Jeudi 11 mai dernier, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) organisait au Palais du Pharo ses « J’IRD », un événement interne qui conviait l’ensemble de ses représentants et des scientifiques de l’IRD du monde entier. Présent dans une cinquantaine de pays et placé sous la double tutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’IRD a délocalisé depuis 2008 son siège de Paris à Marseille. Mal connu du grand public, il est pourtant le seul centre de recherche national avec le Cereq, à avoir son siège dans la cité phocéenne. Une situation exceptionnelle que Valérie Verdier, présidente-directrice générale de l’IRD, entend mieux faire connaître. Entretien.
Pouvez-vous rappeler le rôle de l’IRD ?
Valérie Verdier : L’IRD est présent dans une cinquantaine de pays dans le monde. Il concentre ses recherches sur les pays dits du « Sud », ou plutôt les pays en développement, ainsi que les territoires ultra-marins. Nous disposons de 35 représentations avec des directeurs dans le monde. Nous n’avons pas forcément de directeur dans tous les pays où nous sommes présents, il peut n’y avoir que des chercheurs. A ce jour, l’IRD regroupe 2200 agents dans le monde (dont 850 chercheurs, ndlr).
Notre champ de recherche est interdisciplinaire et transdisciplinaire. Il repose sur la base de partenariats coconstruits et équitables avec les gouvernements des pays où nous sommes présents.
Pourquoi le siège de l’IRD a-t-il été délocalisé en 2008 à Marseille ?
V.V. : Cela entrait dans un projet plus vaste de déconcentration des instituts de recherches. A l’IRD, le choix de Marseille tombait sous le sens, dans l’objectif de nous rapprocher de la Méditerranée, de l’autre rive, et donc des pays avec lesquels nous travaillons.
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Pouvez-vous détailler le mécanisme de partenariat avec les gouvernements ?
« L’IRD est un outil de la diplomatie française »
Valérie Verdier
V. V. : Très concrètement, nos représentants organisent des réunions avec nos partenaires et des chercheurs sur place pour fixer les priorités dans ces pays. C’est beaucoup de réunion, d’échange, de concertation … Les thématiques sont variées : les recherches peuvent porter aussi bien sur de l’urbanisme, que sur l’organisation des ressources halieutiques, ou encore l’observation de la sécheresse. Nous venons en appui des politiques publiques au travers de nos travaux. Nous avons donc une mission de conseil, même si les gouvernements ne sont pas contraints de suivre.
A l’inverse, la France a aussi beaucoup à apprendre des recherches faites dans les autres pays. C’est donc une relation gagnant-gagnant. Prenons l’exemple du réchauffement climatique : au travers nos recherches au Sénégal sur une plante appelée le sorgho qui est très résistante à la sécheresse, nous avons pu travailler sur l’adaptation de nos cultures à la sécheresse en France. Ce mode de fonctionnement fait de l’IRD, et plus globalement de la recherche, un outil important de la diplomatie française.
Comment l’IRD se distingue-t-il des autres organismes qui pratiquent la recherche, comme le CNRS, l’Inserm, l’Inrae, ou encore Aix-Marseille Université ?
« Nous revendiquons la place de chef de file pour les projets de développement au Sud. »
Valérie Verdier
V.V. : Nous travaillons tous de façon collaborative au sein d’unités mixtes de recherche (UMR). L’IRD dispose des directeurs au sein de 80 UMR. Actuellement, nous revendiquons auprès du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche le rôle de chef de file pour l’IRD sur les projets de développement au sud. Mais pour l’heure, la position du gouvernement à ce sujet est floue. Pourtant, l’IRD est unique au monde : il n’y a pas d’autre institut qui comporte une dimension aussi interdisciplinaire et pour lequel 30% des effectifs sont situés à l’étranger.
Une des thématiques évoquée pendant vos « J’IRD » était le financement de la recherche. Rencontrez- vous, au niveau de l’IRD, des problématiques de financement ?
V.V. Nous travaillons avec des institutions comme l’Agence française de développement (AFD) qui est une banque, diverses fondations ou encore l’Europe mais aujourd’hui nous peinons encore à attirer les financement du secteur privé.
Ce qui bloque, c’est la temporalité : les financeurs privés, comme les politiques, veulent des réponses rapides. Or, la recherche peut prendre des fois deux, trois voire quatre ans. Il y a un problème de compréhension entre ce qu’ils veulent et ce que nous pouvons faire. S’ils mettent le triple de ce qu’ils peuvent mettre, là, nous pourrons embaucher davantage de personnes pour aller plus vite.
Trouvez-vous qu’il y a un manque de mobilisation et d’intérêt pour la recherche ?
« Malgré notre présence à Marseille depuis 2008 […], personne n’est venu toquer à ma porte pour solliciter l’IRD sur la question de la pollution plastique en Méditerranée, alors que nous avons beaucoup à offrir. »
Valérie Verdier
V.V. : Je vais prendre un exemple concret : notre présence à Marseille date de 2008. Mais force est de constater que nous sommes pas encore assez connus et reconnus comme le seul organisme français ayant son siège à Marseille. Ce n’est quand même pas rien ! Je n’ai personne qui vient toquer à ma porte, dans le secteur privé, pour solliciter l’IRD sur la pollution plastique en Méditerranée par exemple, alors que nous avons plein de choses à offrir. Pour les politiques, nous travaillons à des prises de contact. La mairie nous soutient et souhaite voir comment nous pouvons travailler avec les villes jumelées avec Marseille au Sud, comme Dakar ou Abidjan. Nous avons également lancé un observatoire du climat à Djibouti avec le soutien de la Région Sud.
Nous menons des actions pour être mieux connus. L’IRD dispose d’un service communication et médias qui vise dans un premier temps à améliorer les ponts entre chercheurs et journalistes, mais aussi à toucher les publics plus jeunes. Nous avons par exemple un partenariat avec RFI pour publier des vidéos ludiques sur des thèmes comme la pollution plastique ou l’érosion des sols.
L’IRD a lancé début mai la toute première édition des « Trophées de l’innovation » pour récompenser les doctorants et jeunes chercheurs qui ont des projets innovants. Pourquoi organiser un tel événement ?
Les Trophées de l’innovation
Les Trophées de l’innovation ont pour but de récompenser les projets innovants à fort impact dans les pays du Sud et répondant aux Objectifs de développement durable (ODD). Deux jeunes scientifiques seront récompensés et recevront un prix de 10 000 euros pour permettre le développement de leur projet.
Le calendrier :
– Jusqu’au 18 juin : dépôts des candidatures sur la plateforme dédiée
– 26 juillet : sélection des projets nominés
– Fin septembre : phase de coaching avec des spécialistes de l’innovation et de la valorisation de la recherche de l’IRD
– Du 24 au 27 novembre : coaching au pitch et audition des nominés devant le jury final
– 28 novembre : Annonce des lauréats dans le cadre de l’événement Emerging Valley
V.V. : Nous avons beaucoup de jeunes chercheurs à l’IRD. Leurs recherches peuvent mener à des innovations. C’est pourquoi nous avons décidé de leur donner un coup de pouce avec ces trophées : l’idée est d’aider les jeunes chercheurs, de l’IRD ou d’ailleurs, afin de leur permettre de se projeter dans l’avenir. Cela peut aussi inciter les jeunes à aller vers la recherche. Les lauréats seront annoncés lors du prochain sommet Emerging Valley, les 27 et 28 novembre prochains.
Liens utiles :
> Le site de l’IRD
> [Santé] L’Etat dote Marseille d’un biocluster dédié à l’immunologie – Gomet’
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