « Aujourdʼhui, je ne conseillerai pas à un ami dʼhabiter à lʼEstaque. Même si je comprends les difficultés des armateurs, je préfère perdre des parts de marchés que mettre en jeu la santé des habitants. On va donc mettre la pression pour durcir la réglementation le plus rapidement possible », prévient Saïd Ahamada, le député LREM de la 7e circonscription des Bouches-du-Rhône.
La Méditerranée, parent pauvre de la réglementation
En Europe du Nord et même sur les côtes françaises de la Manche, les États ont créé des zones dʼémissions contrôlées (ECA pour Emission Control Area) pour limiter le taux de soufre des carburants utilisés à bord des navires marchands à 0,1 %. « Alors quʼen Méditerranée, on attend toujours. Cʼest une inégalité inacceptable contraire aux principes constitutionnels français et européens », sʼinsurge Gilles Marcel, président de France Nature Environnement. La création dʼune zone ECA en Méditerranée se heurte toujours aux réticences de certains pays dʼAfrique du Nord comme la Lybie. Au 1er janvier 2020, la réglementation imposera un carburant dont la teneur en souffre est de 0,5 % maximum contre 1,5 % pour les navires à passagers en dehors des zones ECA. « Cela va dans le bon sens mais ce nʼest pas assez rapide », regrette Saïd Ahamada. « Je travaille avec Nicolas Hulot pour convaincre lʼUnion européenne du risque sanitaire et imposer rapidement une norme à 0,1 %. Si on met en place une norme européenne, elle sʼimposera de fait aux flux de passagers et de marchandises entre les deux rives de la Méditerranée et ça peut se faire dès le début de lʼannée prochaine », assure le député, applaudi par les associations qui réclament à cor et à cri cette mesure. En attendant, sous la pression publique et le durcissement de la loi, les ports et les armateurs tentent de réduire lʼimpact de la pollution maritime avec de nouvelles solutions techniques.
GNL, scrubber, électricité à quai…
« Nous travaillons depuis plusieurs années sur lʼutilisation de carburant plus propre pour les navires de croisières », rappelle Erminio Eschena, directeur des affaires institutionnelles de MSC et président de CLIA France (lʼassociation internationale des professionnels de la croisière). La compagnie vient de commander quatre paquebots propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL) qui seront livrés entre 2022 et 2026. Costa Croisière prévoit également de mettre en service son premier navire au GNL en 2019. La CMA CGM a fait, la semaine dernière, une annonce spectaculaire saluée par le gouvernement : le choix du GNL pour ses plus gros portes-conteneurs. En attendant lʼarrivée de ce carburant plus propre, les compagnies disposent dʼautres solutions techniques comme les scrubber. Ce système de lavage de fumées liquides permet de capter le soufre et la suie qui sʼéchappent des cheminées des navires. En boucle fermée, les scrubber rejettent quelques kilos de boue par heure qui peuvent être facilement stockés. Actuellement, 400 navires sont équipés dans le monde et les compagnies équipent de plus en plus leurs bateaux.
Fin octobre, le MSC Orchestra est arrivé dans la forme 10 du port de Marseille pour sʼéquiper de ce système et la compagnie a prévu un deuxième chantier similaire à lʼautomne 2018. « Pour le Grand Port maritime de Marseille-Fos, la qualité de lʼair est un sujet prioritaire », assure sa directrice, Christine Cabau-Woehrel. Le port réfléchit à lʼinstallation dʼun scrubber mobile sur ces quais pour limiter les émissions de particules fines. Depuis le 1er juillet, il accorde un abattement des droits de port aux navires qui vont encore plus loin que les normes environnementales. Pour les ferries qui font la liaison avec la Corse ou encore vers lʼAfrique, le GPMM travaille sur lʼélectrification des postes à quai pour alimenter les navires en escale. La Compagnie méridionale utilise ce nouvel équipement pour palier le recours aux groupes électrogènes qui fonctionnent au fuel. Une pollution équivalente à 30 000 véhicules par jour est ainsi évitée. « Nous allons poursuivre lʼélectrification des quais mais cela nécessite de nouvelles aides », avoue la directrice du port. Pour la première opération, elle a investi 1,5 million dʼeuros dont 1,2 million de subventions et la Méridionale a dépensé 2,9 millions. Le prochain Cimer (comité interministériel de la mer), vendredi 17 novembre 2017 à Brest, pourrait proposer des mesures d’aides.