Passé le moment chaud des résultats présidentiels, la politologue Virginie Martin, enseignante à la Kedge Business School à Marseille (9e), prend du recul sur la victoire d’Emmanuel Macron et livre ses pronostics sur la prochaine échéance, avec les élections législatives les 12 et 20 juin prochains.
Quels enseignement tirez-vous de la dernière élection présidentielle ?
Virginie Martin : Ce qui m’a étonnée, c’est cette volonté de la gauche, à l’issue du premier tour, d’enjamber l’échéance présidentielle pour passer directement aux législatives. Leur leader Jean-Luc Mélenchon a tout de suite appelé à « ne donner aucune voix à Marine Le Pen », dans la plus pure tradition du front républicain, mais en mettant le cap sur les législatives, de façon a permettre aux militants de garder espoir. Ensuite, Emmanuel Macron est mal élu, certes, mais 58% ce n’est tout de même pas rien. Il l’est suffisamment pour avoir une majorité confortable en vue des législatives. Il a cependant échoué dans son ambition initiale de faire reculer l’extrême-droite : cette dernière n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui.
C’est particulièrement vrai dans les Bouches-du-Rhône. Comment expliquez-vous que certaines communes du département traditionnellement positionnées à l’extrême-gauche (Port-de-Bouc, Martigues) aient massivement voté en faveur de Marine Le Pen au second tour ?
V. M. On observe sur ces territoires une déliquescence en termes de possibilité professionnelle, les salaires y sont très modestes. Le Front national a toujours très bien pénétré les couches de la population en déshérence économique. Il y a une affiliation partisane très forte, individualiste, qui n’est plus tenue par les rouages des partis politiques. Les discours d’Emmanuel Macron passent complètement à côté de ce genre de personnes. D’ailleurs, personne ne leur parle plus depuis longtemps … La gauche a oublié sa carte ouvrière, y compris la France Insoumise, alors Le Pen explose dans ces milieux ouvriers.
Il ne faut pas non plus omettre un bloc commun entre extrême-droite et extrême gauche. Ce bloc populaire, qui avait voté Mélenchon au premier tour, il se tourne vers Marine Le Pen lorsque l’Insoumis disparaît, sauf pour les populations immigrées. C’est ce qui explique le retournement de situation dans les quartiers Nord de Marseille, qui avaient voté Mélenchon au premier tour et se sont rabattus sur Macron au second. Il y a un fort sentiment de front républicain chez ces populations, chez lesquelles le taux d’abstention est habituellement marqué. Mélenchon a réussi son pari de les faire se déplacer aux urnes.
La France insoumise a entamé des négociations qui ont abouti avec Europe Ecologie Les Verts et sont en passe d’aboutir avec le Parti socialiste ou encore le Parti communiste français. Cela peut-il leur permettre d’arriver en tête lors des législatives de juin ?
V.M : Avec cette Nouvelle Union populaire et sociale (le nom de l’alliance sur lequel se sont accordés LFI et EELV à l’issue de leurs négociations qui ont abouti dimanche 1er mai, ndlr), on obtiendrait une sorte de gauche arc-en-ciel à l’image du Printemps Marseillais à l’échelon local. Certes, cela permettrait d’avoir une gauche plus puissante, mais je doute que cela leur suffise à former une majorité. Jean-Luc Mélenchon nous a ressorti des placards son storytelling visant à l’ériger en Premier Ministre, un discours qu’il avait déjà tenu en 2017. Certes, cette gauche pourrait remporter plusieurs circonscriptions mais comment voulez-vous qu’ils dégagent 330 députés au sein de l’hémicycle ?
« Jean-Luc Mélenchon la joue comme Mitterrand qui avait fondé l’Union de la gauche dans les années 70 »
Virginie Martin
Je trouve que cet objectif que s’est fixé LFI est un peu présomptueux. Mélenchon veut à tout prix faire plier le système et les institutions ; il la joue comme Mitterrand qui avait fondé l’Union de la gauche dans les années 70. Mais il néglige un point : cet acharnement peut au contraire avoir un effet repoussoir pour certains électeurs de gauche, auprès desquels il ne fait pas l’unanimité. La gauche ne trouvera pas assez d’ancrage pour remporter les législatives. Par ailleurs, on peut s’attendre à une abstention encore plus accrue que pour les présidentielles : les législatives mobilisent généralement peu les électeurs…
Les premières estimations ( basées sur une étude en date du 25 avril 2022 menée par l’institut Harris Interactive et Toluna pour Challenges, voir graphiques ci-dessous) donnent LREM largement en tête avec ses alliés traditionnels (Modem, Horizons) avec 328 à 368 sièges remportés. Ce chiffre ne varie quasiment pas dans l’hypothèse où LR rejoint cette coalition. A côté, avec la Nouvelle Union Populaire, la gauche se contente de 73 à 93 sièges seulement. Le Rassemblement National, quant à lui, conserverait sa place de première force d’opposition dans l’Assemblée, avec ou sans Eric Zemmour. Mais les partisans de ce dernier éprouvent de la rancœur envers Marine Le Pen, jugée trop sociale.
Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter pour un troisième mandat. Comment imaginez-vous la recomposition de l’offre politique d’ici quelques années ?
V.M : Difficile à dire pour l’instant. Même si les personnalités changent, l’offre politique, elle, évolue peu. Finalement, on retrouve chez La République en marche le vieux principe de l’UMPS (terme désignant la réunion théorique de l’UMP, ancienne dénomination des Républicains, et le PS, ndlr). Emmanuel Macron ne pourra pas rempiler en 2027. Or, LREM s’incarne dans la personnalité d’Emmanuel Macron, une personnalité qui ne s’embarrasse d’aucune idéologie. Je ne vois pas qui pourrait lui succéder. Quelles sont les ambitions d’Edouard Philippe, avec son parti Horizons (allié de LREM) ? N’oublions pas que le fait de créer un parti apporte des financements propres mais ira-t-il jusqu’à faire sécession de LREM ? Il aurait à y perdre.
« Le système est très résilient »
Virginie Martin
Côté Rassemblement national, Marine Le Pen n’est pas à la fin de sa carrière politique, elle pourrait très bien revenir. Quid de Zemmour et d’une montée de l’extrême-droite historique ? Il faut voir quel élan cela trouverait : avec une exposition médiatique délirante, le candidat plafonne à 7%. Alors sans …
Aussi, je ne vois pas de réelle recomposition de la vie politique. On joue beaucoup à se faire peur, à dire qu’il faut une refonte de la vie publique et du système car 13 millions d’abstentionnistes, ce n’est pas possible … Et finalement, le système s’adapte et perdure. Il est très résilient. Par exemple, on observe la disparition du clivage gauche-droite, mais on voit très bien que celui-ci renaît à l’aune du front républicain.
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