Six étudiants pour six mois d’aventure. Baptiste, Niels, Olivier, Lana, Clément et Margot embarquent le 6 octobre du Vieux-Port de Marseille à bord de la goélette « La Louise » du capitaine Thierry Dubois, deux Vendée Globe et trois tours du monde en solitaire à son actif. Après trois ans de travail, le projet des étudiants de l’École normale supérieure (ENS) se concrétise : faire de la recherche scientifique en Antarctique et la vulgariser.
C’est une petite histoire qui marquera la grande. Six étudiants se rencontrent sur les bancs de l’École normale supérieure (ENS) de Paris, Paris-Saclay et Lyon, après deux ans de classe préparatoire. Ils auraient pu tracer leur route individuellement, chacun dans sa spécialité, faire des stages à terre, mais ils ont préféré se rassembler et partir en mer. « Ce qui nous a réuni c’est une fascination pour les milieux polaires et la mer. L’envie de faire de la science, de la recherche et surtout de la partager » nous explique Baptiste, 23 ans et déjà agrégé de microbiologie.
Avec chacun ses compétences – Microbiologie (Baptiste), physique du climat (Niels), chimie des micro plastiques (Olivier), biologie des populations des manchots (Lana), bio géochimie (Clément) et sociologie (Margot) – les chercheurs en herbe se disent complémentaires. « Nous mettons nos domaines de recherche en relation dans l’idée d’étudier l’anthropisation en Atlantique, en Antarctique et sur les littoraux de l’Antarctique ». Les étudiants s’engagent pour une année de recherche pré-doctorale à l’étranger dont « six mois d’expédition pour prélever les échantillons de la recherche et trois mois d’analyses » relate Baptiste. Chaque étudiant est accompagné par un ou deux chercheurs qui le suit en amont, pendant et en aval de l’aventure. Olivier, qui travaille en partenariat avec l’Institut méditerranéen d’océanologie (M.I.O), a notamment reçu deux chercheurs sur « La Louise » avant le départ pour affiner ses protocoles.
Une préparation millimétrée
Une longue trajectoire les attend. De Marseille, la goélette sillonnera l’Atlantique (six semaines), passera par la Patagonie (deux semaines) pour finir en péninsule Antarctique (huit semaines). S’ils sont attirés par la mer, les étudiants n’ont pas l’habitude de naviguer pour autant. « Moi la première fois que je suis monté sur un bateau c’était y’a trois mois. J’étais juste allé aux Frioul mais je ne sais pas si ça compte vraiment quoi ! » nous lance Baptiste avant un éclat de rire. « La semaine de navigation test à Lorient a révélé qu’on avait tous le mal-de-mer. » Clarisse Crémer, jeune icône de la traversée du Vendée Globe qui détient le record féminin, est marraine du projet. La navigatrice les a notamment aidé à s’amariner et se préparer mentalement. « On avait besoin d’avoir des retours de marins extérieurs à l’équipage qui nous accompagne » poursuit le jeune, et « Clarisse est passionnée, elle communique beaucoup sur la mer. C’est une figure. »
Avant un départ de six mois en milieu polaire et en mer, une batterie de tests est obligatoire. « Le vrai danger c’est d’être loin des côtes. On a tous constitué un dossier médical avec radio du thorax, électrocardiogrammes, radio dentaires… Bref, on a tout fait et tout va bien. Donc, en cas de problème sur le bateau, les secours auront déjà tout. » Les étudiants ont aussi choisi la période de l’été austral pour partir, pendant lequel les températures oscillent entre -2°C et -10°C sans que la nuit ne pointe le bout de son nez. Alors qu’en juin, juillet et août les températures sont septentrionales, pouvant descendre jusqu’à -70°C. « La seule espèce à ma connaissance qui vit en hiver ce sont les manchots empereurs. » observe le jeune agrégé, qui nous transmets ses connaissances sur la résilience de cette espèce en milieu hostile.
