Projet A06 : c’est le nom de code du plus grand projet d’éolien flottant lancé en Méditerranée, qui devrait se concrétiser en 2030. Après un débat public qui a permis de définir les contours du projet, le développement de l’éolien en Méditerranée vient d’entrer, en 2022, dans sa phase de concertation. Comprendre : le projet ne fera plus machine arrière, mais le gouvernement est toujours enclin à répondre aux (nombreuses) interrogations qu’il continue à susciter. Marseille a ouvert le bal de cette concertation le 9 novembre dernier avec une première séance publique, au cours de laquelle les participants ont pu faire état de leurs interrogations et de leurs craintes, auprès de représentants du ministère de la transition écologique, de RTE et du préfet Christophe Mirmand, et sous la houlette de la Commission nationale du débat public, garante du bon déroulement des échanges.
Les objectifs de la France
Les éoliennes en Méditerranée sont un pan de la stratégie du gouvernement pour accélérer sur le sujet des énergies renouvelables et plu spécifiquement dans le développement de l’éolien en mer. Dans le cadre de France 2030, l’Etat souhaite en effet passer au stade de l’industrialisation des fermes éoliennes flottantes, en plus de la recherche et l’innovation. Cet accent mis sur l’éolien s’inscrit aussi dans une logique de mix énergétique, alors que la France est frappée de plein fouet par une crise de l’énergie. S’ajoute à cela l’enjeu de la réduction des gazs à effet de serre. A terme, les deux parcs et leurs extensions doivent permettre de fournir 6,6 TWH et éviter ainsi l’émission de 3,2 millions de tonnes de CO2 émis chaque année, selon les chiffres avancés par le ministère de la Transition écologique. La France vise à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 en portant la part de ses énergies renouvelables à 33% de consommation finale brute, contre 19% aujourd’hui.
Le golfe de Fos favori pour l’implantation d’éoliennes en mer
De fait, des zones de doutes persistent, à commencer par l’implantation des éoliennes : actuellement, trois zones ont été ciblées en Méditerranée pour installer les deux parcs éoliens de 250 mW chacun qui commenceront à tourner en 2030, soit l’équivalent de la consommation de 950 000 habitants. A terme, les parcs seront étendus pour produire 500 mW supplémentaires (la consommation d’environ 2,9 millions d’habitants). S’il est acté que l’un des parcs flottera dans l’anse de la Narbonnaise (Aude), l’implantation du second n’est pas encore déterminée : les études sont encore en cours pour trancher entre la zone située au large de Port-Saint-Louis-du-Rhône, dans le golfe de Fos, et la zone au large de la plaine du Roussillon, en face de Perpignan. A noter toutefois que la première option part favorite (voir le schéma ci-dessous). Les fermes pilotes qui commenceront à tourner à l’été 2023 sur les trois sites, y compris à Fos avec le projet Provence grand large mené par EDF, permettront, d’ici 2030, d’établir un choix définitif en fonction de différents paramètres : la force du vent, l’impact environnemental, …
Enfin, l’Etat poursuit également des études techniques et environnementales sur une quatrième zone au large de l’agglomération montpelliéraine, mais elle est pour l’heure exclue du protocole de mise en concurrence pour l’exploitation des parcs. Chaque parc et son extension seront placés à plus de 22 kilomètres des côtes et s’étendra sur 150 km², soit une superficie moindre que celle des zones actuellement définies.
Ce développement de l’éolien en mer est soutenu dans le cadre du plan France 2030, qui finance à hauteur de 300 millions d’euros. En termes d’investissement, le coût d’un parc éolien de 250 mW est estimé aux alentours de 700 millions d’euros, selon le dossier de maîtrise d’ouvrage, hors raccordement, et grimperait jusqu’à 1,5 milliard d’euros avec l’extension. A titre de comparaison, le projet de ferme pilote Provence Grand Large, lui, s’élève à 200 millions d’euros.
Une nouvelle étape a été franchie en août dernier avec le lancement d’un appel à projets par le ministère de la transition écologique pour l’exploitation des futurs parcs éoliens. A ce jour, treize consortiums ont répondu à l’appel à projets dont le marseillais Bourbon (voir notre article) mais aussi les espagnols Iberdrola et Ocean Winds, ou encore le suédois Vattenfall. Les parcs seront attribués à un ou deux de des treize candidats à l’automne 2023. Un second appel à projets doit intervenir après 2024 pour attribuer les extensions des parcs, sans garantie que les gagnants du premier appel à projets emporte également le second.
