L’Algérie est aujourd’hui la quatrième puissance économique d’Afrique. Ce pays francophone de 44 millions d’habitants, quatre fois plus vaste que la France, fut longtemps présenté aux groupes européens comme une terre à fort potentiel pour le développement international, mais au climat économique et au contexte politique instables. Tout récemment, l’État algérien a balayé certaines contraintes réglementaires qui refroidissaient jusqu’alors les investisseurs étrangers – notamment la loi 51/49, qui faisait figure d’épouvantail législatif. En 2023, de l’autre côté de la Méditerranée, une fenêtre s’ouvre pour les entrepreneurs marseillais.
Le couple franco-algérien devrait être une locomotive méditerranéenne.
Nazim Sini
La chambre de commerce et d’industrie d’Aix-Marseille (CCIAMP) a organisé le 9 février dernier, en partenariat avec la communauté internationale d’entrepreneurs Africalink et le cluster Medinsoft, une conférence dédiée au « renouveau économique » de l’Algérie (2,9% de croissance en 2022). « Je vais vous dire les choses droit dans les yeux, et sans langue de bois », engage Nazim Sini, professeur agrégé en économie, et chargé des relations internationales pour le Groupement algérien des acteurs du numérique (GAAN). Malgré les récentes tensions diplomatiques, le couple franco-algérien doit selon lui devenir « une locomotive méditerranéenne ».
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Le consultant franco-algérien détaille la conjoncture 2023, et les principales évolutions du cadre réglementaire sur l’autre rive. Aujourd’hui, la Chine est le premier partenaire économique de l’Algérie – devant la France. Mais selon l’expert, les entrepreneurs tricolores ont une carte à jouer. « Les Algériens ont envie de retrouver les entreprises françaises », sourit-il. Le pays maghrébin est en phase de réindustrialisation.
Nazim Sini ne comprend d’ailleurs pas les « réticences françaises », et veut « démystifier » l’Algérie. Une terre qu’il juge fertile. Côté transport de marchandises, le chef d’entreprise reconnaît tout de même l’actuel leadership portuaire de Tanger (Maroc). « Il faut que l’Algérie, qui est mieux placée, et qui dispose de meilleures infrastructures, corrige cela ». Le pays dispose de 114 ports de commerce, et de 28 aéroports.
Les principaux secteurs porteurs en Algérie
• Agro-alimentaire
• Pétrochimie
• Mécanique
• Numérique
• Agriculture
• Formation et conseils
• Energies renouvelables
« L’Algérie, une alternative aux fournisseurs classiques »
Ce pays francophone présenterait de nombreux atouts. Notamment pour les grands projets d’implantation industrielle. Parmi les arguments mobilisés par le professeur en économie : le coût de la main d’oeuvre locale (smic : 170 euros, contre 515 euros en Roumanie), et celui de l’énergie. En Algérie, le salaire mensuel d’un ingénieur oscillerait entre 500 et 700 euros. Des standards bien différents de ceux affichés en Europe, même à l’Est.
« Il faut voir l’Algérie comme une alternative aux fournisseurs classiques comme la Roumanie ou la Hongrie », soutient Nazim Sini. Par ailleurs, vu sa situation géographique, le pays peut faire office de plateforme de ré-export vers le marché subsaharien, ou même vers l’Europe. Une plateforme dynamique, puisque l’exécutif local a récemment mis en place une législation favorisant l’entrepreneuriat. Nazim Sini voit en l’Algérie la prochaine « start-up nation ».
En août 2022, le gouvernement algérien a injecté 411 millions de dollars dans son fonds d’investissement ASF, dédié à l’accompagnement des start-up. Cette société publique de capital risque vise à dynamiser l’écosystème technologique local. L’État vient également de créer pour les résidents un statut d’auto-entrepreneur calqué sur le modèle français.
