Après sa transformation en bioraffinerie, l’usine de Total à La Mède poursuit sa mue et se lance dans la production d’hydrogène. Le groupe pétrolier français a annoncé mercredi 13 janvier la signature d’un partenariat avec Engie pour la construction du « plus grand site de production d’hydrogène renouvelable de France » sur son site de Châteauneuf-les-Martigues. Baptisé Masshylia, ce méga-projet doit voir le jour à l’horizon 2024 s’il parvient à décrocher les financements nécessaires et pourrait faire décoller la filière hydrogène tant attendue dans la région.
Plus de 100 MW de fermes solaires à construire
Pour produire de l’hydrogène « vert », Engie et Total misent sur l’énergie solaire. Masshylia prévoit l’installation d’un électrolyseur d’une puissance de 40 MW à côté de la raffinerie qui sera alimenté par des centrales photovoltaïques d’une puissance de 100 MW. La Mède dispose déjà d’une ferme solaire de 8 MW mais celle-ci ne sera pas utilisée pour le projet. Interrogé par Gomet’, le chef du projet chez Engie Olivier Machet explique : « Nous ne voulons pas prendre de l’énergie déjà utilisée. Masshylia va s’appuyer sur un tout nouveau parc à réaliser ». Ainsi, une partie se situera sur les terrains de la raffinerie mais la plupart de ces fermes photovoltaïques verront le jour sur d’autres sites. Les deux filiales des partenaires, Total Quadran et Engie Green, recherchent actuellement du foncier disponible pour installer leurs centrales. « On s’est donné la région Sud comme limite », confie à Gomet’, Jean-Michel Diaz, le délégué régional Méditerranée de Total.
Ces 100 MW de puissance renouvelable doivent permettre à Masshylia d’atteindre un premier pallier de production de cinq tonnes d’hydrogène par jour. Actuellement, la raffinerie consomme de l’hydrogène dont une partie d’hydrogène fatal produit sur placeest produit sur place, que l’on nomme « hydrogène gris », mais elle se fournit également à l’extérieur avec de l’hydrogène qui n’est pas un coproduit. « Les cinq tonnes par jour de Masshylia permettront de remplacer ces apports externes, précise Jean-Michel Diaz, et d”améliorer sensiblement notre impact environnemental en évitant 15 000 tonnes d’émissions de CO2 par an ». Mais le projet ne compte pas s’arrêter là et vise à plus long terme d’atteindre une capacité de 15 tonnes d’hydrogène par jour. Pour y parvenir, des fermes solaires supplémentaires devront être réalisées. « On souhaiterait même avoir de l’éolien et de l’hydraulique », avance Olivier Machet. Mais avant de passer cette étape, Total et Engie vont devoir relever plusieurs défis technologiques.
Les défis technologiques du stockage et de la gestion automatisée
Le problème de l’énergie renouvelable, c’est son intermittence. Pour assurer une fourniture en continue d’hydrogène à l’usine, Masshylia va devoir développer une solution de stockage innovante de cette énergie. Plusieurs options sont envisagées comme le stockage de surface dans des bonbonnes ou encore dans un grand réseau de canalisation. Concernant cette possibilité, Olivier Machet prévient que « cela n’a jamais été fait ». Engie et Total vont également devoir développer un logiciel de pilotage pour adapter en temps réel la production d’hydrogène en fonction de la production des fermes photovoltaïques et de la capacité de stockage pour alimenter l’usine de manière constante.
Qui dit nouvelles technologies, dit nouvelles compétences. « Masshylia va créer plusieurs centaines d’emplois », estime Olivier Machet. Un beau potentiel pour l’économie régionale mais l’hydrogène étant un domaine nouveau, « on travaille sur la création de nouvelles formations avec les établissements d’enseignement supérieur de la région », explique le chef de projet. Engie et Total s’appuient également beaucoup sur l’Ecole nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp) basée à Aix-en-Provence. « L’Ensosp est reconnue au niveau international pour ses compétences en matière de sécurité. Sa présence près de La Mède a joué dans notre choix », avoue Ludovic Parisot, le directeur régional d’Engie.
La Mède choisit pour son potentiel solaire et industriel
Cela fait près de deux ans que Total et Engie font plancher une cinquantaine d’ingénieurs sur le projet Masshylia. « On a regardé plusieurs sites avant de choisir La Mède », raconte Olivier Machet. La raffinerie de Total s’est imposée au regard de nombreux atouts. En premier lieu, l’ensoleillement : « La Région Sud a l’un des plus gros potentiels du pays pour le développement du photovoltaïque », justifie Olivier Machet. Ensuite, la présence de gros consommateurs d’hydrogène. Sur le bassin industriel de Fos, plusieurs usines pourraient à terme profiter de la production de Masshylia comme Arcelor, Kem One ou encore Esso. Enfin, l’écosystème innovant : « Il y a beaucoup de petites start-up très à la pointe sur les questions d’hydrogène », relève Olivier Machet qui cite notamment Hynova.
