Le piéton de Marseille ignore certainement que le mécénat a installé nombre de décors urbains dans la Cité phocéenne. Rendez-vous au David : cette copie de Michel-Ange est une œuvre de mécénat de Jules Cantini, industriel philanthrope, qui offrait aussi à la ville les statues de la place Castellane et leurs 25 mètres de marbre de Carrare, malheureusement aujourd’hui recouvertes, noircies, gâchées par la pollution automobile. Généreux mécène, il finançait aussi les études d’étudiants des Beaux-Arts et a fait don à la ville de ce qui est devenu le musée Cantini.
Retrouvons-nous place Estrangin, la fontaine, elle aussi, est un don, elle représente les quatre continents et a été offerte par le négociant Jean Alexis Estrangin à la ville de Marseille. En tournant le dos à cette œuvre de 1890, vous découvrez la façade de la Caisse d’épargne, une œuvre sociale fruit du mécénat des grandes familles industrielles et commerçantes marseillaises. L’institution est créée pour apporter aux ouvriers de quoi acheter, d’abord leur caisse à outils, puis, leur logement.
Le mécénat religieux et médical nous a laissé deux grands établissements de soins. L’Hôpital européen est né de la fusion de l’hôpital Ambroise Paré et de la fondation Desbief. Au départ il existait simplement une infirmerie protestante pour les marins de passage. La mobilisation des grandes familles protestantes qui sont alors actives dans la savonnerie, la chimie, les brasseries, va permettre de faire grandir la Fondation Ambroise Paré pour en faire un grand établissement de soins.
L’hôpital Saint-Joseph est lui un enfant du mécénat des familles catholiques qui sous l’impulsion de l’abbé Fouque vont s’investir pour nourrir la fondation. Mieux même, l’abbé Fouque, béatifié en 2018, invente avant l‘heure le mécénat de compétences. Au-delà des dons en espèces qui permettent d’ouvrir des lits, l’abbé, demande aux patrons marseillais de prendre en main la gestion de l’établissement hospitalier, il en est ainsi depuis un siècle. « On rencontre à l’hôpital Saint Joseph toutes les religions, toutes les classes, toutes les races, car on y prend tous ceux qui souffrent, écrivait Henry Bordeaux en 1930. Tous, non, il n’y a pas assez de place et l’abbé Jean-Baptiste Fouque voulait construire pour soulager toujours plus de misères, pour rendre la mort plus douce à plus d’agonisants, pour leur faire connaître Dieu. » L’abbé s’occupait des corps et des âmes, il avait délégué la finance et la gestion à ceux qui en avaient la compétence.
D’autres se sont inscrits dans cette tradition de générosité et de philanthropie. Mentionnons Paul Ricard qui crée l’Institut océanographique et en confie les rênes au navigateur aventurier et médecin Alain Bombard. Et plus récemment, le musée Regards de Provence, fruit du mécénat de la famille Bellon, le fondateur de Sodexo. Pierre Dumon et son épouse Michèle, sœur de Pierre Bellon, ont créé ce lieu unique, face au port : les 2 300 mètres carrés de l’ancienne station sanitaire construite en 1948, accueillent 900 œuvres de la Fondation et des expositions temporaires d’exception.
Bien d’autres actions de mécénat vont marquer la cité phocéenne, comme l’investissement de la Comtesse Lily Pastré dans les arts et pour le festival d’Aix en Provence, mais ils se font toujours dans le cadre du mécénat « classique » : une personne fortunée décide d’allouer une part de sa fortune à des créations artistiques ou à des œuvres sociales et humanitaires.
Le XXIe siècle va changer la donne. Le mécénat devient une action collective. La création de l’association Mécènes du Sud, en 2003, en est le signe. Christian Carassou-Maillan y avait joué un rôle moteur. Passionné d’art, il avait fait du siège de Vacances bleues qu’il dirigeait et de ses centres de vacances des lieux d’exposition d’une collection choisie d’œuvres contemporaines. Il avait participé à la création de Mécènes du Sud, première association de développement du mécénat d’entreprise vers la jeune création culturelle marseillaise.
2013, Marseille et la Provence sont Capitale européenne de la culture, ce qui scelle une mutation du mécénat. Car si l’on repère bien les grands mécènes, comme les banques, qui ont signé des chèques conséquents et nécessaires, un mécénat plus discret s’est développé à travers des ateliers d’artistes, des partenariats novateurs entre des créateurs culturels et des entreprises. Les projets sont alors non seulement collectifs, en s’inscrivant dans une programmation riche, mais inclusifs car ils ont un impact dans l’entreprise, avec les salariés. « Le programme des Ateliers de l’Euroméditerranée (AEM), écrivait alors Guillaume Mansart, artiste et critique d’art, invitait des structures non dédiées à l’art, privées pour leur permettre de créer une nouvelle œuvre. Ces résidences soulevaient trois enjeux : soutenir la création contemporaine, concerner et mobiliser de nouveaux publics et initier de nouveaux modes de production artistique. »
Deux grandes transformations juridiques vont accélérer ses mutations.
- La nouvelle réglementation des fonds de dotation en 2008 ouvre les portes à la construction d’outils simples, agiles, ouverts qui permettent à la plus petite des entreprises de déployer une action cohérente et surtout de bénéficier d’une défiscalisation. Stéphane Couchoux avocat chez Fidal, expert national de la question en détaille les atouts ci-après.
- Deuxième réglementation, la « loi Pacte », votée le 22 mai 2019 permet aux sociétés de se doter d’une « raison d’être » dans leurs statuts et donc, de donner du sens avec un mécénat novateur et inclusif.
Les nouveaux mécènes sont aujourd’hui différents :
- Ce sont des gestionnaires, ils ont pleinement compris l’intérêt, bien au-delà de la défiscalisation, du fonds de dotation qui permet de structurer, de gérer, de contrôler, d’évaluer toutes les actions et de leur donner une visibilité que leur éparpillement oblitérait.
- Ce sont des entraîneurs, leur choix personnel influe bien sûr l’action de mécénat, mais ils ont compris qu’il fallait ouvrir les options aux collaborateurs, aux parties prenantes de l’entreprise, aux fournisseurs, aux clients, aux bénéficiaires.
- Ce sont des partenaires, il ne joue plus solo, ils font partie de réseaux, d’associations, de groupements qui permettent d’échanger sur les opportunités de financement, de fédérer des actions, de mutualiser les moyens.
- Ce sont des managers qui veulent fidéliser leurs équipes avec des valeurs, avec du bonheur, avec du beau et du bien (commun).
Le mécénat n’est plus, ou il est moins, une affaire individuelle, il est un levain pour la communauté qui se crée entre l’artiste, l’association de solidarité, de santé, ou humanitaire, les salariés et les clients.
Les nouveaux bénéficiaires du mécénat ont eux aussi fait évoluer leur posture. Si dans le passé la légitimité de leurs actions, culturelles, sociales, humanitaires, légitimait à leurs yeux un financement entrepreneurial (hasardeux et rare !), ils ont compris qu’il fallait s’inscrire dans un processus, construire une relation, adapter une offre qui permette à l’entreprise, non pas de faire un chèque, fut-il défiscalisé, mais d’impliquer des équipes et de partager des convictions. Des artistes, des acteurs associatifs, des militants de la solidarité, ont ainsi transformé leurs discours et leurs approches, pour devenir des vecteurs de mobilisation et des acteurs de la raison d’être nouvelle de l’entreprise.
Le supplément que nous présentons reflète les facettes multiples de ses mutations et présente des actions nouvelles en émergence sur le territoire de Marseille Provence.
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