Une baisse continue de la surpêche mais une situation toujours fragile et de fortes disparités selon les zones maritimes et les espèces, notamment en Méditerranée. C’est un tableau très contrasté qu’a présenté l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) dans son bilan annuel de l’état des populations (1) de poissons pêchés en France hexagonale, dévoilé mercredi 26 février.
Le rapport 2024 révèle ainsi que 58% des poissons débarqués en France en 2023 provenaient de populations exploitées durablement, contre 52% en 2022 et seulement 39 % en 2015. Si cette tendance positive témoigne d’une meilleure gestion des ressources marines et d’une prise de conscience accrue des enjeux liés à la surpêche, 19% des débarquements étaient toujours issus de populations de poissons surexploitées, ainsi que 2% de populations dites « effondrées », comme le merlu de Méditerranée ou la sole de Manche Est. Enfin, 21 % des volumes de poissons débarqués concernaient des stocks non évalués, faute de données suffisantes.
Une situation qui reste malgré tout fragile, a souligné Clara Ulrich, coordinatrice des expertises halieutiques à l’Ifremer, lors d’une conférence de presse. « La part des populations non surpêchées a légèrement progressé en 2023 mais si l’on regarde la tendance sur les cinq dernières années, on observe des fluctuations mineures plutôt qu’une réelle amélioration comme cela avait été le cas entre 2008 et 2016 », constate la scientifique.
Pêche : un tiers des poissons sont issus de populations qui peinent à se renouveler
Surtout, malgré la forte baisse (-19%) des débarquements de poissons en France, passés de 400 000 tonnes en moyenne en 2010-2018 à 323 000 tonnes en 2023 (346 000 tonnes en 2022), on peine encore à voir se matérialiser les bénéfices d’une gestion un peu plus durable de la ressource. En cause, selon l’Ifremer, une baisse de plus en plus marquée du renouvellement des générations. Autrement appelé « recrutement », ce phénomène désigne la capacité des jeunes poissons à survivre et atteindre l’âge adulte et constitue à terme, si la tendance persiste, un risque de déclin de l’abondance de certaines populations.
« Aujourd’hui, près de 31 % des volumes de poissons débarqués proviennent de populations dont le recrutement est en baisse et seulement 20 % proviennent de populations dont le recrutement est en hausse. Quant aux 49 % restants, nous manquons de données pour prévoir leur renouvellement », alerte de son côté Youen Vermard, chercheur en halieutique à l’Ifremer et membre du comité d’avis du Conseil International pour l’Exploration de la Mer (CIEM).
Ces difficultés de recrutement ne sont pas uniquement la conséquence de la pêche. Parmi les facteurs pouvant expliquer ce moindre renouvellement des populations de poissons, les scientifiques de l’Ifremer citent la pollution, la dégradation des habitats marins, le réchauffement de l’océan et des mers, les changements de courants ou encore la destruction de zones côtières riches en nutriment. Autant de phénomènes liés à celui plus général d’un « déclin de la biodiversité » à terre comme en mer.
Même des populations en bon état, comme le merlu de l’Atlantique ou le hareng, peinent à assurer un renouvellement suffisant de leurs effectifs, souligne l’Ifremer. C’est pourquoi, « même quand une population de poissons va bien, on peut avoir des quotas (de pêche) à la baisse parce qu’on projette un moindre nombre de poissons » à l’avenir, explique Youen Vermard.
18 000 tonnes pêchées en Méditerranée, qui reste « un cas particulier », en souffrance
Et la Méditerranée, dans tout ça ? En un mot comme en mille, l’Ifremer peine à y voir clair. « La Méditerranée, c’est un cas particulier, c’est la région maritime où l’on a le plus d’espèces débarquées mais avec les plus petites quantités, explique Clara Ulrich. On a plus de mal à suivre ces dizaines et dizaines de petites populations éparpillées dans une multitude de pêcheries que quelques grandes populations dominantes comme on a dans les eaux de l’Atlantique… »
Globalement, on sait malgré tout que le volume total des débarquements en Méditerranée est resté stable à 18 000 tonnes en 2023, comme l’année précédente. Si une part très faible des débarquements est issue de populations en bon état (toujours inférieure à 1%), environ 40% sont issus de populations « reconstituables », comme le thon rouge. En revanche, près de 50 % du volume des espèces débarquées sont toujours issus de populations « non évaluées ». Et parmi elles, pas des moindres comme le poulpe, le maquereau ou la daurade royale, qui requièrent de la part des scientifiques de développer de nouvelles approches pour permettre d’autres formes de suivi (lire ci-dessous).
