La nouvelle est tombée, brutale et sans appel, sur France Info en ce vendredi pâle. La luxueuse station de Méribel dans la Tarentaise en Savoie, est à l’agonie. Plus précisément elle s’en approche puisque ses hôtels à 400 € la nuit vont rester désespérément vides, si le gouvernement ne permet pas aux stations de remettre en marche leurs télésièges et contraint les malheureux vacanciers de février à pratiquer le ski nordique, si austère, plutôt que l’alpin, si grisant.
On imagine la tête de l’auditeur marseillais retranché dans son quartier pauvre, attendant avec angoisse le petit boulot qui lui permettait de survivre, de payer son loyer, ses charges, et le petit plus qui faisait quelquefois le quatre-heure de sa progéniture. L’information balance ainsi quotidiennement entre indécence et désespérance. Entre ceux qui sont privés, pour cause de pandémie d’une partie de leur confort et des loisirs qui vont avec, et ceux qui n’ont rien et ont arrêté d’espérer les lendemains qui chantent que leur promettent depuis si longtemps des bonimenteurs professionnels. Bien évidemment, il n’est pas question ici de fermer les yeux sur les difficultés économiques et sociales qui touchent certains secteurs du tourisme. Il revient cependant à ceux qui ont mission d’informer, de hiérarchiser les conséquences de cette crise sans précédent, de relativiser certains chiffres, de mettre en perspective les infos qu’ils déversent en continue avec désormais une foule hétéroclite d’acteurs-commentateurs.
Certains sociologues parlent d’une “gilet-jaunisation” de la société.
Hervé Nedelec
A Marseille le premier de ces nouveaux informateurs, très informés, fut incontestablement l’éminent professeur Raoult qui affirmait sur sa chaîne YouTube, au mois d’avril dernier que « dans un mois on ne parlerait peut-être plus de ce virus », qu’il qualifiait au passage de « grippette ». Depuis il a fait école et ils sont rares les jours où l’on ne voit pas apparaitre sur les ondes ou nos étranges lucarnes, un nouveau sachant qui met en doute sans le commencement d’un début de raisonnement construit, les décisions des autorités, le travail des scientifiques, la politique sanitaire. Ils opposent à la manière d’un Donald Trump une « réalité alternative », nourrissent les thèses complotistes les plus farfelues, promettent à ceux qu’ils contestent l’enfer des urnes. Certains sociologues parlent d’une “gilet-jaunisation” de la société.
On peut évidemment regarder cette cacophonie haineuse avec hauteur. Ou prendre le parti d’en rire lorsqu’on entend celui-ci raconter qu’à La Ciotat on souffle sur son pastis pour faire croire qu’on est en train de déguster un café, lorsque la police municipale fait sa ronde. On réprime un sourire lorsqu’un restaurateur se plaint que les aides de l’Etat ne soient pas suffisantes, d’autant plus que son chiffre d’affaires ne reflète pas la réalité de sa comptabilité autrefois nourrie de bénéfices non déclarés. On se pince lorsqu’on entend un patron de boîte de nuit expliquer que son établissement offre toutes les garanties pour respecter la distanciation, réclamée sur tous les tons par ceux qui sont en première ligne dans les cabinets ou les hôpitaux.
Cette période inédite de notre histoire collective aura vu s’agiter sans complexe les démagogues les plus éhontés, les impérieux donneurs de leçon, les faiseurs de miracle.
Hervé Nedelec
Cette période inédite de notre histoire collective aura vu s’agiter sans complexe les démagogues les plus éhontés, les impérieux donneurs de leçon, les faiseurs de miracle. Sur cette vague d’irresponsables, les politiques n’hésitent pas à se laisser porter. Se gaussant d’avoir mis en difficulté le Préfet chargé d’expliciter la mauvaise nouvelle d’un couvre-feu renforcé ou s’emportant violemment comme Michèle Rubirola soudain ressuscitée. Etrillant une administration engoncée dans ses principes et sa propension à complexifier les problèmes, soupçonnant les chercheurs, les laboratoires, les entreprises pharmaceutiques d’avoir minimisé ou masqué la puissance de l’épidémie qui ébranle aujourd’hui nos fondations. Pour en tirer profit ajoutent sans plus d’arguments ceux qui ont définitivement divisé le monde dans un schéma manichéen. Comme le disait Chirac, « c’est à la fin de la foire qu’il faudra compter les bouses ! »
L’effet boomerang se mesurera par contre dans les échéances électorales à venir. Il n’est pas improbable que les extrêmes tirent les marrons de ce feu polémique, entretenu semaine après semaine par ceux qui pourtant les combattent. Pourquoi croire encore ceux qui se ressemblent tant, pour avoir partagé le pouvoir par alternance ? N’est-il pas grand temps d’installer un ordre nouveau ? Ne faut-il pas en finir avec un système qui a tant de mal à faire face aux faits ?
La surenchère médiatico-politique, où ne s’expriment désormais que ceux qui dénoncent, désignent et condamnent, est désormais incessante et les réseaux sociaux sont là pour l’amplifier. Où aboutira ce voyage au bout de la nuit ?