L’abrogation de la loi 51/49 change tout
Pour convaincre les plus sceptiques, Nazim Sini présente son argument choc : l’abrogation effective depuis 2022 de la loi 51/49. Cet épouvantail législatif obligeait jusqu’alors les investisseurs étrangers à disposer d’un partenaire algérien majoritaire. Attention cependant ; le plafond à 49% est maintenu dans plusieurs secteurs stratégiques – transports, oil and gas, défense, énergie, telecom.
Ce texte était devenu l’un des principaux freins à l’implantation de groupes européens en terre algérienne. « Son abrogation a permis le retour des investisseurs français, explique Nazim Sini, c’est un soulagement et un signal fort ». Aujourd’hui, une entreprise tricolore peut créer et être détentrice à 100% d’une filiale algérienne, avec un rapatriement des bénéfices en France garantie.
Entre Marseille et l’Algérie, « un business à tisser »
Denis Bergé, le délégué général d’Africalink, en est convaincu : « c’est l’heure de tisser le business entre notre territoire et l’Algérie ». Cette connexion entre les deux rives méditerranéennes sonne également comme une évidence pour Frédéric Ronal, membre élu à la CCIAMP en charge de l’international. « Nous entretenons une relation séculaire, quasi-organique avec ce pays ». Et pour cause, la diaspora algérienne est très importante dans la cité phocéenne : près de 300 000 Algériens (ou descendants) vivent à Marseille, et plus de trois millions en France.
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800 millions d’euros d’échanges commerciaux par an
À l’échelle internationale, Marseille et l’Algérie sont presque voisins – une heure et demi en avion. Cette proximité géographique est un « avantage concurrentiel », plaide Nazim Sini. Le consultant recommande aux Marseillais d’exploiter un marché en particulier, qu’il identifie comme une brèche stratégique : « c’est le moment de vendre du conseil et de l’accompagnement pour les projets industriels structurants ». D’après la Chambre algérienne de commerce et d’industrie (Caci), les échanges commerciaux annuels entre Marseille et l’Algérie s’élèvent à près de 800 millions d’euros – produits agricoles hydrocarbures, véhicules etc.
En Algérie, il faut voir grand, le petit ça ne marche pas.
Karim Driouche
L’expérimenté Karim Driouche, le patron de KD Com Dental (Marseille), est venu témoigner de son expérience en Algérie. Son entreprise y est implantée depuis 2017. « Je n’avais aucun réseau, je ne connaissais personne, raconte-t-il, aujourd’hui je considère que c’est une véritable opportunité pour les entrepreneurs du territoire d’aller en Afrique ».
D’après lui, l’Algérie dispose de moyens humains conséquents : « vous n’aurez aucune difficulté à recruter (…) d’ailleurs les collaborateurs sont plus motivés qu’ici ». Mais dans ce pays, « il faut voir grand, signale Karim Driouche, le petit ça ne marche pas ». En 2019, près de 450 entreprises françaises étaient implantées en Algérie, pour 40 000 emplois directs.
En Algérie, la classe moyenne gagne du terrain ; elle représente aujourd’hui 70% de la population. Le B to C se développe. Près de deux tiers des femmes travaillent, et le revenu médian mensuel est d’environ 1000 euros par foyer.
Quatre conseils d’experts pour faire du business en Algérie
Lorsqu’une entreprise française envisage d’investir ou de s’implanter en Algérie, quelques bonne pratiques sont à appliquer, et certains écueils, à éviter.
• Avoir beaucoup de fonds propres : « il faut être une entreprise solide avant de se lancer à l’international », alerte Karim Driouche
• Se faire accompagner par des structures compétentes (CCI, Caci, Africalink, ministères). « Elles connaissent les aides, et vous orienteront vers les bons partenaires ».
• S’appuyer sur des professionnels sérieux. Nazim Sini : « votre premier recrutement doit être un agent administratif qui maîtrise les rouages de la paperasse locale ». L’Algérie a ses procédures, incontournables, et assez lourdes.
• Facturer en dinars algériens plutôt qu’en euros, pour éviter les petits tracas administratifs, et « ne surtout pas faire confiances aux intermédiaires des intermédiaires (…) Je connais quelqu’un qui connaît quelqu’un, c’est non ».
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