Reclaim Finance est une organisation non gouvernementale de recherche et de campagne fondée en mars 2020 par Lucie Pinson, lauréate du prix Goldman pour l’environnement en 2020, avec pour objectif de mettre la finance au service de la justice sociale et climatique. L’organisation entend jouer un rôle de contre-pouvoir citoyen : « Nous suivons et analysons les activités des acteurs financiers pour en proposer un décryptage alternatif et exposer leurs réels impacts. »
Reclaim Finance est partenaire des Rencontres de la finance verte et solidaire organisées par Gomet’ depuis 2023, et nous livre dans cette tribune, signée par Olivier Guérin, chargé de plaidoyer, son opinion sur les récentes propositions “Omnibus” de la Commission européenne, qui visent à “réduire les formalités administratives et simplifier l’environnement des entreprises” (communiqué européen du 26 février 2025).
À la fin du mois de février, la Commission européenne a proposé une grande loi de déréglementation. Cette loi dite « Omnibus » est une attaque sans précédent sur les règles européennes qui concernent le climat, l’environnement, ou encore les droits humains. Si elle était votée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, elle aurait des conséquences désastreuses sur tous les plans : l’économie, le climat, les droits humains, la justice, etc.
En effet, cette loi donne virtuellement une carte blanche aux grandes entreprises qui pourront continuer à mener des activités à l’impact désastreux sur le climat, l’environnement ou les droits humains. Les sanctions punitives prévues pour avoir fait travailler des enfants à l’autre bout du monde sont supprimées. Par ailleurs, la Commission européenne, sous des prétextes de « compétitivité » et de simplification, ouvre la voie au greenwashing généralisé. Par exemple, les entreprises n’auront plus à mettre en place un plan de transition pour aligner leur stratégie d’entreprise avec l’Accord de Paris. La directive sur le devoir de vigilance (« CSDDD »), un des textes menacés, permettait de juger les entreprises sur leurs actions réellement mises en place pour opérer leur transition climatique. Désormais, il suffira pour les entreprises de publier leurs intentions sur le climat, sans aucunement les mettre en place. Mais ce n’est pas tout.
Une punition pour les bons élèves de la transition
En venant supprimer une partie des directives qu’elle a passées ces dernières années, la Commission européenne prive aussi les entreprises engagées dans la
transition écologique de financements dont elles ont besoin. En effet, une des directives aujourd’hui menacée permettait d’avoir des informations claires pour distinguer les entreprises réellement engagées pour la transition de celles qui pratiquent le greenwashing. Des informations clés pour les acteurs financiers afin d’orienter leur argent réellement vers la transition : selon l’Union européenne, 620 milliards d’euros supplémentaires sont nécessaires chaque année pour espérer atteindre les objectifs climatiques de l’UE, dont 80% doit provenir du secteur privé (rapport Draghi).
Ces informations sont d’autant plus nécessaires que les banques continuent de financer largement le développement des énergies fossiles, avec 6 900 milliards de dollars accordés aux entreprises développant de nouveaux projets de charbon, pétrole et gaz depuis la COP21 de décembre 2015. Les lois attaquées par la Commission européenne sont donc essentielles pour réorienter cet argent vers une économie plus verte et résiliente. Et leur impact est très réel : ces lois contribueront à éviter les manifestations les plus violentes du changement climatique, comme la vallée de la Roya a pu connaître en 2021, et à sauvegarder la mer et ses écosystèmes de l’acidification des océans qui les déciment. Elles permettent de rendre les entreprises responsables de leurs actions, même à l’autre bout du monde.
Derrière la loi omnibus, des lobbies économiques et financiers satisfaits
Le retour en arrière de la Commission européenne a été largement poussé par les lobbies économiques et financiers. Une analyse croisée entre leurs demandes et le texte de la Commission européenne montre que 100 % des modifications importantes vont dans leur sens. Le MEDEF a vu 70 % des ses voeux exaucés, la Fédération bancaire française plus de 60 %. Pourtant, leur voix n’est pas la seule qui existe. Des collectifs d’économistes, d’universitaires, d’ONG, de syndicats, d’entreprises et d’acteurs financiers ont dénoncé, inlassablement ces derniers fois, les retours en arrière annoncés dès la fin de l’année 2024.
Malheureusement, la voix de la raison n’a pas été écoutée par la Commission européenne qui a préparé son texte dans l’ombre et en vitesse, sans prendre le temps de consulter officiellement les parties prenantes comme elle a pourtant l’habitude de le faire. La société civile a été largement ignorée, et avec elle les arguments sur les droits humains, le climat ou l’environnement. Tout n’est pas terminé pour autant. Le Parlement européen doit encore se prononcer et c’est vers lui que les regards se tournent : il a voté ces textes il y a moins de cinq ans, il doit maintenant garder son ambition et porter haut les objectifs climatiques et humains de l’Union européenne.
Olivier Guérin,
chargé de plaidoyer Reclaim Finance
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