« C’est catastrophique. » Philippe Vincensini, le directeur des chantiers navals de La Ciotat, La Ciotat Shipyards en bon français, n’y va pas par quatre chemins quand on l’interroge sur les conséquences de la guerre en Ukraine sur son activité.
C’est d’abord une mauvaise publicité pour le site de La Ciotat Shipyards. La saisie dans la nuit du 2 au 3 mars, par la douane française du yacht Amore Vero (88 mètres) à La Ciotat, dans le cadre de la mise en œuvre des sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Russie, est un signal qui pourrait annoncer d’autres déconvenues. « Détenu par une société dont Igor Setchine, dirigeant de la société Rosneft (groupe pétrolier russe, ndlr), a été identifié comme le principal actionnaire, ce yacht entrait dans le champ des mesures de gel décidées à l’encontre de son propriétaire par le règlement d’exécution (UE) 2022/336 du conseil du 28 février dernier » explique le ministère de l’Economie et des Finances dans un communiqué qui précise sèchement : « D’application immédiate, ces mesures exigent l’immobilisation du navire. » Une tuile pour le chantier de La Ciotat qui voit un espace occupé sur sa plateforme sans ressources en face.
Arrivé à La Ciotat le 3 janvier 2022, le yacht devait y demeurer jusqu’au 1er avril pour y effectuer des réparations. Trois mois de travaux pour La Ciotat Shipyards, et un gros contrat gelé… « Au moment du contrôle, le navire prenait des dispositions pour appareiller dans l’urgence, sans avoir achevé les travaux prévus. A l’issue du contrôle douanier, il a été constaté que cette tentative de départ des eaux territoriales françaises constituait une infraction ».
La Ciotat Shipyards : des années de travail remises en cause
Si l’Amore Vero est le seul navire russe actuellement positionné à La Ciotat, le chantier naval avec ses dimensions XXL a pour cible privilégiée les yachts de plus de 50 mètres, soit un marché estimé à 700 unités dans le monde. Les Russes représenteraient une dizaine de pourcentage de ce marché, mais « plus la longueur du bateau est grande, plus la proportion de Russes est importante », nous explique Philipe Vincensini. Elle atteint même les 30% sur les yachts de plus de 80 mètres.
Un outil industriel remarquable
1 600 mètres de quais à usage industriel, le site offre une capacité de mise à sec simultanée d’une cinquantaine de navires de toutes tailles grâce à un
ascenseur de 2 000 tonnes (17 emplacements), une grande forme de 200 mètres (deux à quatre emplacements), un grand portique de 600 tonnes (six emplacements) et un élévateur à sangles de 300 tonnes (24 emplacements). Ces infrastructures sont complétées en 2022 par un nouvel ascenseur à bateaux de 4 300 tonnes (voir ci-dessous). Une activité connexe de production et d’intégration dans des navires d’équipements de détection et de positionnement hi-tech est aussi réalisée par le groupe iXblue. Le site compte désormais une cinquantaine d’entreprises résidentes, parmi lesquelles trois emploient une centaine de personnes, ou plus, chacune. Au total à fin 2021, le site employait 1169 personnes en CDI (contre 621 en 2018) avec 45 entreprises
Il suffit de jeter un oeil sur la liste des 150 plus grands yachts au monde, disponible sur Wikipedia pour repérer parmi les propriétaires une série d’oligarques russes. Un récent article du journal Le Marin témoigne également de la traque aux yachts russes engagée par les autorités gouvernementales des pays de l’Otan. Nombre de« gros poissons» blancs se trouvent dans les ports ou chantiers de Méditerranée… L’embargo sur les avoirs russes va donc toucher durement La Ciotat Shipyards. Pour l’instant, il n’y a pas d’autres bateaux russes à La Ciotat, selon la direction du chantier, mais les grandes entreprises de refit du site (MB92, Monaco Marine, Nautech) en attendaient d’autres dans l’année. « Difficile de savoir combien exactement », répond évasifPhilippe Vincensini.
Seule bonne nouvelle en cette fin d’hiver 2022 : l’arrimage de l’ascenseur Atlas (porteur en grec ancien) pour très gros yachts (4 300 tonnes de capacité) a été opéré le 7 mars dernier. C’est une nouvelle étape importante pour compléter les infrastructures du site sur le segment des yachts de plus de 80 mètres avec sept emplacements à sec autour de la plateforme.« Les premiers essais opérationnels de l’ascenseur sont prévus courant de l’été 2022» nous confirme Philippe Vincensini. Le calendrier du projet, lancé en 2019, qui totalise plus de 70 millions d’investissements, est tenu.
Les 148 bateaux accueillis en refit en 2021 selon leur taille
10% font 80 mètres ou plus
20% de 60 à 80 mètres
41% de 40 à 60 mètres
25% de 20 à 40 mètres
Source : La Ciotat Shipyards
Il reste désormais à confirmer le carnet de commandes. Une centaine de yachts de grande taille (plus de 50 mètres) est accueillie chaque année à La Ciotat pour de l’entretien ou de la maintenance (refit) et la part des navires russes est estimée entre 15% et 40% selon les années. Après une année Covid en recul de 11% en 2020, les chantiers de La Ciotat avaient bien redressé la barre l’an dernier avec un chiffre d’affaires de 180 millions d’euros en progression de 20%. Pour l’exercice en cours, Philippe Vincensini espère limiter la casse : « On attend beaucoup de l’ascenseur Atlas qui arrivera en septembre avec peut-être quatre à cinq gros bateaux en fin d’année. Comme pour le Covid, on sait qu’il y aura un impact, mais on ne veut pas tomber en dessous des 150 millions d’euros », projette-t-il.
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