Beaucoup l’ignorent, mais Yves Montand, de son vrai nom Ivo Livi, a vécu, enfant, dans le quartier des Crottes du 15e arrondissement de Marseille, situé aujourd’hui dans le périmètre d’Euroméditerranée. Il évoquait volontiers le temps de ses culottes courtes. Et ce chenapan n’a pas eu à se forcer, lorsqu’il chanta « La bicyclette » d’Etienne Lorin et René Laquier. On l’imagine avec Fernand, Firmin, Francis et Sébastien, sans oublier Paulette, allant par les chemins qui étaient encore fréquentables à Marseille. « On se sentait pousser des ailes » disait la chanson et « on revenait fourbus contents » de ces escapades. Mais ça c’était hier, lorsqu’on arrêtait le tram pour mesurer un point sur la Corniche, sous l’œil suspicieux des as de la pétanque.
On se prend à rêver du retour de ces jours heureux comme le disait il y a un an Emmanuel Macron pour s’excuser de nous « enconfiner ».
Une balade à vélo entre l’Estaque et Callelongue ? Ce serait le paradis
Hervé Nedelec
Beaucoup l’ignorent, mais Marseille c’est 57 kilomètres de littoral, avec 24 kilomètres de ces Calanques que nous envie le monde entier. Pour autant peut-on imaginer aujourd’hui de s’offrir une balade à vélo entre l’Estaque et Callelongue ? Ce serait le paradis, car sur sa selle on peut traverser l’Histoire, à l’allure qui permet de la comprendre et d’abord de la découvrir.
Imaginons ce qui relève encore de l’utopie. Nous voilà donc au pied de château Fallet, là où les Derain, Cézanne, Duffy et autres Braque ou Marquet ont posé leur chevalet, pour immortaliser la baie de Marseille. Ils délaissaient Montmartre, Auvers ou Honfleur, pour se colleter à la lumière du midi. Lorsqu’on traverse avec le seul bruit d’une chaîne bien huilée l’Estaque, on peut voir l’imposante bâtisse qui servit de décor à Cantona, L’Outremangeur, ou plus loin les petites courées, ces maisons héritées de l’immigration italienne qui a fait souche. Guédiguian a définitivement installé dans la mémoire collective avec « Marius et Jeannette », ce village partagé entre deux pôles : la gare et la plage.
A vélo, si Dieu moteur vous prête vie, vous pourriez longer ce port où les pachydermes du tourisme, flirtent avec quelques chaluts ou des vraquiers en attente de carénage. Vous aurez traversé Saint-Henri, Saint-André, Saint-Louis où les curés régnèrent moins que les communistes sur la classe ouvrière. Elle était la chair des fabriques de tuiles, des huileries ou encore de la réparation navale. La Marseille industrielle et laborieuse que rappellent à quelques centaines de mètres de là, cinq « élégantes » bleues. Cinq grues sauvées de l’oubli sur la grande jetée qui attend de retrouver son public à deux pattes ou à deux roues.
Après avoir laissé derrière vous la dentelle du Mucem et la pierre martiale du Fort Saint-Jean, vous filerez sur le Vieux-Port
Hervé Nedelec
Après avoir laissé derrière vous la dentelle du Mucem et la pierre martiale du Fort Saint-Jean, vous filerez sur le Vieux-Port et passerait en revue les immeubles de Fernand Pouillon. C’est le dynamitage par les nazis de ce quartier, où vivait un petit peuple bigarré d’immigrés de toutes les origines, qui a voulu que l’architecte pose son compas et sa table de dessin ici. Il a imposé la pierre du Gard la romaine, à Marseille la Grecque. Vous longerez l’autre rive en songeant que des canaux pénétraient là où deux places ont été ouvertes (Estienne d’Orves et aux Huiles). Les immeubles étaient alors des docks.
Filez vers les Catalans, avec un regard attendri pour le palais du Pharo où l’impératrice Eugénie ne vint pas, sachant que son empereur de Napoléon III batifolait à Biarritz. La ville lui vola son bien. Eugénie fit procès, le gagna et offrit le Pharo à Marseille. Princière.
La tour du Lazaret aux Catalans, vous rappellera qu’il fut un temps où on imposait la quarantaine aux porteurs de virus. Tiens, tiens ! Et que l’Ibère vint débarquer, pêcheur de son état, en 1720 sur ce sable avant de voler la chaîne qui barrait l’entrée du Vieux-Port et que Valencia ne nous a toujours pas rendue.
Avant Malmousque, au pied de ce qui fut, en 1998, le mur de Zidane, vous poserez votre machine pour regarder le château d’If et sa légende montécristienne. Il y avait là les Flots bleus, un café terrasse où Albert Cohen s’attardait à la fin du jour. Il regardait, comme plus bas au Vallon des Auffes, le plus beau coucher de soleil qui soit, lorsque l’astre « se noie dans son sang qui se fige ». A vélo, glissez à cette heure-là jusqu’à chez Jeannot, et attendez que le gros rond écarlate disparaisse entre deux pointus bleus et les arches du pont.
Passée l’anse de la Fausse-Monnaie, voici la plus belle avenue de la terre.
Hervé Nedelec
Passée l’anse de la Fausse-Monnaie, voici la plus belle avenue de la terre. Enfin elle le sera vraiment, lorsqu’un pouvoir politique osera chasser la circulation pétaradante qui pollue l’air marin et assaille les tympans. Mais tout de même c’est beau !
Allez, en deux coups de pédales vous voilà, après les plages du Prado, à la Pointe Rouge et ses forêts de mâts. Montredon, la Madrague, sans Brigitte mais avec les coquillages de chez Aldo. Sus aux Goudes entre roches rudes et criques ciselées. Les Bunkers vous rappellent que la vue y était parfaite, mais des restes de barbelés vous disent autre chose et notamment qu’il y avait là des usines chimiques. Les Goudes et ses cabanons un peu canailles et enfin Callelongue et ses barcasses séchant sur la pente rude du début des Calanques. Posez votre petite reine et offrez-vous un gros bol d’air. C’est gratuit. Longue vie à la petite reine !
A moins que vous ne préfériez les autoroutes ! Dommage. L’Histoire nous apprend qu’à la Valentine, il y avait, au XIXème siècle, des vignes et qu’elles reçurent, pour leur vin, une médaille d’argent du Ministère de l’agriculture. Il ne reste que les bouchons.
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