La pépite aixoise SP3H a réalisé en 2022, auprès de constructeurs de camions, les premières ventes de son capteur optique miniature. Elle veut accompagner l’essor des “biocarburants”, et s’intéresse aujourd’hui à un marché colossal ; celui de la voiture thermique.
Après 18 années d’existence, dont 15 ans de R&D, la société SP3H, implantée au Technopôle de l’Arbois, à Aix-en-Provence, commence à récolter le fruit de son travail. Dans le secteur transport, la pépite locale se présente aujourd’hui comme « le premier fournisseur mondial de capteurs optiques intelligents ». Cette solution embarquée vise à accompagner la décarbonation des véhicules thermiques en identifiant avec précision la composition de leur carburant. Bien qu’elle tende vers le zéro émission carbone, la branche transport française est toujours responsable de près de 28% des émissions de gaz à effet de serre du pays.
Intégrée entre le réservoir et le moteur, la « FluidBox micro » développée par SP3H analyse en temps réel la structure moléculaire du carburant, peu importe son origine (fossile, bio, synthèse). Elle s’appuie sur la technologie proche infrarouge (NIR), et s’inspire fortement des analyseurs en ligne utilisés par l’industrie pétrolière depuis le début des années 90. Le boîtier scanner échange directement les données récoltées avec l’ordinateur, qui va ensuite ajuster les paramètres du moteur. La solution permet au véhicule de réduire à la fois sa consommation d’énergie, ses émissions polluantes ou même ses émissions de particules fines.
Avec la multiplication des zones à faibles émissions (ZFE) – la France devrait en compter 45 d’ici trois ans – SP3H prend une nouvelle dimension. Sa Fluidbox micro est en mesure de prouver, ou non, qu’un véhicule thermique utilise du “biocarburant”. Une ressource d’origine végétale, moins polluante, qui réduirait de 80 à 90% les émissions de CO². Elle permet, par exemple, aux camions estampillés Crit’Air 4 ou 5 de passer directement en Crit’Air 1. De quoi lever un certains nombre de barrières. SP3H veut aujourd’hui mettre son savoir-faire au profit de ces nouvelles générations de carburants.
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La FluidBox micro révèle l’ADN du carburant
La solution FluidBox intéresse tout particulièrement les professionnels de la route. Surtout depuis la récente transposition en droit français de la directive européenne 2019/1161. Ce texte autorise dans notre pays les bus, cars, camions et autre poids lourds à rouler avec 100% de biocarburant, en contrepartie d’avantages. Cet effort des transporteurs leur offre en effet des privilèges fiscaux qui peuvent monter jusqu’à un sur-amortissement de 160% du prix neuf du véhicule.
« Pour bénéficier de ces aides ils doivent prouver à l’Etat que leurs véhicules utilisent exclusivement des biocarburants. Notre capteur peut apporter cette preuve », assure Alain Lunati, fondateur et directeur général de SP3H. Sa solution se présente comme une alternative au retrofit électrique des véhicules. Une manœuvre parfois onéreuse. D’après cet ancien ingénieur, spécialiste de la data science, le coût unitaire du retrofit pour un poids lourds avoisine les 300 000 à 500 000 euros – et 40 000 euros pour une voiture.
Près de 21 millions d’euros investis depuis 2005
Depuis sa création en 2005, SP3H a investi, dans ses six générations de prototypes, près de 21 millions d’euros, dont 12 millions levés auprès d’investisseurs privés, comme le fonds Truffle Capital, et plusieurs business angels. La deeptech aixoise a également bénéficié d’aides publiques, comme le fonds européen « Instrument PME », qui lui a octroyé un financement de 1,2 million d’euros en 2018. Entre 2005 et 2012, SP3H a déposé une armada de 91 brevets, répartis dans une dizaine de pays – Corée, USA, Indonésie, France, Roumanie etc.
SP3H comptera d’ici quelques mois une vingtaine de salariés, et envisage de recruter encore pour atteindre la trentaine de collaborateurs à horizon 2024. La société va également doubler de surface cette année, passant de 160 à 320 m². « Et il reste encore au moins 150 m² à prendre », signale Alain Lunati.
