Dans le cadre du suivi des énergies nouvelles, comme l’hydrogène, sur notre territoire, Gomet’ a rencontré Jean-Philippe Gendarme, en charge du projet GreenHy, porté par le groupe français indépendant Enerlis basé à Boulogne-Billancourt. Ancien directeur des sites industriels Kem One de Fos-sur-Mer et de Vauvert de 2010 à 2019, après une formation d’ingénieur chimiste et des responsabilités opérationnelles chez Arkema, il a cofondé en 2014 l’association Piicto (Plateforme Industrielle et d’Innovation de Caban Tonkin) qu’il a présidée pendant cinq années.
Pouvez-vous nous présenter le projet GreenHy ?
Jean-Philippe Gendarme : GreenHy est une entreprise spécialisée dans la fourniture d’hydrogène bas-carbone destiné aux marchés de la mobilité et de l’industrie. Dans l’univers de l’hydrogène qui connait beaucoup de communication, le projet GreenHy a assumé le choix d’un travail efficace et discret. Kem One, n°3 européen de la chlorochimie, dispose à Fos-sur-Mer d’une usine de production de chlore et de soude par électrolyse de saumure ; au cours du processus, de l’hydrogène fatal est coproduit. En juillet 2021, GreenHy et Kem One ont conclu un accord d’approvisionnement en hydrogène : GreenHy propose de récupérer et de valoriser localement cet hydrogène résiduel dans un schéma d’économie circulaire. Après le premier volet de sécurisation de l’approvisionnement, nous avons orienté nos efforts vers la construction d’une station de purification, compression et distribution d’hydrogène, pour décarboner le trafic routier fosséen et régional.
Quelle est la dimension économie circulaire de votre projet ?
J-P G : Nous ne voulons pas produire d’hydrogène par électrolyse d’eau, avec des consommations importantes d’électricité (jusqu’à 15MW de puissance) et d’eau potable (l’équivalent de la consommation annuelle d’un village de 400 habitants), loin des clients finaux, mais utiliser de l’hydrogène déjà existant, insuffisamment valorisé par notre partenaire Kem One sur son site de Fos. De plus, nous voulons opérer à proximité de ce site, car il est proche des consommateurs finaux, les véhicules circulant sur la zone. Ainsi, les norias de camions circulant à Fos sur la route départementale (RD) 268 pourront facilement être rechargés en hydrogène sans faire de détour.
Dans quelle zone GreenHy veut-elle opérer ?
J-P G : Comme vous savez, le Grand Port Maritime de Marseille gère le terminal porte containers 2XL dans les bassins ouest à Fos. Les camions desservent le port et distribuent les marchandises arrivées ou exportées par voie maritime en passant sur la RD 268, par le rond-point de la Fossette en direction de Port-Saint Louis-du-Rhône. 6 000 poids lourds par jour sont attendus sur ce trajet à horizon 2030. C’est pourquoi nous ciblons un foncier précis le long de cette route.
Dans un premier temps, nous avions envisagé d’implanter nos installations de compression et purification d’hydrogène sur le site même de Kem One, à la source, mais c’était opérationnellement et réglementairement difficile à mettre en œuvre. Par ailleurs, cela aurait renchéri le prix de l’hydrogène pour les clients (de 1 à 3€/kg selon le kilométrage parcouru), car il est coûteux de transporter de l’hydrogène sous pression. Depuis mai 2022, nous travaillons donc sur un projet de parcelle foncière de 6000 m2 le long de la RD268 à proximité immédiate du site de Kem One, que le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) nous louerait.
Comment GreenHy va contribuer à décarboner le routier ?
J-P G : Rappelons que le Port de Marseille est classé 6e port européen au plan du trafic global mais seulement le 20e en matière de trafic conteneurs, et un rattrapage est visé, pour passer de 1,5 million de conteneurs équivalent vingt pieds (EVP) à ce jour à 2,5 millions en 2040. Même si tout ce fret ne prendra pas la route, en développant l’intermodalité comme le ferroviaire et le fluvial, le flux routier restera important et croîtra par rapport à la situation actuelle. Or si l’on veut limiter la pollution autour de l’étang de Berre, il faut impérativement décarboner la mobilité routière lourde. Riverains, collectivités et administrations sont sensibilisés à la nécessité d’améliorer l’empreinte écologique du transport routier pour diminuer les émissions de polluants atmosphériques et de CO2.
