Par Hervé Nedelec (*).
Qui n’a pas éprouvé un jour la sensation d’avoir déjà vécu un moment, une scène, un événement. Pour l’auteur de ces lignes c’est plus qu’une impression cette semaine, c’est une certitude. Rappelons quelques faits qui dupliquent avec une singulière similitude des choses vues et rapportées il y a plus de trente ans déjà.
Ainsi lorsque le professeur Didier Raoult qui se dit calomnié, traite devant la justice, nos confrères de Médiapart de « charognards », il nous rappelle furieusement un Bernard Tapie ou un Jean-Marie Le Pen usant de la même élégante image, il y a trois décennies. L’un parce qu’il était embarqué dans une salle affaire (OM-Valenciennes) qui entraînera sa chute. L’autre parce qu’il était rattrapé par ses propos antisémites (« Le point de détail ») que ses héritiers s’attèlent aujourd’hui à faire oublier.
Bégaiement de l’Histoire encore cette semaine, lorsqu’une consœur de La Provence se voit bousculée et menacée par quelques gros bras de la CGT du port venus molester un ancien élu et un élu – MM. Jibrayel père et fils – qui protestent avec des riverains contre les nuisances d’un chantier naval de l’Estaque. Au début des années 90 deux autres confrères – du Méridional et du Marin – étaient sauvagement frappés par la même CGT pour avoir essayé simplement de faire eux-aussi leur devoir d’informer.
L’affaiblissement de la démocratie
Aujourd’hui ces faits, copies conformes de ceux que l’on croyait réservés à une époque réputée plus rude, sont amplifiés par le phénomène des réseaux sociaux. Les images et les commentaires unilatéralement sourcés sont diffusés à une vitesse vertigineuse qui empêche la prise de distance, interdit la réflexion, aggrave les fractures, affaiblit la démocratie.
Mais il serait pour autant naïf de croire que le crime ne profite pas. Lorsqu’un député de la France Insoumise marseillais filme puis met en ligne sur le marché de Marignane son pied écrasant un tract de son adversaire communiste aux européennes (Liste conduite par Léon Deffontaines) il est parfaitement conscient des conséquences de son geste.
Sébastien Delogu, qui fut un temps le garde du corps de Jean-Luc Mélenchon selon son CV Wikipedia, applique à la lettre la théorie de son maître trotskyste-lambertiste : « il faut tout conflictualiser ». Ajoutons quelles que soient les conséquences. Le PC marignanais groggy après cette agression a tenté de protester, assimilant cette violence à celle de l’extrême-droite. Peine perdue puisque l’autodéfense alimentait le buzz recherché par M. Delogu. Les anciens camarades de la Nupes devront repasser pour un improbable débat de fond.
Le député de la 7ème circonscription largement élu en 2022 avec plus de 60% n’ignore pas que son collègue, le sénateur zémmouriste Stéphane Ravier, élu lui aussi dans les quartiers Nord n’a jamais eu à souffrir de ses fréquentes sorties de route qui malgré quelques passages devant les tribunaux n’ont pas nui outre mesure à sa carrière.
Cette gauche décomplexée et addicte aux réseaux
Cette gauche décomplexée et addicte aux réseaux serait pourtant bien avisée de lire l’essai de Nathalie Schuck, grand reporter au Point (Les Naufrageurs : Comment ils ont tué la politique, éditions Robert Laffont). Au-delà de la grave crise démocratique qu’elle dissèque au scalpel, notre consœur s’inquiète de cette majorité de citoyens qui se détourne des urnes. Le 9 juin infirmera ou confirmera son analyse. La participation dira si la France, et Marseille notamment, se sont un peu plus rapprochées de l’abime qui les menace. En 2019 la participation était de 43% dans la cité phocéenne. Nathalie Schuck révèle aussi à propos de son ouvrage une réalité. Des cadres du Rassemblement national lui ont confié tout l’intérêt pour eux de rester en retrait de cette violence ambiante. Chaque fait divers, chaque épisode des conflits internationaux en cours, chaque passe d’armes de la gauche plus que jamais atomisée ou de la droite dite républicaine, apporte disent-ils de l’eau à leur moulin et des voix à leur fringant candidat, Jordan Bardella.
Pour paraphraser André Gide qui se moquait en son temps de Roger Martin du Gard : « à force de se taire il finit par être entendu ! ». Le 23 mai à Marseille M. Mélenchon devra sans doute expliquer à ses militants comment faire plus mal encore.
(*) Journaliste honoraire, ancien grand reporter, Hervé Nedelec fut notamment chef de service, directeur départemental au Provençal puis à La Provence et enseignant en journalisme (directeur de la filière journalisme de l’EJCAM). Il a également été directeur de l’information et de la communication de Sciences Po Aix.