La multiplication des épisodes de sécheresse, notamment dans les Bouches-du-Rhône, prouve à quel point la ressource en eau est précieuse. Sandrine Motte est la directrice générale du groupe des Eaux de Marseille. La structure traque notamment les fuites grâce à des technologies toujours plus performantes. Sur la question de la consommation, Sandrine Motte veut éviter les divisions et les faux débats. Elle préfère mettre en lumière les bonnes pratiques, et féliciter les actes de sobriété. Entretien.
Sur quelles technologies et méthodes s’appuie la Société Eau de Marseille Métropole (Semm) pour optimiser la préservation de la ressource en eau potable ?
Sandrine Motte : Les technologies ont évidemment évolué dans le temps. Depuis près de dix ans, on a mis en place et fait progresser la technologie autour du prélèvement de la ressource en eau dans la Durance et dans le Canal de Marseille. Aujourd’hui les automates, les algorithmes, nous permettent d’avoir une prédiction de la consommation en eau la veille pour le lendemain. Et de ne prélever en Durance que les volumes d’eau nécessaires pour la consommation d’eau, au plus juste.
En faisant évoluer ces systèmes et ces modèles, en investissant, aujourd’hui on a beaucoup progressé. On a économisé en quelques années l’équivalent de la consommation annuelle d’une ville de 300 000 habitants.
La Semm gère 5400 kilomètres de réseaux.
Sandrine Motte
Et puis il y a aussi la question de la bonne gestion des réseaux d’eau. Aujourd’hui, la Semm gère 5400 kilomètres de réseaux. Les réseaux sont partout, enterrés, et donc il y a toute une démarche de recherche de fuites. Avec des équipes constituées qui interviennent au plus vite. Mais il y a aussi des systèmes, des capteurs qu’on va poser au niveau du réseau. Ils vont nous permettre de signaler ou de déceler des fuites dans le réseau.
La Métropole a toujours eu une gestion patrimoniale très responsable sur la préservation de la ressource. Chaque année, nous renouvelons en tant que délégataire 1% du réseau linéaire. C’est une moyenne très haute. Et donc on va renouveler des tronçons de réseau, mais pas au hasard. Là aussi, on a des modèles, des systèmes, et les ingénieurs travaillent. Ils agrègent beaucoup de données, ce qui va nous permettre de cibler les tronçons fragiles à renouveler selon un plan annuel.
Quels sont les enseignements de l’année 2022 ?
S.M : On peut considérer que l’année 2022, et particulièrement l’été 2022, a permis de remettre l’eau à sa bonne place. Et de rappeler à tout le monde que derrière une eau qui coule au robinet, c’est tout un process. Cette eau est fragile. Notre slogan, c’est : « l’eau, la plus précieuse des ressources ». En tant que professionnels, c’est toujours comme cela que nous l’avons gérée.
« On se prépare pour cet été (…) on sait que ça va être tendu. »
Sandrine Motte
En termes d’enseignements, c’est une exploitation qui va être un peu modifiée. Mais nous, on veut surtout pousser sur le sujet de la relation de l’usager à son eau. Aujourd’hui, si on prend par exemple Marseille, tous les compteurs d’eau du service public de la ville sont équipés de télérelève. Nous avons à peu près 250 000 compteurs équipés en IOT (internet of things), en télérelève. Cela nous permet de repérer les phénomènes anormaux.
Donc on est en capacité, et c’est ce qu’on fait, d’envoyer des alertes de consommation anormale aux consommateurs. Cela peut être une famille ou un syndic, puisque nos compteurs arrivent en pied d’immeuble. L’abonné du service peut également avoir accès à sa consommation d’eau quotidienne, c’est disponible gratuitement. On pousse aussi ce message envers nos abonnés pour leur dire : « installez cette application ».
« Il va falloir qu’on pousse le consommateur à rentrer dans une démarche anti-gaspillage de l’eau. »
Sandrine Motte
L’été dernier, on a volontairement poussé fortement par mails et par appels téléphoniques là où on observait des consommations anormales. On a été encore plus proactifs que les étés précédents. Là on se prépare pour être encore plus proactifs cet été, parce qu’on sait que ça va être tendu. Et c’est un sujet dans le temps. De toute façon, il va falloir qu’on pousse le consommateur à rentrer dans une démarche anti-gaspillage de l’eau. C’est la suite de notre histoire.
Quels sont les gestes simples qui peuvent permettre aux usagers d’améliorer leur consommation d’eau ?
S.M : Chez les industriels par exemple, notre rôle c’est aussi de les pousser à réfléchir, à réutiliser au maximum leurs eaux de process, à les accompagner. C’est un travail qu’on est capables de faire avec eux. Il y en a qui font des choses, on voit des initiatives. Cela progresse, on voit que ça bouge, mais il va falloir poursuivre fortement. Par l’action, on va y arriver. C’est possible.
« Si on a moins d’eau à rendre potable, ce sont des investissements moins coûteux aussi ! »
Sandrine Motte
On va tous dans une démarche de sobriété, sans dire qu’on dégrade la qualité de vie, mais on gère autrement. Derrière, à un moment, il va falloir peut-être réadapter les ouvrages, parce que les températures de l’eau à traiter par exemple vont être plus élevées. Donc les process d’aujourd’hui vont devoir être adaptés. Si finalement on a moins d’eau à rendre potable sur un territoire, ce sont des investissements moins coûteux aussi ! C’est une boucle hyper vertueuse.
On voit bien que le monde des entreprises est en train de bouger, et va s’engager là dedans. Après il y a le sujet des agriculteurs, et des consommateurs, des citoyens. C’est aller vers des comportements plus sobres et anti-gaspillage, en gardant un certain niveau de qualité de vie. On entend parfois des choses incroyables… Non, on ne va pas demander aux gens de ne pas se doucher quand il fait chaud.
« On voit bien que le monde des entreprises est en train de bouger. »
Sandrine Motte
Par contre, demain, peut-être que chacun peut mettre aux robinets des mitigeurs pour moins consommer. Les grosses chasses d’eau, on met des briques à l’intérieur pour limiter la contenance. Voilà, ce sont des petites gestes, tout cela va converger. Et sur les infrastructures publiques, il y a vraiment un sujet de bonne gestion. Les collectivités doivent aussi s’engager et faire les investissements nécessaires.
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