L’écoute sous-marine, une nouvelle façon d’évaluer l’état de la population de daurades royales en Méditerranée
L’état de certaines populations reste aujourd’hui difficile à évaluer avec les méthodes classiques. C’est le cas par exemple de la daurade royale, une population classée « non évaluée » alors qu’elle est pourtant la troisième espèce la plus pêchée en Méditerranée (5% des débarquements en 2023) : comme les daurades vivent près des côtes, leur population ne peut pas être estimée lors des campagnes scientifiques habituelles.
Pour contourner ces difficultés, des scientifiques de l’Ifremer et de l’unité Marbec ont eu recours à la technologie de télémétrie acoustique, dans le cadre du projet Connect-Med. Grâce à des balises acoustiques implantées sur des daurades et à des hydrophones placés dans les lagunes et la mer, ils ont réussi à retracer leurs déplacements et décrypter certains aspects clés de leur cycle de vie. Premier résultat : quels que soient les sites où elles se nourrissent, les daurades fréquentent la même zone pour se reproduire année après année. Mais cette fidélité à leurs sites d’alimentation et de reproduction les expose aux pressions sur ces zones, comme les activités de pêche ou le changement climatique.
Cette étude montre que la télémétrie acoustique peut être une alternative aux méthodes d’évaluation traditionnelles pour apporter des solutions de gestion adaptée de ces espèces. Après la daurade royale, c’est le loup (bar commun) qui devrait prochainement être ainsi suivi.
> Pour en savoir plus
« En Méditerranée, il y a une grosse part qui est liée au thon rouge, une espèce qui est bien suivie, bien connue. Et puis des populations plus traditionnelles comme le rouget de vase qui sont des espèces emblématiques de la pêche chalutière méditerranéenne, qui sont en état encore très dégradées, qui remontent mais très lentement, malgré le plan de gestion qui est en place depuis des années, souligne Clara Ulrich. Les espèces qui sont suivies, à part le thon rouge, on sait qu’elles ne vont pas très bien. Difficile, du coup, de dire que celles qu’on ne suit pas vont bien, même si on n’a pas de données là-dessus… »
L’état des populations en Méditerranée
On peut citer, parmi les espèces dont les stocks en Méditerranée sont :
– en bon état : la crevette rose du large (<1% du volume total débarqué dans la région) ;
– reconstituables / en reconstitution : le thon rouge de l’Atlantique – Méditerranée (33%), le rouget de vase du Golfe du Lion (1%), la sardine du golfe du Lion (<1%), l’espadon (< 1%) ;
– surpêchés et dégradés : la baudroie (3%), le germon (<0.5%) ;
– effondrés : l’anchois du Golfe du Lion (5%), le merlu du Golfe du Lion (4%) et l’anguille (2%).
Parmi les espèces non évaluées, on trouve : le poulpe (6%), le maquereau (3%), la dorade royale (5%), ainsi que de nombreuses espèces de débarquements faibles.
L’exemple du merlu est, à ce titre, symptômatique des enjeux méditerranéens. En regain, par exemple, dans le golfe du Gascogne, en mer Celtique ou en mer du Nord, cette espèce emblématique de nos côtes est au contraire classée depuis des années, ici, dans la catégories des populations « effondrées ».
Menacée d’extinction, même, comme certains le prétendent ? « On ne peut pas répondre de manière tranchée à cette question, estime Clara Ulrich. Ce que l’on sait en revanche, c’est que la Méditerranée est une zone assez pauvre en éléments nutritifs, une zone qui se réchauffe plus vite qu’ailleurs, une zone qui est soumise à beaucoup de pression climatique et de pollution. Et que, malgré tout, cette espèce en “souffrance environnementale” nous étonne par sa résistance alors qu’elle est en catégorie noire depuis des années. C’est aussi l’espèce emblématique du plan de gestion en Méditerranée avec une vraie mobilisation de l’Europe, des pouvoirs publics en France, en Espagne, en Italie, pour faire remonter sa présence. Il y a encore beaucoup de travail, il y a surtout besoin de maintenir cette pression politique et l’adhésion des professionnels pour accepter, comme sur d’autres espèces, les régulations et la réduction de la pression de pêche. »
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(1) Une population de poissons correspond à une espèce et un lieu donnés. A titre d’exemple, le merlu de Méditerranée et le merlu de Gascogne seront donc considérés comme deux populations différentes. Pour son étude, l’Ifremer a suivi et évalué 169 populations présentes en Méditerranée, Atlantique, Manche, mer du Nord et mer Celtique, dont 134 ont fait l’objet d’une classification indiquant la pression de pêche sur chacune.