La légalisation du cannabis en France… C’est un serpent de mer, politique et sociétal, national et local, qui revient cette fois à la surface à la faveur d’un rapport parlementaire présenté ce lundi 17 février par deux députés et intitulé « Evaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants.»
Pas banal, ce sont cette fois deux parlementaires de bords très opposés, Antoine Léaument (LFI) et Ludovic Mendes (apparenté Ensemble pour la République), qui s’y collent. Après 17 mois de travail et 300 pages de rapport, ce sont pas moins de 63 propositions, dont 46 communes, que les deux élus mettent sur la table pour lutter contre le trafic de stupéfiants. Avec une mesure phare : la « légalisation de l’usage et la détention du cannabis à des fins personnelles ».
« Cela fait 30 ans que l’on explique que le consommateur de drogue est un délinquant, complice du trafiquant, qu’il a du sang sur les mains. Ça n’a jamais rien changé. On a une hausse permanente de la consommation de drogues dans le pays », souligne Ludovic Mendes, dans les colonnes du Parisien, à rebours du « tout répressif » symbolisé par la campagne choc de « culpabilisation » du consommateur lancée il y a quelques jours par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, pour qui « quand on fume son cannabis ou qu’on prend son rail de coke, on est un peu responsable des règlements de comptes ».
Pour une « autorité de régulation du cannabis » chargée de distribuer des licences
Partant du constat que « le trafic de stupéfiant ne cesse de s’accentuer », les deux députés plaident pour une légalisation du cannabis « à la française », reposant sur un modèle strictement encadré par l’État. « Il ne s’agit pas de contester la nocivité de cette substance, mais d’offrir une réponse pragmatique », justifient-ils. Antoine Léaument et Ludovic Mendes préconisent ainsi la création d’une « autorité de régulation du cannabis », une instance comparable à l’Autorité nationale des jeux (qui régule les paris sportifs et autres jeux d’argent) qui aurait pour mission de délivrer des licences professionnelles aux producteurs et aux détaillants (agriculteurs, revendeurs, pharmacies spécialisées…), de superviser les normes de vente et de planifier la production tout en fixant les prix.
Ils divergent cependant sur certains points : Antoine Léaument souhaite que l’État fixe le prix du cannabis et en interdise la vente aux mineurs, tandis que Ludovic Mendes préfère un prix déterminé par le marché et une interdiction aux moins de 21 ans.
Dépénalisation partielle des autres drogues
Autre mesure sujette à polémiques, les deux rapporteurs proposent la « dépénalisation pour toute détention inférieure à 3 grammes » des autres drogues (cocaïne, ecstasy/MDMA, champignons hallucinogènes, héroïne et autres amphétamines), afin de « concentrer l’action répressive sur les trafiquants ». Concrètement, un consommateur qui serait contrôlé avec une dose relativement peu importante se la verrait confisquée mais ne recevrait pas de peine, et serait redirigé vers une structure de soins ou d’accompagnement.
Là encore, les députés divergent sur l’application : Antoine Léaument veut que les consommateurs ne bénéficient de cette mesure qu’en-dessous de trois grammes détenus, pour passer ensuite par la judiciarisation, mais veut aussi supprimer les amendes forfaitaires délictuelles pour l’usage de produits stupéfiants. Ludovic Mendes propose, lui, de continuer à appliquer ces amendes forfaitaires entre 3 et 6 grammes détenus, puis d’engager des poursuites au-delà de 6 grammes.
Voir en intégralité la présentation en commissions des lois du rapport
« Evaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants »
Généralisation des scanners, police de proximité, lanceur d’alerte, referendum…
Au-delà de la simple question de la consommation, les députés consacrent également une large partie de leur rapport à la situation des ports, « point d’entrée massive de produits stupéfiants », en proposant de généraliser le recours aux scanners, et en créant une plateforme de signalement centralisée pour permettre d’identifier plus facilement des soupçons de corruption dans un port.
Autre mesure prônée par les deux députés : le rétablissement de la police de proximité, « pour retisser un lien de confiance entre la police et la population ». Enfin, ils défendent une meilleure législation pour la corruption, qu’ils appellent à être reconnue dans le privé, notamment pour punir les personnes qui aident à enfreindre la loi mais qui ne dépendent pas du gouvernement ou de l’État. Un statut de lanceur d’alerte pourrait ainsi être créé.
Alors qu’Emmanuel Macron a affirmé son souhait de proposer des référendums sur différents sujets, les deux députés proposent, pour finir, de consulter le peuple sur la légalisation du cannabis.
Retailleau et Darmanin vent debout
C’est peu dire que le rapport a été très fraîchement accueilli au sein du gouvernement. « Ce qui se passe dans les pays qui ont légalisé montre que la légalisation ne marche pas », a sèchement répondu ce mardi matin, sur TF1, Bruno Retailleau. La veille, le ministre de la Justice Gérald Darmanin, en déplacement dans l’Orne, avait, lui, déploré « un discours de défaite ».
Antoine Léaument et Ludovic Mendes qui défendent, eux, l’expérience « réussie » dans d’autres pays, comme le Portugal, auront l’occasion de porter certaines propositions par amendement lors de l’examen à venir d’un texte contre le narcotrafic déjà adopté au Sénat, qui doit consacrer la création d’un parquet national anticriminalité organisée, et compléter l’arsenal répressif.
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