Ancien directeur général du groupe Ares (Association pour la réinsertion économique et sociale), ex-président de French Impact et actuel président du Conseil de l’inclusion dans l’emploi, Thibaut Guilluy est haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises auprès de la ministre du Travail depuis octobre 2020. Il était à Marseille mardi 14 septembre. Il sera de retour lundi 27.
Pourquoi être venu à Marseille ?
Thibaut Guilluy : Comme vous le savez, le président de la République vient de présenter « Marseille en grand » (voir nos articles précédents) et dans ce plan il y a tout un volet pour la jeunesse qui s’inscrit un peu dans la continuité du dispositif « 1 jeune, 1 solution » qui a eu déjà de l’impact sur les jeunes marseillais. Le « Capital jeune créateur » et « Marseille en grand» s’inscrivent en effet dans une politique plus large : ce qui nous intéresse c’est que chaque jeune trouve sa voie et trouve un emploi, pas forcément en créant sa propre entreprise. Cela peut aussi passer par la formation, l’apprentissage ou l’accès direct à l’emploi. C’est l’esprit « 1 jeune 1 solution. » Je suis à Marseille pour rencontrer les acteurs locaux et préparer la mise en place expérimentale de « Capital jeune créateur » qui pourra ensuite se généraliser en France.
D’où vient donc cette idée du « Capital jeune créateur » qu’Emmanuel Macron veut expérimenter à Marseille ?
T. G. : Ce que l’on constate c’est qu’un jeune sur deux aspire ou réfléchit à créer sa propre entreprise. Quand je dis « entreprise» cela peut aussi concerner une entreprise de l’économie sociale et solidaire ou une association. Comment aller au bout de cette aspiration qui souvent ne se transforme pas ? Comment passer de l’intention au passage à l’acte ? Ce qui manque souvent aux jeunes, c’est du réseau, de la préparation, de l’accompagnement. Il lui manque aussi souvent des moyens financiers. Il y a donc à la fois une vraie dynamique de création et d’envie de créer sauf que le manque d’accompagnement et le manque de moyens renforcent les risques d’abandon du projet ou d’échec. Le capital jeune créateur va permettre d’apporter, grâce à l’intervention de professionnels, l’accompagnement et le réseau. Le deuxième volet concerne l’apport d’une dotation personnelle de plusieurs milliers d’euros. Enfin, troisième élément, pour un certain nombre de jeunes, il y a la nécessité de passer par une phase d’incubation plus approfondie. C’est le troisième étage de la fusée. En analysant les retombées de « 1 jeune 1 solution » (lancé à l’été 2020 dans le cadre du plan de relance du gouvernement, NDLR), on s’est aperçu que la création d’entreprise était le parent pauvre du dispositif. Ce n’était en tous les cas pas à la hauteur des attentes des jeunes. On va donc s’y mettre à fond, comme pour l’apprentissage ou les aides à l’emploi.
« En analysant les retombées de « 1 jeune 1 solution » on s’est aperçu que la création d’entreprise était le parent pauvre du dis dispositif »
Thibaut Guilluy
Pourquoi lancer l’expérimentation d’abord à Marseille ?
T. G. : A chaque fois, il faut un point de départ. Dans le cadre de « Marseille en grand » le « Capital jeune créateur» a résonné comme une évidence. Il y a ici une super dynamique avec des acteurs anciens et des nouveaux comme Le Carburateur, L’Epopée. L’ampleur de la ville et de ses défis font que c’est un terrain idéal pour lancer cette belle idée que le Président imagine pour la jeunesse française. Il a envie de la mettre dans les mains des jeunes marseillais et de tout l’écosystème pour le tester.
On a justement l’impression que les dispositifs existent déjà comme ce que fait l’Adie par exemple ?
T. G. : Je connais très bien l’Adie. Cela fait vingt ans que je suis dans l’entrepreneuriat social. C’est un formidable réseau.
d’accompagnement mais il accompagne les jeunes quasiment quand l’idée s’est transformée en business plan. Et l’Adie va plutôt s’intéresser au montage financier, au dépôt du Siret et puis au lancement de l’entreprise. Mais de nombreux jeunes ont besoin d’abord de tout construire autour de leur idée pour passer au projet. Et là il peut faire appel à Boutique de gestion (BGE) ou aux Déterminés. Ces acteurs déjà présents veulent créer plus de passerelles entre eux. Comment faire équipe pour que chaque jeune ce soit simple de trouver le bon interlocuteur. Le Carburateur fait une peu ça et c’est très bien. Mais seulement dans une partie des quartiers nord. Comment faire pour passer de 300 jeunes à 1000, comment partager une ambition ? Combien de jeunes ? Quelle cible? Quel impact ? Notre méthode est d’abord d’échanger avec les acteurs de terrain puis de fixer des objectifs et de mettre en place les ingrédients pour que cela réussisse.