Une goélette-laboratoire pour l’Antarctique
Le bateau est un élément clé de la faisabilité de l’expédition. A six mois du départ, les étudiants ont géré une situation de crise : « Notre bateau a eu une avarie. On s’est retournés très vite pour en trouver un autre. » C’est le navigateur Thierry Dubois qui les a convaincus. D’une part, son expérience personnelle en dit long : finaliste de deux courses du Vendée Globe et trois tours du monde en solitaires. D’autre part, il s’intéresse aux milieux polaires. « La Louise, ça fait 10 ans qu’elle fait du “charter” au Groenland » assure Baptiste. La goélette, qui de l’extérieur paraît fine et peu profonde, et dont la coque beige et brune, peut accueillir dix personnes sur le long terme. « Après ce n’est pas le grand luxe, mais c’est confort. » s’enthousiasme l’étudiant.
Un véritable laboratoire de recherche a été installé dans la cale. Un défi qui exaltait Thierry Dubois. « Lui, ça l’a motivé de se dire : est-ce que je peux réussir à bricoler un laboratoire dans mon bateau ? ». L’équipage a donc solidement arrimé un congélateur, un sur-congélateur, des planches de travail de manière à ce que les secousses ne fassent pas tout sauter durant l’expédition.
Une association qui émerge : Juste 2 degrés
L’équipe qui part en mer n’est que la face visible de l’iceberg. « Notre projet a explosé en 2020 et 2021 et on a vite compris qu’on ne pouvait pas porter le projet à six. On a donc monté l’association « Juste 2 degrés » avant de recruter une trentaine de bénévoles. Ils interviennent dans les classes, ils communiquent, ils finalisent les financements… Ils sont super précieux. » confie Baptiste, reconnaissant.
Avec un coût total de 700 000 euros, les étudiants ont collecté 350 000 euros auprès d’organismes privés et publics, l’autre moitié étant des dons et du mécénat de compétence. « On a reçu beaucoup de financements publics provenant des collectivités locales, des Régions, des Villes (dont la Ville de Marseille), des laboratoires (dont le M.I.O), les trois écoles normales supérieures, le Ministère de l’enseignement supérieur et l’Ademe. Et nous avons aussi reçu des financements privés » dit-il. Total Energies, Sisley ou encore Paradiski (Les Arcs) comptent parmi les partenaires privés. Pour Baptiste : « Sans ces grands groupes, il n’y a pas de recherche comme elle se fait actuellement en France » même si les instituts de recherches et les laboratoires constituent la majorité des financements de la traversée.
Deux partenaires sont également essentiels pour l’expédition. Orange, qui a installé des amplificateurs de réseaux sur la goélette. « En termes de donnée, on a 5Go par mois. On ne peut envoyer ni de vidéos, ni de photos. Seulement des mails avec du texte. » concède Baptiste, qui attend la venue de Météo France pour installer une station de données précises. Ces données serviront aussi à Météo France. « On a beaucoup de mal à construire des modèles météorologiques en Antarctique et sur les mers du Sud car peu de bateaux s’y aventurent et la mer est agitée. »
La pédagogie en filigrane
« Quand j’étais en CM2, on a fait une classe verte aux Frioul avec une skippeuse du Vendée globe. Et depuis je me dis que la mer c’est incroyable ! ». C’est une main tendue que Baptiste a reçu et qu’il souhaite tendre à son tour. Pour la pédagogie, l’équipage choisit Jamy Gourmaud comme parrain du projet. Le célèbre journaliste qui vulgarise la science dans l’émission C’est pas Sorcier. « Il se trouve que Jamy est aussi un passionné des milieux polaires. C’était parfait ! »
Leur but est de faire comprendre le rôle d’un scientifique et donner envie aux élèves, de la maternelle au lycée, de se tourner vers ces métiers. « On discute avec les minots. On leur explique l’essence du projet. Puis, on les fait participer à des ateliers pédagogiques pour qu’ils comprennent la démarche scientifique. On a aussi fabriqué des contenus pédagogiques sur la biodiversité des Calanques » détaille Baptiste avec allégresse.
A Marseille, ce sont 20 classes qui bénéficient de ces ateliers sur la semaine avant le grand départ. A l’échelle nationale, l’association travaille dans plus de 200 établissements, grâce aux partenariats avec six rectorats. Au total, plus de 5 000 élèves sont touchés. « Voire plus », s’exulte l’étudiant, « mais ça n’a pas de sens de les compter. Si déjà un élève est sensibilisé, le pari est gagné.. »
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