Victime collatérale de la crise en Ukraine, le dernier rapport publié lundi 28 février par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) n’a pas suscité l’intérêt médiatique escompté. Et ce, au grand désarroi des scientifiques de notre région, loin d’être épargnée par le réchauffement de la planète. « Quand le premier volet du rapport est sorti au mois d’août, on s’est dit, en boutade, que ce qui a empêché d’en parler, c’est le transfert de Messi au PSG », ironise Joël Guiot à notre micro. Le co-président du Grec Sud, médiateur régional du Giec en Provence-Alpes-Côte d’Azur, déplore plus sérieusement le “bide” de l’étude scientifique : « cette fois-ci, tout était prévu pour qu’on en parle réellement, mais la guerre en Ukraine a occulté la sortie du deuxième volet ».
Par ailleurs, le chercheur juge que la question climatique est « quasiment inexistante » dans les campagnes politiques des différents candidats à la présidentielle, « alors que ça devrait être l’un des plus grands sujets du quinquennat à venir ». Joël Guiot reste optimiste malgré tout, et estime que « si nous prenons le problème à bras le corps, on peut encore s’adapter, à condition que le réchauffement global ne dépasse pas 1,5 degré ». Comme de nombreux scientifiques français, il a lu attentivement le deuxième volet du sixième rapport du Giec. Que nous apprend ce nouveau bilan ?
En 2021, le Giec a mené une étude concernant la couverture médiatique du premier volet de son sixième rapport sur la période août-septembre. Le groupe d’experts a constaté que, dans notre pays, l’expression “pass sanitaire” a été mentionnée presque sept fois plus que le mot “Giec” dans les titres de publication d’un échantillon de treize grands médias français. Une couverture insuffisante, mais toutefois supérieure à celle de l’étude publiée en 2018.
Concernant le volet de février 2022, « si 90 % des maires (de France) ont entendu parler du Giec, pas plus de 10 à 15 % d’entre eux ont lu le rapport » assure à 20 minutes Aurélien Sebton, co-fondateur de Koncilio, une entreprise spécialisée dans la communication et la formation sur les questions d’écologie locale. La société a synthétisé le rapport du Giec en une vingtaine de pages afin de le vulgariser, puis de le transmettre aux maires de France.
Le Giec annonce +2,7 degrés d’ici la fin du siècle si rien ne change
Pour le grand public, le Giec propose un atlas illustré de 74 pages (disponible à la fin de cet article), au lieu des 4000 pages du rapport brut. Le groupe d’experts a identifié pas moins de 127 risques-clés qui se produiront, parfois de manière irréversible, si les États ne tiennent pas les engagements promis lors des accords de Paris en 2015. Dans un tel scénario, d’ici la fin du siècle, les scientifiques prévoient un réchauffement de 2,7°C par rapport à l’ère préindustrielle, contre 1,09 degré à l’heure actuelle. Environ 29% des espèces terrestres seraient de facto menacés d’extinction.
Toujours d’après les experts intergouvernementaux du climat, les évènements météorologiques extrêmes (inondation, canicule, pollution de l’air…) vont se multiplier et s’intensifier, provoquant une hausse du taux de mortalité, notamment chez les populations précaires. En France, le Giec annonce 5000 morts/an liées à la sécheresse d’ici 2050 si les nations les plus polluantes ne changent pas de cap. Les pertes économiques annuelles liées au manque d’eau sont déjà estimées à 1,2 milliard d’euros dans notre pays. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est impératif de ne pas dépasser le seuil des 1,5 degré supplémentaire.
Le littoral méditerranéen, point de vigilance numéro un des scientifiques du Sud
Le Grec Sud joue les intermédiaires entre les experts internationaux du Giec et les habitants de Provence-Alpes-Côte d’Azur. La structure publie régulièrement sur son site web des cahiers thématiques à destination du grand public et des acteurs politiques du territoire. Elle y recense et détaille les caractéristiques de notre région, ses atouts et ses principaux points de vigilances. « La montée du niveau de la mer, les canicules, la sécheresse, la biodiversité et aussi l’agriculture sont des points importants, nous explique Joël Guiot, et d’insister : en région Paca, la montée du niveau de la mer est très préoccupante parce qu’il y a quand même pas mal de côtes, dont une bonne partie est à basse altitude ». Ce phénomène provoque notamment l’altération de la qualité des eaux douces par l’intrusion saline.
« On peut construire des digues effectivement, mais le rapport nous dit bien que ce sont des solutions à court terme ».
Joël Guiot
Des solutions temporaires existent. « On peut construire des digues effectivement, mais le rapport nous dit bien que ce sont des solutions à court terme ». Selon Joël Guiot, il faut « libérer les côtes et en profiter pour y installer des zones humides (ndlr : comme en Camargue), qui sont elles aptes à tamponner » les épisodes d’inondation. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, plusieurs zones humides sont identifiées, mais la plupart de ces hydrosystèmes sont largement dégradés et doivent aujourd’hui être restaurés. À l’échelle nationale, le Giec estime qu’environ 1,7 million de personnes habiteront dans des zones à menace inondation, contre 900 000 aujourd’hui.
Les forêts du Sud : atouts et faiblesses de la région à la fois
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, 75% des communes ont été touchées par des incendies ces dix dernières années. Avec le réchauffement climatique, « il faut apprendre à maîtriser ce risque », estime Joël Guiot. Le nombre de canicules s’intensifie dans le Sud, et cette fréquence ne devrait pas faiblir dans les prochaines années. Diminuer les sources de chaleur, et ne pas jeter les mégots par la fenêtre, permettent au moins de réduire le risque d’incendie. Car les forêts de notre région sont une richesse à préserver, un « poumon vert » dont la biodiversité est bien développée. « La forêt séquestre du carbone », rappelle le co-président du Grec Sud. Face aux terribles constat du Giec, Joël Guiot aimerait développer la sensibilisation auprès du jeune public. En créant notamment un comité de l’éducation à l’environnement et au développement durable dans chaque établissement d’enseignement de la région.
Document source : atlas illustré du sixième rapport du Giec
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