Quels sont les outils envisagés ?
T. G. : Il nous faut travailler sur des outils qui vont permettre d’accélérer et de passer à une autre échelle. Pourquoi pas une plateforme numérique pour que ce soit simple pour les jeunes. Le président de la République a parlé de carrefours de l’entrepreneuriat. Il en a évoqué trois. Les acteurs locaux sont assez d’accord pour se retrouver dans des lieux physiques. Le Carburateur est une sorte de préfiguration de cette idée de carrefour de l’entrepreneuriat. Mais il y aussi les quartiers les quartiers sud et le centre. Les trois grands pôles pourraient s’appuyer sur les multiples structures de proximité afin d’innerver la ville.
Quel est le calendrier des opérations ?
T. G. : Il va dépendre de la mobilisation des acteurs. Mon ressenti est qu’il y a ici de très nombreux intervenants très motivés et qui globalement ont développé des réflexes de travail commun. Nous sommes donc sur un terreau collectif très favorable. L’objectif est d’avoir bâti tout le projet pour la mi-octobre. Durant ma visite, j’ai été à la rencontre d’une bonne vingtaine d’acteurs marseillais de l’entrepreneuriat comme Le Carburateur, Le Cloître, l’Epopée, l’Adie, Pôle Emploi, le BGE, la CCIMP, Bpifrance, les services de l’Etat… J’ai eu des échanges avec les jeunes aux Flamants (cité située dans le 14e arrondissement, NDLR). C’était aussi très nourrissant. J’ai vu ensuite les élus de la ville, les adjoints à l’emploi, à la jeunesse et à l’innovation sociale (respectivement Laurent Lhardit, Hedir Ramdane et Eric Semerdjian, NDLR). Je verrai Renaud Muselier, le président de la Région, (indisponible depuis plusieurs jours car cas Covid, NDLR) quand je reviendrai. On est bien en co-construction entre nous et Marseille. Nous voulons concrétiser rapidement. Avec un plan partagé et accepté par tout le monde. Et j’espère qu’en février, lorsqu’Emmanuel Macron reviendra une nouvelle fois à Marseille, nous serons en capacité de montrer au Président les premières centaines, voire milliers de jeunes, touchés par les mesures.
Vous ne parlez pas du Département ou de la Métropole ?
T. G. : Je ne suis fermé de principe à personne à partir du moment où il y a une contribution utile. Sur les questions d’entrepreneuriat, de création d’entreprises,… la Région dispose de la compétence. C’est un partenaire clés et évident. La Ville de Marseille aussi : naturellement puisque « Marseille en grand » est pensé pour la ville. On va mobiliser également les entreprises, pour être par exemple des mentors. Et on ne restera pas limité à Marseille intra muros. Nous avons un réseau de 15000 entreprises engagées dont beaucoup sontsur le territoire. Nous ne sommes donc fermés à rien. Si demain dans le cadre du « allez vers » (formule utilisée par Emmanuel Macron pour encourager à entrer en contact directement avec les jeunes NDLR) il faut toucher les jeunes par exemple dans le cadre de l’action sociale et à l’enfance du Département, il y aura peut-être une utilité à aller voir le Département. Je n’ai pas de problèmes avec ça. Mais pour le moment on est sur le noyau dur de l’entrepreneuriat.
Quels moyens l’État peut-il mobiliser ?
T. G. : Il faudra en effet des moyens pour financer les réseaux d’accompagnement, des moyens pour financer l’aide en capital, des moyens pour financer les lieux et les programmes d’incubation. Notre préoccupation aujourd’hui est de fixer l’ambition collective : combien on va toucher de jeunes – il faut faire connaître donc il faudra aussi un peu d’argent – L’objectif est bien de faire plus et mieux qu’aujourd’hui, donc toucher plusieurs milliers de jeunes. C’est l’ambition qui va fixer les moyens. La plateforme, est-ce qu’on l’adosse à « 1 jeune 1 solution», ou on la développe « from scratch». Ce n’est pas décidé. On soumet l’ensemble des questions à la discussion des acteurs marseillais. Nous voulons prendre le temps d’échanger, mais pas trop longtemps. On va se reparler, formaliser le projet pour définir qui fait quoi puis foncer ! Aujourd’hui il y a 10 000 créations d’entreprises par an à Marseille dont 2000 par des jeunes. Notre ambition est de multiplier au moins par deux donc d’atteindre les 4 à 5000 créations d’entreprise par des jeunes.
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