Economiste, consultant, spécialiste du biomimétisme et auteur notamment de Permaéconomie, Emmanuel Delannoy est un pratiquant quotidien du vélo. Il partage avec nous les sensations que lui procure ce moyen de transport : « chaque jour, un voyage… » Tout est si bien dit. Merci à lui !
Saison après saison, c’est un festival d’infinies variations qu’il faut savoir saisir, ressentir et apprécier à leur justes valeurs : celles de la vie et de ses aléas. La température de l’air, la sensation de la brise sur la peau ; ou des vents parfois fougueux que la vallée du Rhône nous prodigue ; les rares ondées ou les plus rares encore pluies torrentielles – oui, elles aussi, sont de l’aventure. Le froissement des feuilles mortes sous nos roues, les oiseaux de passage et les autres présences animales, discrètes, comme ce renard croisé au petit matin en pleine ville. Et la lumière, toujours la lumière. Et puis cet autre monde, riche de contrastes, à la nuit tombée. Les rues apaisées, les brouhaha des conversations et les rires qui fusent des fenêtres ou des terrasses des cafés, les nuits d’été.
C’est une routine, un trajet quotidien. Et pourtant c’est aussi, chaque jour, un voyage. Une aventure à chaque fois renouvelée. La lumière n’est jamais la même. Pas plus que ne le sont les ombres portées des arbres et de leur feuillage, ces cadeaux si précieux du ciel et de la terre, que pourtant nous négligeons si souvent.
En hiver, le froid parfois intense, qui réveille et grise, lui aussi fait partie de l’aventure, pour peu que l’on ait pris soin de bien couvrir ses extrémités.
Le rythme de la vie, celui de la ville et de ses habitants, tellement plus beaux quand ils sont à vélo ou à pied. Révélés, humanisés, plutôt que dissimulés derrière d’épaisses parois de tôles et de verre trempé. On apprend à se reconnaître, on finit par échanger un regard, un sourire, un petit geste de la main ou quelques mots. Ces petits riens là peuvent sauver une journée.
En se reconnectant au monde, ce sont aussi nos mondes intérieurs que nous redécouvrons.
Emmanuel Delannoy
Cette infinité de variations est aussi intérieure. En se reconnectant au monde, ce sont aussi nos mondes intérieurs que nous redécouvrons. Pourquoi, à cet endroit précis, est-ce toujours ce même air qui me revient en tête au point de me surprendre à le siffloter ? Est-ce ma cadence de pédalage qui me suggère un rythme, une association d’idées, liée à un élément du paysage ou de l’architecture ? Pourquoi suis-je à cet endroit là plus apaisé, et à celui-ci plus intranquille ? Mondes extérieur et intérieur s’interpénètrent et communiquent, souvent à notre insu. Ce temps pour soi qu’est un trajet en vélo, deux fois par jour, est un cadeau.
Certes, une aventure ne s’improvise pas. Elle suppose, avant le départ, un minimum de préparation. Mais cette préparation est si légère qu’elle laisse sa chance à l’impromptu, dont nos vies modernes réglées au millimètre sont tant privées. S’autoriser un détour, faire une halte au parc, aller saluer le couchant sur la mer ou au sommet de la colline d’à côté ? Oui, on peut.
Et si, par bonheur, cette “routinaventure” quotidienne venait à vous donner envie d’autres explorations, surtout, ne vous en privez pas ! Les canaux, les vélos routes et les voies vertes de France et d’Europe vous attendent, pour un voyage, un peu plus long cette fois, qui pimentera vos prochaines vacances. Vous constaterez alors que l’air de rien, sans y faire attention, vous avez acquis plus qu’il ne faut de condition physique, de jambes et de souffle, pour affronter des distances et dénivelés d’une toute autre ampleur.
Le vélo, c’est un peu comme la vie. Pour la rendre plus belle, la vie comme la rue ou la route, nous pouvons adopter une éthique (j’aurais pu écrire une poétique) de la mobilité.
Emmanuel Delannoy
Un dernier mot. J’aurais pu, bien sûr, parler des tensions, du bruit, des incivilités, des paroles déplacées, des conflits d’usage pour l’espace public entre modes de déplacement, ou aussi du non-respect des encore trop rares infrastructures destinées aux déplacements à vélo. Mais j’ai choisi de parler de la beauté. La voir, la reconnaître, c’est la faire exister et grandir. Nous avons, cyclistes, un rôle à jouer. Le vélo, c’est un peu comme la vie. Pour la rendre plus belle, la vie comme la rue ou la route, nous pouvons adopter une éthique (j’aurais pu écrire une poétique) de la mobilité. Par notre simple présence, nous avons le pouvoir de rendre le monde plus beau et la vie plus belle. Soyons vigilants, prenons soin de nous et des autres. Soyons attentifs et bienveillants envers les plus fragiles et les plus lents, autres cyclistes ou piétons. Quand bien même il faudrait pour cela ralentir un peu. Car chaque seconde que nous perdrions peut-être nous sera alors rendue au centuple, en apaisement et en sourires. On y gagne largement au change.
Emmanuel Delannoy
16 septembre 2022
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