Nous publions le 2e volet de notre entretien avec le sous-préfet d’Istres Régis Passerieux (lire la première partie). Celui qui coordonne la politique de l’Etat dans la transformation de la zone industrielle de Fos – Etang de Berre évoque l’organisation actuelle et les prochaines étapes. Accélération annoncée dans les prochaines semaines…
Concernant le pilotage de toute cette transformation, l’Etat est donc bien à la manœuvre ?
Régis Passerieux : Non, ce n’est pas l’Etat qui est à la manœuvre. L’État est l’un des acteurs et donne le cadre légal et réglementaire dont je vous ai parlé. Mais ensuite la politique d’aménagement dépend de la Métropole. Le Grand port maritime de Marseille (GPMM) est un acteur majeur, les communes aussi. Donc l’État intervient pour accompagner les procédures administratives de dérogation d’espaces protégés, pour guider et conseiller les entreprises, pour les compensations environnementales. L’État est à la manœuvre pour les dessertes électriques, forcément avec RTE. Le besoin en électricité est considérable à cinq gigawatts pour la zone d’ici 2035, ce qui est la consommation à peu près de toute la région Provence Alpes Côte d’Azur aujourd’hui. L’Etat est aussi compétent, avec d’autres collectivités au niveau des routes, les routes nationales puis dans le contrat de plan Etat Région, dans son volet routier, avec la Métropole, le Département avec le GPMM qui a ses propres dessertes. Une myriade d’acteurs qui doivent travailler ensemble Ensuite, la Région a des compétences d’accompagnement de politique économique. La Région a des compétences formation, l’Etat aussi. Il y a un grand plan de formation qui se met en place pour pouvoir répondre à la prévision de 10 000 emplois industriels sur les dix prochaines années. Cela veut dire former beaucoup de monde car à cela s’ajoute aussi à tous ceux qui seront remplacés. L’Etat dispose d’opérateurs comme Pôle Emploi ou l’AFPA. Il y a les professionnels comme les OBCO, l’UIMM… et encore la Région. Bref une myriade d’acteurs qui doivent travailler ensemble.
Sous quelle conduite ou quelle animation ? Qui est le garant de l’avancement de tout cela ?
R.P : il y a des lois de décentralisation, donc je pense que chaque acteur doit prendre sa part. Mais je pense qu’il faut apprendre à nous coordonner ensemble, collectivement. Et le préfet de région et du département des Bouches-du-Rhône prendra bientôt une initiative pour aider à cette concertation. Nous travaillons beaucoup ensemble. Il y a déjà le Laboratoire territorial, qui est un lieu non seulement de partage avec tous les publics, mais aussi entre les parties prenantes, en quelque sorte, devant le public. Nous avons déjà lancé plusieurs ateliers de travail sur des compensations environnementales, sur le suivi de projets. Nous sommes très souvent en réunion avec les différents partenaires et je pense qu’il va nous falloir absolument en effet passer une nouvelle étape de coordination pour faire un pack encore plus soudé entre le GPMM, les collectivités territoriales, l’État et les différents acteurs. Cette synergie est en train de s’organiser et va se structurer.
Chaque territoire a son histoire
La loi ne prévoit pas de dispositions sur l’organisation. Chaque territoire a son histoire en la matière. A Dunkerque par exemple, les initiatives ont été reprises par la communauté urbaine parce que c’était la première communauté urbaine volontaire de France. Parce que Dunkerque a été dévastée, que son poumon était le port et donc que toute la politique s’est faite autour du port. Successivement Claude Prouvoyeur, Michel Delebarre puis aujourd’hui, le ministre du Logement, Patrice Vergriete, présidents successifs de la communauté urbaine, ont fait du complexe industrialo-portuaire le coeur du développement de leur projet. Donc forcément, ils sont un peu leaders. Ici, c’est plutôt l’Etat qui a créé le complexe industrialo-portuaire dans le cadre de la politique nationale d’aménagement du territoire. Donc, il y a une autre histoire. La Métropole est récente, contrairement à Dunkerque où la communauté urbaine a été créée en 1968. Au Havre, c’est davantage le port qui est du support. Chaque territoire a une histoire. Il faut le prendre en compte. Ici, l’histoire est plutôt celle de l’Etat. Mais l’Etat aujourd’hui a moins de compétences. Et donc ici, c’est probablement un travail plus collectif, qui est appelé à être réalisé.
Le président de la République, Emmanuel Macron, avait lors de sa dernière visite en juin dernier, appelé à un rendez vous de fin d’année pour créer cette organisation localement. Est ce que c’est toujours le calendrier ?
R. P. : Je le pense. Mais pour l’instant, nous, on prépare, je dirais très modestement, « les cartouches dans l’armurerie » si je puis dire (rire). C’est notre travail. Et après, le président de la République, conserve la prérogative des initiatives qu’il annoncera le moment venu.
Et sur les projets, est-ce que vous voyez toujours un flux de dossiers importants arriver ?
R.P. : Non, il n’y a pas de nouveaux dossiers qui soient arrivés depuis un mois ou deux. Mais avec ce que nous avons déjà sur l’établi, nous avons pas mal de travail. Ce que je remarque, c’est pour l’instant qu’aucun industriel n’a jeté l’éponge. Au contraire, les comités de pilotage se succèdent, les questions techniques se multiplient, les besoins de partenariat, d’information se confirment et donc on a le sentiment que les projets continuent à bien se développer. Il ne faudrait pas que nous en recevions un nouveau par semaine car je ne sais pas comment nous ferions pour les accueillir.
Où en est le projet de GF BioChemicals porté par Mathieu Flamini ?
