Le 14 avril dernier, la Région Sud a présenté sa feuille de route en matière de protection de la biodiversité, conjointement avec l’Office français de la biodiversité (OFB), qui accompagne la collectivité dans l’élaboration et la mise en œuvre de cette stratégie. Cette dernière sera soumise au vote des conseillers régionaux d’ici la fin 2023. A cette occasion, le directeur régional de l’OFB Eric Hansen nous livre son analyse de la situation en matière de sècheresse, alors que l’été qui se profile s’annonce encore très chaud et que 28 communes des Bouches-du-Rhône viennent de passer au stade d’alerte. Il détaille également les actions que mène l’OFB pour surveiller le phénomène de sécheresse et alerter les autorités environnementales.
Gomet’ : Comment l’Office français de la biodiversité intervient-il pour lutter contre la sécheresse ?
Eric Hansen : Nous intervenons à plusieurs niveaux, avant la prise d’arrêtés préfectoraux. Nous avons notre propre système de surveillance, le réseau Onde, qui consiste à envoyer des agents sur le terrain, sur le périmètre de la région Provence-Alpes-Côte d’azur ou en Corse, sur des sites témoins identifiés. Sur place, les agents de l’OFB vont mesurer les débits d’eau, la hauteur, pour en référer ensuite à l’Etat et l’aider à prendre des décisions.
En qualité d’inspecteurs de l’environnement, nos agents sont également habilités à effectuer des contrôles pour faire respecter les textes en matière de protection de l’environnement et donc de protection de la réserve en eau. Cela peut être aussi bien chez des particuliers que dans des exploitations agricoles ou des entreprises, qui sont les plus grosses consommatrices d’eau. Plusieurs milliers de contrôles ont ainsi été effectués l’an passé.
Dans l’imaginaire collectif, l’Office français de la biodiversité n’intervient qu’en matière de biodiversité. Comment se fait-il que vous agissiez également sur le front de la sécheresse ?
E. H. : Nous travaillons sur les habitats des espèces, qui sont dégradés par la sécheresse. Tout est lié. Sans habitats, pas d’espèces. c’est pourquoi nous travaillons sur l’environnement au sens large. Nous sommes également gestionnaires d’espaces naturels en Provence-Alpes-Côte d’azur et Corse, où la particularité est qu’il y a un immense parc marin, le plus grand de France métropolitaine.
Quels sont les effets de la sécheresse sur la biodiversité ?
« L’impact de la sécheresse sur les activités humaines est fréquemment évoqué, mais l’on ne parle pas assez des effets sur la biodiversité.»
Eric Hansen
E.H. : C’est une vraie question : on parle beaucoup de l’impact de la sécheresse sur les activités humaines et finalement peu de l’impact sur les milieux. En région Provence-Alpes-Côte d’azur, nous avons des milieux qui sont naturellement secs, surtout à proximité du littoral. Mais il y a un phénomène nouveau qui nous inquiète particulièrement : celui de la fonte drastique des glaciers dans les régions alpines. Cela cause des problèmes d’approvisionnement des nappes phréatiques, même si le lac de Serre-Ponçon constitue une réserve. Aujourd’hui, on vit l’actualité, mais on n’est pas capables de l’anticiper. Nous vivons l’Histoire au jour le jour.
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L’an dernier, la sécheresse a été exceptionnelle, mais la nature a une capacité exceptionnelle à se régénérer. Avec une année normale, nous aurions tout a fait pu retrouver une situation normale. Or, nous risquons de vivre une deuxième année consécutive équivalente ou pire en termes de sécheresse. Et là, on se demande comment la nature va réagir. Nous ne savons pas comment vont évoluer les milieux dans ce contexte.
« Pour l’instant, nous ne sommes pas en mesure de savoir comment la nature évoluera au terme de deux années consécutives de sécheresse. »
Eric Hansen
Quel scénario peut-on imaginer si cette année est pire que la précédente ?
E.H. : Les conséquences, à terme, pourraient être la disparition pure et simple de plusieurs espèces aquatiques et endémiques, et de toute la cohorte de faune ou de flore que comportent les zones humides. Pour l’instant, nos experts ne sont pas en mesure de savoir si cette année sera pire que 2022.
Est-il trop tard pour contenir le phénomène de sécheresse cette année ?