Engie est également confiant dans le développement de la mobilité à l’hydrogène dans la région. « On espère pouvoir à terme fournir de l’hydrogène pour les nouveaux moyens de transport propres comme les camions, les trains et demain les avions à l’hydrogène », s’enthousiasme le chef de projet. La région est plutôt bien placée sur le sujet avec notamment Air liquide qui a installé cet été la première station hydrogène haute-pression d’Europe à Fos-sur-Mer. Engie porte lui-même un autre projet Hygreen à Manosque qui prévoit la production de 900 MW d’électricité solaire pour alimenter la production d’hydrogène. Un autre argument a également lourdement pesé sur cette implantation : le soutien des élus locaux. « Nous sommes notamment très soutenus par la Région et la Métropole », explique Olivier Machet.
Renaud Muselier en super commercial à Paris et Bruxelles
Dans la foulée de l’officialisation de l’accord entre Total et Engie, le président de la Région Sud Renaud Muselier s’est empressé de se féliciter de cette annonce. « Je suis intervenu personnellement auprès de Jean Castex et de Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne, pour que ce projet aboutisse », affirme-t-il. La Région Sud mise beaucoup sur le développement d’une filière hydrogène au niveau local. Au mois de décembre dernier, elle a adopté son plan régional hydrogène dans lequel le projet Masshylia était déjà évoqué. Sur la période 2021-2027, la Région souhaite consacrer environ 50 millions d’euros aux projets hydrogène. « Il y a une véritable volonté du président de décarboner l’industrie et la mobilité, souligne Philippe Maurizot, vice-président de la commission « économie, industrie, innovation, nouvelles technologies et numérique » à la Région, interrogé par Gomet’. Le fait qu’il soit président des Régions de France a dû peser un peu aussi. Enfin, avec la crise sanitaire et le plan de relance du gouvernement qui fait la part belle à la transition écologique, il y a eu un alignement des planètes qui a permis d’accélérer fortement ce projet », ajoute-t-il. Tous les acteurs d’accord, le projet semble donc bien parti mais reste le plus dur : trouver l’argent pour financer.
Un investissement entre 200 et 250 millions d’euros
Le montant total de l’investissement pour Masshylia reste un peu confidentiel pour le moment. « Cela va dépendre de beaucoup de choses, notamment les choix technologiques », explique Jean-Michel Diaz pour Total. Selon une fiche du pôle de compétitivité de Capénergies, il avoisinerait les 160 millions d’euros mais pour Philippe Maurizot, l’addition se situerait davantage entre 200 et 250 millions d’euros. Engie et Total ont d’ores et déjà déposé plusieurs dossiers de subventions auprès de l’Europe, notamment au fonds IPCEI (importants projets d’intérêt communs européens) et au fonds de l’innovation. « Le plan de relance devrait également apporter son soutien », pense savoir Philippe Maurizot. Enfin, la Région Sud, elle-même, pourrait participer au financement des études. Le chemin est encore long avant de boucler le plan de financement : « Les réponses vont s’étaler jusqu’en 2022 », estime Jean-Michel Diaz. Une fois les fonds débloqués, les travaux pourront commencer dans les deux ans qui suivent.
La Mède : histoire d’une reconversion tourmentée
La raffinerie de Total à La Mède fait partie du patrimoine industriel de la région mais au début des années 2010, l’usine a montré de sérieux signes de fatigue avec des pertes se chiffrant à plus de 100 millions d’euros. La direction du groupe annonce une reconversion du site avec l’intention de produire des biocarburants. La production démarrera finalement en juillet 2019 après de nombreuses critiques émanant d’associations qui dénoncent l’usage d’huile de palme. Le projet doit permettre de sauver la raffinerie mais ne sera pas sans conséquences pour l’emploi local. Sur 430 postes au total, l’usine va perdre 180 salariés. Pour compenser cette baisse, Total a participé au développement économique de la région au travers d’une convention volontaire de développement économique et social pour la Mède. Officiellement signé le 5 décembre 2016, le document (voir ci-dessous) prévoit une participation du groupe à hauteur de 5 millions d’euros pour différentes initiatives en faveur de l’emploi local. « Quatre ans plus tard, on a réussi la reconversion du site », assure Jean-Michel Diaz. Et d’avancer des chiffres : « Sur les neuf engagements de la convention, on a contribué à la création ou au maintien de 2 000 emplois programmés », affirme-t-il. Une petite moitié de ces emplois sont encore au stade de projet, portés par des PME et des start-up dans leur business plan à trois ans. La convention arrive à son terme et le comité de clôture se tiendra le 12 février prochain en préfecture. Le véritable bilan sera alors dévoilé.
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