Robot, sphère immersive, motion capture et casques de réalité virtuelle… Le Palais de l’Europe a, pendant deux jours, pris des allures de salon des nouvelles technologies. Et quand l’utilisation des casques de réalité virtuelle entrent au service de la science, ça donne des étudiants en médecine plongés, dans une salle d’hôpital face à un patient visiblement mal en point, à qui il faut donner des explications. L’objectif de ce programme est de simuler, dans le cadre de la formation des futurs médecins, l’annonce d’un moment grave, d’une erreur médicale ou d’une maladie. Cette application, développée en concertation avec plusieurs laboratoires de recherche, dont l’un situé sur le site universitaire Aix-Marseille, est en bonne phase de développement. Après un premier financement à hauteur de 400 000 euros de la part de l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR), pour la création de la maquette, la seconde phase devrait s’enclencher dans les mois à venir, afin de valoriser le projet et créer un prototype industriel. « La rentabilité n’est pas la vocation des chercheurs. Ils se contentent de diffuser l’invention. Mais un scénario possible à l’avenir serait de créer une start-up, pour qui la question économique est primordiale. Étant donné le public visé, la volumétrie de celui-ci, le modèle économique ne devrait pas trop poser de problème», selon Philippe Blach, le chercheur marseillais à l’initiative du projet.
Pour mener à bien la dernière phase, un budget d’environ 300 à 400 000 € doit être constitué. Afin de permettre à cet outil de rejoindre les salles de classe, et compléter la formation des étudiants en médecine «il est possible d’imaginer une déclinaison pour n’importe quelle situation impliquant une interaction.» Il est bien là le but du SHS : montrer aux industriels, aux entreprises mais aussi au grand public que le chercheur en sciences humaines et sociales, n’est pas un savant fou dans un laboratoire obscure, où des livres surannés tapissent chaque mur. Ce sont des personnes de leur temps, cherchant à répondre aux problématiques de la population.
Un autre stand un peu plus loin aborde le thème de l’exploitation des bases de données. Annona, pour aide à la décision pour le développement de schémas logistiques urbains durables vise à aider les collectivités quant à la prise de décision pour l’aménagement d’un territoire, tout cela partant de l’exploitation de bases de données, quelles soient en open source ou collectées par les chercheurs du CNRS. Après 15 ans de travail, le collectif a pu établir une cartographie précise de chaque quartier lyonnais selon différentes variables : la consommation d’eau, d’énergie, mais aussi les revenus, les prix de l’immobilier… Une fois collectée et analysée, les données sont ensuite converties sur une carte « ces outils vont permettre de répondre aux acteurs du territoire privés ou publics. Mais toujours dans le cadre de lourds investissements. Cela permet de comparer des scénarios les uns par rapport aux autres, ce n’est pas Madame Irma. Cette modélisation permet aux investisseurs de voir les influences sur le réseau d’eau ou immobilier de l’ajout d’un arrêt de métro, puisque cela va entraîner une densification de la population autour de ce point », s’enthousiasme Frédéric Derkx, en charge de la modélisation du projet pour la start-up Forcity. Un dispositif qui peut donc s’adapter au territoire notamment dans le cadre du programme de mobilité métropolitaine. Les chercheurs universitaires débroussaillent, les start-ups développent ou modélisent.