Impact sur la biodiversité : la stratégie « Eviter, réduire, compenser » du gouvernement
La concertation de Marseille, le 9 novembre, a surtout fait resurgir un vieux serpent de mer au sujet de l’éolien : l’impact sur la faune et la flore marine. Dans la salle, ils sont nombreux à se préoccuper de la question, à commencer par la maire des Saintes-Marie-de-la-Mer (Camargue) Christelle Aillet, pas convaincue par le ton rassurant employé par les autorités étatiques. « Alors que la protection de la biodiversité est plus que jamais évoquée, on veut nous mettre des hachoirs à oiseaux en Méditerranée ! Que deviendra le parc régional de Camargue sans ces espèces ? Et je ne vous parle pas du bruit que cela génère sous la mer et ainsi que la dégradation du carbone … », s’indigne-t-elle auprès de Gomet’. De fait, les résultats de l’étude Migralion, l’une des études menées pour évaluer l’impact des éoliennes sur l’avifaune, ne seront connus qu’en 2025. L’édile camarguaise craint aussi des dommages à venir en cas de tempête centennale, fréquente dans cette zone. Pas convaincue donc …
Mais ce n’est pas tout : outre l’atteinte à la biodiversité, les détracteurs des éoliennes pointent un autre aspect du doigt : les matériaux dans lesquels ces dernières sont fabriquées. « Cela a peut-être été vrai pendant un temps », concède Paul Paret, consultant dans le domaine de l’éolien (voir l’interview ci-dessous), « mais cela reste négligeable par rapport à la pollution des industries sur le périmètre de Fos. Aujourd’hui, les constructeurs utilisent des matériaux recyclables. » Dans le dossier de maîtrise d’ouvrage, la diffusion d’une certaine quantité de métaux dans l’eau (aluminium, zinc) n’est pas niée, mais ses rédacteurs évoquent la mise en place notamment d’anodes sacrificielles pour limiter cette diffusion qui seraient « négligeables par rapports aux concentrations mesurées dans le milieu naturel. »
« Les éoliennes en mer sont des hachoirs à oiseaux »
Christelle Aillet
Conscient de l’impact environnemental, limité certes mais existant, des éoliennes, le gouvernement a mis en place une stratégie qui se résume en trois mots : « Eviter, réduire, compenser.» Plus précisément, la stratégie gouvernementale consiste à éviter au maximum les risques, réduire ceux existants, et le cas échéant compenser les éventuels dégâts. Concernant le cas des oiseaux, si une influence est effectivement constatée au travers des études, plusieurs solutions pourraient être mises en place pour la réduire : la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement évoque ainsi lors de la concertation « des mesures d’effarouchement » pour changer la trajectoire des oiseaux, ou encore le bridage des éoliennes en fonction du rythme des migrations.
De l’avis de la présidente du parc naturel régional de Camargue et élue à la Région Anne-Claudius Petit, également présente lors de la concertation, la démarche du gouvernement est justement plutôt rassurante : « La Région soutient le projet mais cela ne nous empêche pas d’être très vigilants quant aux effets sur la biodiversité. Nous ne sommes pas dans une logique du ” quoi qu’il en coûte”, il faut faire attention. Il est rassurant de voir que l’Etat se soucie de ses aspects et précise que l’octroi de l’appel à projet ne vaut pas autorisation environnementale », confie-t-elle à Gomet’.
En effet, le cahier des charges retenu pour l’appel d’offres A06 impose d’emblée un critère environnemental aux candidats. Ce critère compte pour 14% du résultat, contre 73% pour le prix, les 13% restants valorisant la dimension sociale du projet. Si le prix reste le critère prépondérant, « ce taux de 14% pour le critère environnemental est inédit dans un appel d’offre. C’est ce qui pourrait faire pencher la balance entre deux candidats à prix égaux », note Paul Paret. De fait, comme le soulignent les responsables du projets, le statut de lauréat dans l’appel d’offres ne garantit pas automatiquement l’accession à un permis de construire, ce qui constitue un garde-fou contre un projet qui irait à l’encontre des considérations environnementales. Le cahier des charges prévoit en outre la prise en compte dans les projets de l’impact sur certaines activités telles que la pêche et la culture maritime.
« Gagner du temps »
Une autre interrogation survient au regard du calendrier choisi par les autorités. En effet, celles-ci ont décidé de trancher entre les deux zones en suspens et de démarrer les travaux des parcs avant même le retour des expérimentations menées dans les fermes pilotes, point souligné dans le compte-rendu du débat public.
Dans les faits, les éoliennes des fermes pilotes entreront en service à compter de juin 2023, tandis que le montage des éoliennes finales est supposé démarrer courant 2029, pour une mise en service en 2030. « Même si le projet avance en parallèle, cela nous laissera le temps, entre 2023 et 2030, d’avoir le retour des fermes pilotes et de rebondir en fonction des résultats. Cela permet de gagner du temps », analyse Paul Paret.
En effet, selon le calendrier avancé par le ministère de la transition écologique et RTE, les candidats de l’appel d’offres auront jusqu’à juin 2023 pour remettre leurs propositions, tandis que les fermes pilotes ne rentreront en service qu’à l’été. En attendant, un important travail de pédagogie doit être mené sur le terrain. Les différents candidats multiplient les réunions avec les habitants, associations, et entreprises pour expliquer ce projet et contrer les réticences régulièrement mises sur le tapis lorsque l’éolien, qu’il soit terrestre ou marin, est évoqué.
Quant aux retombées économiques sur le territoire, elles restent pour l’heure assez floues : s’il est certain que la présence des éoliennes sur le territoire va générer des activités de maintenance et de sous-traitance, « il ne faut pas non plus s’attendre à une fourmilière », relativise Paul Paret. Rendez-vous en 2030 …