Plus récemment soutenue à hauteur de 634 000 euros par le Plan de relance et l’Ademe, la société est passée l’année dernière à l’échelle industrielle. Son premier chiffre d’affaires dépasse le million d’euros, et pourrait bien tripler en 2023. « On s’attend à multiplier notre CA par trois l’année prochaine, puis l’année suivante encore », nous glissait Alain Lunati en décembre dernier. Des prévisions exponentielles qui commencent à faire du bruit dans le milieu.
SP3H vise les 10 000 boîtiers par an à horizon 2025
L’activité de SP3H s’explique par les ventes, réalisées en 2022 auprès de ses premiers clients, Mercedes-Benz Trucks et Man Truck & Bus France, de près de 500 capteurs. Les boîtiers sont installés sur une flotte de camions qui cumule un total de près de six millions de kilomètres. Cette année, SP3H projette d’écouler encore 2000 à 3000 FluidBox. Un pas de plus vers le pallier symbolique des 5000 capteurs par an que s’est fixée la deeptech dans le cadre du Plan de relance.
Pour atteindre ce rendement, SP3H continue la prospection. « Si les choses se passent bien en terme d’homologation, on pourrait être avec cinq clients d’ici la fin de l’année », indique Alain Lunati. Sa société prépare l’installation d’une deuxième, puis d’une troisième ligne de production. À horizon 2025, l’entrepreneur aimerait produire 10 000 boîtiers, mais reste prudent. « Cela dépend du nombre de contrats signés », sourit-il.
« La voiture thermique n’est pas morte »
SP3H ne se contente plus des poids lourds et des bus. La deeptech s’intéresse désormais aux véhicules thermiques légers. Le parc mondial représente tout simplement 1,4 milliard d’engins, dont 40 millions en France. Un coup de braquet stratégique prévu depuis bien longtemps par Alain Lunati. « Le camion permet de légitimer notre techno, mais au départ on a pensé la solution pour la voiture », confirme l’entrepreneur, qui envisage à terme de fournir également le ferroviaire, le maritime et même l’aérien.
Selon lui, l’électrification du parc automobile « montre déjà ses limites en termes de ressources », et la filière hydrogène serait encore balbutiante. « C’est une forme de gentrification, on ne peut pas exclure 80% des Français ». Alain Lunati présente finalement la technologie SP3H comme une solution de transition entre deux mondes, facile à déployer. L’ex-ingénieur en est convaincu ; « la voiture thermique n’est pas morte ». Mais elle doit se réformer. « En 2050, il restera 700 millions de véhicules thermiques dans le monde, il faut les décarboner en utilisant des carburants propres ».
En Europe, les “biocarburants” pour véhicules légers sont en libre distribution dans plus de 8700 pompes réparties dans 13 pays. La France, en revanche, n’a pas encore sauté le pas, ce qui freine le déploiement local de la solution SP3H.
SP3H veut vivre le rêve américain
Aux USA, le parc automobile particulier, « c’est 280 millions véhicules thermiques », explique le patron de SP3H. Les Etats-Unis, comme tous les autres pays, doivent décarboner leurs modes de transport. D’autant que les usagers sont de plus en plus incités, par la législation locale, à rouler avec des carburants plus « propres ».
Et l’État américain devrait multiplier les appels à projets pour décarboner le secteur transport US. Notamment à travers le plan Biden, doté de 422 milliards d’euros pour le climat et la santé. Alain Lunati voit là une opportunité de marché colossale de trouver de nouveaux clients, et de déployer à grande échelle son capteur. « Notre croissance passera par un développement international », explique l’entrepreneur, qui s’intéresse aussi de près au marché allemand.
Une application mobile en complément
À l’occasion du plus grand salon dédié à la tech et à l’innovation, le CES Las Vegas, SP3H a présenté en janvier l’application « FluidBox My », une version grand public de sa solution. Connectée au téléphone portable, elle permet à chaque conducteur équipé du capteur optique d’obtenir des informations détaillées, via son smartphone, sur les émissions de CO² et sur l’empreinte carbone de sa voiture. L’outil digital envoie également une alerte lorsque le véhicule pénètre une ZFE, et pourrait demain permettre aux conducteurs professionnels de récupérer des crédits carbone.
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