« Cela nous oblige à vulgariser nos recherches »
Autre exemple avec Immersive CoLab. Cette plateforme immersive en réalité virtuelle à destination des 1500 doctorants d’Aix-Marseille Université, a été développée par la start-up du même nom. La société de Pierre-Yves Perez permet « d’offrir une collaboration à distance. Nous sommes venus présenter la version destinée aux doctorants, mais nous le proposons déjà pour des entreprises. Il faut savoir que quoique vous fassiez à travers un avatar, cela accroît l’intelligence des participants. Ludivine Javourey utilise l’application depuis quelques mois : « Cette nouvelle méthode de travail est génial. Nos bureaux sont modélisés en 3D, chaque doctorant peut circuler de pièces en pièces. Des tableaux, comme dans une salle de cours, synthétisent nos recherches et chaque doctorant peut naviguer à travers ces bureaux virtuels. Cela nous oblige à vulgariser nos recherches, puis nous pouvons discuter entre nous ce qui n’est pas possible en réel, car AMU est terriblement vaste. » Et surtout cela permet de faire avancer la recherche. Dans le cas présent, Ludivine dont l’objet d’étude porte sur une pédagogie différenciée de la lecture, une de ses collaboratrices se situe en Allemagne, une autre en Australie. Faire tomber les frontières physiques, intellectuelles, mais aussi celles du langage « nous proposons la possibilité d’utiliser un traducteur instantané. » Imaginez une réunion au sommet, entre les Présidents Emmanuel Macron et Xi Jinping. Chacun étant dans son domicile respectif. Cette entrevue pourrait avoir lieu dans un bureau virtuel, chacun discutant dans sa propre langue, et l’autre entendant alors une traduction instantanée de l’autre. Et tout ça grâce à une technologie développée à Aix-Marseille Université…
Yvon Berland, Président d’AMU, « On peut regretter que la Métropole ne fasse pas appel à nous dans le cadre du programme d’investissement d’avenir. »
Comment se situe, par rapport à la France, le pôle recherche de Marseille ?
Y.B. : Dans le domaine des sciences humaines et sociales, nous sommes le deuxième site de France. Avec la Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme, et Maison de la recherche à Aix. Au total ce sont près de 23 ou 24 unités de recherche dans ce domaine, à cela, il faut ajouter des unités en l’économie, gestion, le droit… On est là sur des volumes considérables, plus de 1 000 chercheurs en SHS. Ils ont pour rôle d’expliquer comment on utilise certains outils pour régler certains problèmes sociaux, l’acceptabilité. On interroge, à travers ces unités de recherche, la société.
Que représente le nouvel accord signé, vendredi 18 mai, avec le CNRS ?
Y.B. : On va mettre l’exploitation d’outils en commun, notamment au niveau informatique. Avant cet accord, les universitaires et les chercheurs du CNRS marchaient dans un couloir, mais sans partager leurs matériels. Maintenant, on demande qui a le meilleur outil, si c’est le CNRS on va le prendre pour l’exploiter au mieux. De plus, on va mettre en place le Cercle (Club des ERC) pour stimuler, avec des aides financières et humaines, le dépôt de projets au niveau européen. Les différentes bourses représentent un financement conséquent pouvant atteindre sur cinq ans, jusqu’à 2,5 millions d’euros. On a actuellement 42 projets soutenus par l’Europe, mais ce n’est pas assez on doit faire bien plus, d’où l’intérêt du Cercle.
Quel est la nature du lien entre les différents organismes de recherches (INSERM, CNRS…) et AMU ?
Y. B. : Il y a des liens très forts entre les organismes de recherches et l’université, il y a une confiance réciproque et je pense qu’ils sentent le potentiel de recherche de Marseille. Notamment avec le CNRS, il y a sept ans, on était loin d’imaginer cela. La fusion des trois universités nous a permis de prendre cette considération et cette place. Mais j’aimerais que le territoire s’en aperçoive un peu plus. Je ne voulais pas le dire… il y a un appel un appel à projet, dans le cadre du programme d’investissement d’avenir, sur les territoires innovants. On peut regretter que la Métropole ne fasse pas appel à nous dans le cadre de ces dossiers. Il ne faut pas oublier que les innovations partent de la recherche, sans cette dernière il n’y a rien. On aurait imaginé que la Métropole fasse preuve d’initiative, mais c’est nous qui stimulons. On fait notre job, on est là pour développer le territoire, et quand certains ne s’en aperçoivent pas, on est là pour leur expliquer. L’innovation ce n’est pas simplement des mots, c’est une réalité.