E.H. : Habituellement, les nappes phréatiques se rechargent en avril. A l’heure actuelle, il faudrait une quinzaine de jours de pluie d’affilée pour recharger certains secteurs. Cela ne permettrait pas de s’en sortir complètement mais au moins de tenir jusqu’à une saison automnale plus propice à la pluie et de retrouver ainsi une situation plus normale.
Malheureusement, nous nous rendons compte aujourd’hui que le réchauffement climatique est une problématique durable. Ce ne sont donc pas de fortes pluie qui vont radicalement changer la donne. Surtout que le risque d’inondation est présent : les sols sont tellement secs que l’eau n’arrive pas à les pénétrer et ruisselle directement dans la mer. Il faudrait donc quinze jours d’une pluie régulière. Cela relève pour l’instant d’une commande au père Noël, mais il faut continuer d’espérer.
Arrivez-vous à être optimiste malgré la situation que vous dépeignez ?
E.H. : Honnêtement, il est très difficile d’être optimiste. Le réchauffement climatique est un phénomène mondial, on voit que les conditions météorologiques vont d’un extrême à l’autre, alors que la nature a besoin de régularité. Cela ne veut pas dire qu’il faut tomber totalement dans le négatif. Cela ne sert à rien de se faire harakiri et se confiner dans l’inaction. Il ne faut pas non plus décourager ceux qui essaient d’agir.
Quels sont les objectifs de la stratégie régionale pour la biodiversité (SRB) que vous avez présentée conjointement avec la Région et qui sera votée par les élus régionaux fin 2023 ?
E.H. : Nous souhaitons mettre en place des moyens de diagnostiquer les pressions sur l’eau, identifier les enjeux et mettre en place un système d’évaluation pour savoir si nous procédons de la bonne façon ou pas. Ce qui est novateur, avec cette SRB, c’est qu’elle vise à fédérer tous les acteurs. La Région est chef de file pour diriger cette stratégie, mais elle ne pourra pas aboutir à des solutions toute seule. On ne eut plus se permettre le luxe de travailler en silo.
« La stratégie régionale pour la biodiversité veut fédérer tous les acteurs pour aboutir à un constat commun sur les enjeux en matière de biodiversité. »
Eric Hansen
Du côté de l’OFB, nous travaillons déjà de longue date avec l’Arbe (Agence régionale pour la biodiversité et l’environnement, ndlr), que nous finançons à hauteur de 300 000 euros par an. Les actions de l’Arbe permettaient déjà de fédérer. Là, on veut aller encore plus loin. La pompe avait déjà été amorcée avec l’Arbe et la SRB s’inscrit dans la continuité.
Ce matin (vendredi 14 avril, ndlr), lors de la présentation de la SRB, il y avait des associations de chasseurs, et d’autres acteurs que nous n’arrivons pas forcément à concerter en temps normal. L’objectif est d’arriver à un diagnostic partagé par tous, et d’affiner l’analyse département par département. Nous voulons aboutir à un document unique, qui serait une Bible partagée par tous. Pour l’instant, nous sommes sur un état des lieux, pas sur des solutions. Une fois que nous aurons identifié les enjeux prioritaires, nous pourrons assigner des moyens.
Pouvez-vous déjà identifier des enjeux prioritaires ?
E.H. : Ils sont multiples. Il y a l’urbanisme, le mitage territorial, l’artificialisation des sols, ou encore la consommation d’eau, qui est un sujet majeur. Par exemple, on doit absolument réfléchir à un modèle alternatif pour les usages de l’eau dans l’agriculture et les entreprises. Il y a aussi des cas spécifiques, comme le fait que les golfs disposent d’une dérogation pour l’utilisation de l’eau. Nous devons nous pencher là-dessus, et être capables de réexaminer des décisions qui ont été prises et qui ne se justifient plus aujourd’hui.
En France, nous n’avons jamais été bons en prévention. Dans la vie de tous les jours, on ne va pas voir le médecin pour lui dire que tout va bien… Nous faisons des choix pour notre santé qui ne sont pas forcément bons mais on se dit que ce n’est pas grave. Mais le jour où l’on s’aperçoit qu’on est allés trop loin, c’est souvent trop tard. Or, panser les plaies est plus compliqué…
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