En passant d’une motorisation classique diesel à une motorisation électrique à pile à combustible hydrogène (PAC H2), on supprime les émissions de polluants atmosphériques et de CO2 car une PAC H2 ne génère que de la vapeur d’eau. Depuis la crise énergétique de 2022 et 2023 et la forte inflation des prix de l’électricité, la valorisation de l’hydrogène fatal devient encore plus compétitive et constitue un puissant levier de développement d’une mobilité lourde décarbonée.
La décarbonation des transports a d’abord porté sur la mobilité légère, réglementairement comme commercialement. C’est pourquoi à ce jour, il n’y a encore que quelques dizaines de camions à PAC H2 sur les 6 millions de poids lourds circulant en Europe et les 620 000 poids lourds immatriculés en France. Cependant, sous l’effet d’un durcissement des réglementations européennes et françaises en cours et à venir, le parc de poids lourds à PAC H2 est amené à se développer en nombre comme en tonnage. C’est pourquoi l’écosystème énergétique hydrogène est si actif. L’Ademe, par exemple, a lancé plusieurs appels à projets dans ce domaine.
Vous aussi GreenHy connaissez des difficultés récentes
J-P G : Effectivement, nous nous heurtons depuis peu à une volte-face du GPMM qui, après presque 2 ans d’échanges, vient de signifier à GreenHy son refus de louer la parcelle convoitée, sans proposition de solutions alternatives. Le Port nous a informés que le terrain envisagé n’était finalement pas disponible, car réservé à des fins de compensation foncière. Pourtant, les zones de compensation et le schéma directeur du GPMM ont été définis lors de la validation du projet stratégique du port en mars 2022 et le terrain ciblé par GreenHy n’en faisait alors pas partie. Depuis, le gouvernement a annoncé une accélération de l’aménagement du foncier industriel, notamment dans les ports de l’Axe Seine, de Dunkerque et de Marseille en dérogation au ZAN (zéro artificialisation nette), à la compensation écologique et à la participation du public : ce texte prévoit 12 500 hectares pour des projets d’envergure nationale ou européenne (PENE) présentant un intérêt général majeur, dont 709 hectares sont inscrits sur le GPMM pour 16 projets.
Pourquoi une telle décision selon vous ?
J-P G : Cette décision nous a extrêmement surpris, et nous ne la comprenons pas. Serait-ce parce que nous avons insuffisamment convaincu des bénéfices écologiques et économiques du projet ou insuffisamment communiqué à ce sujet ? Ou parce que nous sommes un relatif petit projet à taille réaliste et non un mégaprojet plus visible qui aurait la préférence du Port, alors que nous pensons que l’exclusivité n’a guère de sens ?
GreenHy est-il un projet menacé d’abandon ?
J-P G : Comme nous n’avons pas de localisation alternative pertinente, nous sommes réellement sous la menace d’abandonner ce projet. Il s’agit pourtant d’un projet structurant pour le territoire, vertueux écologiquement, consolidant économiquement notre partenaire Kem One et ses 320 emplois directs, sans compter les emplois indirects, permettant de créer quatre emplois directs et de générer 25 millions d’euros d’investissements sur une période de 10 ans. A suivre…
Liens utiles :
Citons d’autres acteurs en hydrogène localement (déjà évoqués par Gomet) :
Air Liquide a créé une station qui distribue de l’hydrogène pour la mobilité lourde, située tout proche de son site industriel historique de Fos au Tonkin, dont l’accès est moins aisé pour les poids lourds que sur la RD 268 visée par GreenHy.
Total à La Mède investit dans l’hydrogène pour sa bio-raffinerie, les raffineries ayant besoin d’hydrogène pour désulfuriser leurs produits.
Geosel porte le projet HyVence, qui est compliqué avec les riverains et la position des maires comme celui de la Ville de Fos