Comparaison ne vaut pas raison. L’avertissement du proverbe ne vaut pas toujours loi et on parlera donc plutôt de correspondances. Certes des montagnes et le Rhône au moins séparent Michel Barnier, Premier ministre démissionné, de Benoît Payan, premier magistrat de Marseille toujours en mission. Mais bien des choses dans leurs récents parcours les rassemblent. Au moins dans la difficulté d’exister politiquement.
Barnier avant d’être appelé, dans un moment d’une instabilité chronique, à l’hôtel Matignon, par un Emmanuel Macron apprenti sorcier qui s’était brûlé les doigts dans le potage parlementaire qu’il avait cru bon de concocter avec la dissolution, était un membre éminemment discret d’un parti républicain en voie de fossilisation.
Payan au sortir d’une crise sanitaire, le Covid, qui avait tétanisé le pays, s’imposait dans des élections municipales bâclées dans la précipitation, après un tour de passe-passe dont on n’a pas pénétré à ce jour tout le mystère. Membre d’un Parti socialiste dévalué par les scandales et particulièrement l’affaire Guérini, il crée la surprise en s’invitant à la table phocéenne après avoir bénéficié d’un passage de relais a priori inattendu. La verte Michèle Rubirola offrait au rose Benoît Payan, le fauteuil au pourpre pontifical, longtemps occupé par Jean-Claude Gaudin.
Barnier habitué aux rudes pentes savoyardes s’embarquait donc avec un certain panache sur le chemin étroit que lui désignait le Président de la République. Deux dangers le guettaient d’emblée. Les précipices vers lesquels le poussaient du coude les deux extrêmes de l’échiquier politique français. Et ce qui devait arriver advint : il allait chuter alors qu’il commençait à peine l’ascension budgétaire qu’une France endettée réclamait dans l’urgence. Encordé mollement avec une majorité relative peu encline à l’entraîner plus loin, il posait sac à terre en méditant sans doute l’antienne de toute gouvernance : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge ». L’association baroque de tous les contraires l’aura achevé.
Payan a dû lui aussi batailler ferme pour relever le défi qui s’offrait à lui. Une ville endettée et donc un budget contraint. Une ville fragmentée avec des records en matière de pauvreté, d’habitat indigne, d’insécurité, de pollution. Un Parti socialiste tout juste convalescent et des alliés communistes et écologistes embryonnaires et insuffisamment musclés pour résister au gros temps. Des adversaires républicains revanchards au sein desquels quelques strabismes convergeaient vers le Rassemblement National. Et enfin, des Insoumis promettant avec leur guide, un court temps marseillais, « le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas ». Heureusement pour notre jeune maire pas de dissolution en vue et point de censure possible donc.
Mais ce qui vient de se passer au palais Bourbon peut pour des observateurs avisés survenir autour du Vieux-Port dans la perspective des municipales prévues en principe pour 2026.
Certes M. Payan peut se féliciter, alors que l’orage gronde si fort à Paris, d’avoir vu quelques nuages se dissiper au-dessus de la Métropole. Il a même entamé un pas de deux inattendu avec son adversaire Martine Vassal, avec à la clé quelques 45 millions d’euros attribués à sa bonne ville.
Des noces de raison éphémères sans doute qui agacent Renaud Muselier président de Région et font ricaner le RN. Le souci reste grand il est vrai de voir la situation nationale venir embrumer l’horizon local. Manuel Bompard, le clone de Mélenchon, s’est empressé de dire tout le mal qu’il pensait de la tentation socialiste d’entamer un dialogue avec Macron dans l’intérêt supérieur du pays.
Il a de fait réactualisé une boutade du regretté Pierre Dac qui fut à Londres la voix de la France résistante : « Géométrie politique : le carré de l’hypoténuse parlementaire est égal à la somme de l’imbécilité construite sur ses deux côtés extrêmes ! ».
Personne n’est aujourd’hui naïf, les Insoumis comme le Rassemblement National vont user de tous les leviers pour précipiter les événements. Marine Le Pen parce qu’un calendrier politique accéléré lui permettrait d’échapper au filet judiciaire qui se refermera avec une inéligibilité possible le 31 mars prochain. Jean-Luc Mélenchon parce qu’il veut une dernière chance alors que ses alliés – socialistes et écologistes – sont encore dispersés en différentes chapelles.
Dans ce tumulte on ne peut qu’approuver un Laurent Lhardit, député PS, qui affirme que si on se dresse sur « une barricade fusil à la main » la nécessité d’un compromis, fusse-t-il temporaire, est voué aux abimes. Michel Barnier dont l’amertume était visible au soir du vote le censurant, a payé cher pour avoir tenté l’impossible. Benoît Payan devra s’employer, au moins autant que la droite républicaine, pour échapper au long fleuve intranquille qui traverse nos jours et se jette dans un océan d’incertitudes.
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