C’est sans doute ce qui, il y a 26 siècles, a frappé les navigateurs venus de Grèce. Des calanques profondes, des îles face aux courants, des collines revêches, un Lacydon protecteur, de rudes rochers, une nature généreuse, un soleil triomphant, un vent décapant… la future Marseille était accueillante et, un peu comme les marches de cet escalier qui mène à Turin dans une chapelle mystérieuse, repoussante. C’est sans aucun doute ce qui a toujours séduit les visiteurs d’un jour, comme ceux qui ont jeté leur ancre.
Il en va de la ville comme des hommes qui la composent, la fondent, la distinguent des autres. Cette année 2020, et son cours tourmenté, a ainsi vu émerger des personnalités qui ont jeté une fois de plus Marseille dans la fosse médiatique. Celle qui en fait une championne avec son lourd tombereau de lauriers ou la voue aux gémonies avec la corde du sarcasme pour étrangler sa réputation.
Stéphane Bancel : de Provence à Centrale
Prenez ainsi, à quelques mois de distance, deux patrons. Le premier, le professeur Didier Raoult, haut-diplômé de médecine, a bourlingué dans sa jeunesse un poil rebelle et rétif aux études, avant de suivre la trace de son père et grand-père, et de s’imposer dans un Institut Hospitalier et Universitaire taillé sur mesure pour lui. Il est considéré comme l’épidémiologiste le plus doué de sa génération. Le second vient de s’installer, sans tapage, dans notre mémoire collective. Stéphane Bancel a fait un cursus impeccable passant par la réputée institution jésuite de Provence avant de s’imposer à Centrale, le nec plus ultra de la formation made in France. Après avoir été un loyal petit soldat chez Mérieux, l’un des leaders de la recherche pharmaceutique française, il est devenu aux USA le capitaine de sa propre industrie où il dirige depuis neuf ans Moderna.
Il y a huit mois la France tétanisée par la Covid 19 n’avait d’yeux et d’oreilles que pour Didier Raoult, sa coiffure de druide, sa bague tête de mort, son mépris affiché pour les non-sachants – comprenez les journalistes – ses certitudes récurrentes qui lui faisaient douter d’une pandémie possible et assurer qu’une pharmacopée prescrite par ses soins aurait raison de ce coronavirus.
L’homme était de plus colérique et gare à celui, fusse-t-il un confrère ou une consœur, qui se serait avisé de se mettre en travers de sa route vers la gloire. D’ailleurs les chauffeurs de taxi de la place Castellane ne s’y sont pas trompés, réservant à ce champion de la médecine un accueil que n’aurait pas boudé un Jean-Pierre Papin ou un Basile Boli. C’était il y a un siècle. En ce mois de novembre la fièvre est retombée du côté de la Timone, même si elle inquiète toujours ceux qui ont à charge les patients d’une région Paca en danger sanitaire.
il faudra réfléchir à la propension qu’a parfois cette ville de vouloir se hausser du col
Etrangement il n’y a pas eu un tel raffut pour la nouvelle star née à Marseille, le patron de Moderna. Il a annoncé avec son petit tambourin mais sans trompette, être en mesure de produire un vaccin pour stopper le virus qui nous emprisonne depuis bientôt un an et dont il assure l’efficacité à 94,5%. Il talonnait ainsi son puissant concurrent Pfizer. Quelques articles, quelques photos, quelques apparitions, un sourire avenant et une modestie militante qui tranche avec celui qui fait l’objet d’un culte démesuré et que ses pairs vont jusqu’à suspecter de « charlatanisme ». Stéphane Bancel, qui est allé jusqu’à la Maison blanche pour quérir les millions de dollars nécessaires à ses recherches, a le triomphe modeste et il sera sans doute avec quelques-uns des compétiteurs qui se sont lancés dans la chasse au vaccin, un des hommes de l’année.
Nous voilà donc revenu à la raison et avant de se jeter à nouveau dans l’hystérie collective, il faudra réfléchir à la propension qu’a parfois cette ville de vouloir se hausser du col, quand elle a du mal à se tenir sur la pointe des pieds. Introspection d’autant plus nécessaire qu’il y a, ici et maintenant, des dizaines de chercheurs qui cherchent et qui trouvent dans l’anonymat de leurs laboratoires et loin des projecteurs mortels de l’actualité au galop. « L’estime vaut mieux que la célébrité, la considération vaut mieux que la renommée » disait avec sagesse le journaliste et moraliste Chamfort. Cette vérité mériterait d’être affichée dans tous les amphithéâtres. Y compris en médecine.