R.P. : Il avance et je pense qu’il est en train de se préciser. C’est principalement à ce stade avec le GPMM qu’il échange. Mais nous nous voyons régulièrement pour préparer son enracinement.
Et concernant Eranova ?
R.P. : Le projet avance. Nous sommes encore en train d’essayer de « cristalliser » un lieu d’implantation. Je ne peux pas encore vous le citer mais nous nous voyons quasiment tous les dix jours. Ce sera probablement pour une exploitation hors du GPMM vu le le besoin en hectares (100, ndlr), et la physionomie du projet qui est plutôt sur la partie de culture marine du produits des algues, ce qui n’est pas adapté au schéma portuaire.
Comment est organisée la sous-préfecture d’Istres, qui a un rôle très important, dans tous ces dossiers ?
R.P : Oui nous sommes en première ligne, c’est bien normal. Nous animons les comités de pilotage, nous suivons les consultations de la CNDP, nous sommes en contact avec les porteurs de projet, pas quotidiennement mais au moins hebdomadairement. Je pense qu’il n’y a pas une semaine dans laquelle, avec beaucoup de grands projets, on est en échange. Ce sont en parallèle des comités de pilotage pour développer et préparer les procédures administratives, techniques, juridiques avec les différents services de l’État, les collectivités, RTE, le port. Nous sommes un petit peu le plateau technique sur lequel ces opérations se préparent. Nous avons en charge la coordination.
Et est ce qu’on peut en savoir un peu plus sur ce plateau technique ? Combien de personnes, est-ce qu’il y a des chefs de projet par filière ?
R.P. : C’est assez simple. Il y a des tableaux de bord. Nous avons le planning souhaité par les industriels qui travaillent. Et puis, autour de la table, il y a tous les interlocuteurs à la Dreal, la DDTM, RTE, le GPMM, la Métropole, tous les services de l’État et les différentes collectivités locales. Je pourrais vous en citer beaucoup d’autres. Nous traitons l’ensemble des questions qui sont posées avec des comptes-rendus et des schémas de suivis de projets.
Cela représente une équipe de combien de personnes ?
R.P : Cela dépend de la taille du projet mais aussi du caractère plénier du sujet. Une réunion d’urgence ou régulière rassemble mois de monde qu’une plénière qui peut réunir de 20 personnes.
Vous avez des chefs de projets ?
R.P : Chacun est chef de projet sur sa compétence. Ensuite, les articulations principales, c’est surtout la Dreal et la DDTM qui sont en première ligne.
Est ce qu’il n’y a pas nécessité en terme de portage de l’Etat de renforcer le dispositif ?
R. P. : Oui, bien sûr. Toutes les administrations d’abord sont en train de se renforcer, de se consolider et de se spécialiser. La Dreal a par exemple recruté un chargé de mission politique industrielle, de décarbonation. Le préfet, le GPMM le font. Une task force régionale a été mise en place avec la Dreets, la Dreal, le Sgar, copilotée par la Dreal et le Sgar. Donc tout ça est en ligne. Mais c’est vrai que nous attendions beaucoup la promulgation de loi industrie verte pour accélérer et c’est l’objectif de nos prochaines semaines. Dans l’industrialisation des procédures, on va encore pouvoir accélérer maintenant qu’on a cette loi qui est sur la table. Nous allons encore avancer d’une étape supplémentaire dans l’industrialisation des procédures, dans la formalisation des process pour tous les optimiser et tirer tout le bénéfice de la loi. Le grand chantier que j’ouvre avec les autres avec les autres administrations, sous l’autorité du préfet qui va s’affirmer dans les trois ou quatre semaines qui viennent.
Comment s’imbrique le projet Syrius dans le dispositif ?
R. P. : On le suit de très très près. Oui, il produit vraiment beaucoup de travail positif sur toute une série d’études. Syrius, c’est une batterie coordonnée d’études que l’État cofinance avec les industriels intéressés par l’avancée de nouveaux process industriels qu’il faut définir sur le territoire. Souvent d’ailleurs à plusieurs industriels, donc à travers France 2030, l’État apporte son soutien et les industriels co-participent. La plateforme Piicto porte aussi sur ce champ de travail. avec des études qui sont déjà déjà en cours.
Elles ne sont pas forcément liées aux grands projets industriels évoqués précédemment ?
R. P. : Non, là on est vraiment sur des nouveaux process. Cela va sans doute générer des projets de structures, de soutien en terme énergétique en terme de process industriels. Parce que les industriels auront besoin d’échanger entre eux des produits, des sous-produits et de nouvelles technologies. Donc les résultats des études qui arrivent vont permettre à la fois aux industriels de faire muter leur propre process industriel, de travailler entre eux en économie circulaire, en ayant des idées et des outils communs, parfois même des infrastructures partagées, qu’il faut définir. Et ensuite qu’il faudra bâtir. Et puis de pouvoir aussi imaginer recevoir de nouveaux prestataires de services industriels qui pourront rendre des services en terme de transformation industrielle et énergétique. Parce qu’il y aura besoin de nouveaux process. Ce sont des études, mais des études très opérationnelles parce qu’elles peuvent déboucher directement ensuite sur des investissements, soit nouveaux soit dirigés vers la transformation des projets et sites industriels actuels.
Et les résultats de ces premières études, pour quand les attend-t-on ?
R.P : On commence à en avoir déjà. Les premiers livrables, pas encore les études complètes, viennent d’être transmis. Je ne veux pas déflorer le travail qui s’est fait à Piicto. Ce serait injuste de ma part d’en faire le compte-rendu.
Lire le 1er volet de notre entretien avec Régis Passerieux :
[Verbatim] Loi industrie verte : « un impact majeur » sur la zone Fos – Berre (Régis Passerieux)
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