L’oubli que nous serons, est une adaptation d’un Best-seller écrit par Héctor Abad Faciolince, le propre fils du docteur Héctor Abad Gómez. Pouvez-vous nous en dire plus ?
F.T : Je n’aime pas le mot best-seller, au départ c’est plutôt un livre. Quand Héctor a écrit ce livre, il pensait que c’était une histoire intime, tellement personnelle qu’elle intéresserait peu de gens. Donc, la première publication du livre a été faite dans une petite maison d’édition en Colombie. Puis c’est devenu un classique qui a été traduit partout dans le monde. Aujourd’hui on peut dire que c’est un best-seller. Mais à l’origine il a été écrit avec le coeur et beaucoup de douleur. Peut-être que cette sincérité de base les lecteurs l’ont ressentie et appréciée, ce qui a fait de ce livre un énorme succès.
Le film porte sur l’engagement sans faille du Dr Adad qui lutte contre la pauvreté, mais c’est surtout le témoignage d’une famille heureuse qui baigne dans l’amour et le bonheur. C’est un regard sur la famille qui va un peu à contre-courant du cinéma d’aujourd’hui dans lequel on exprime plutôt les fractures, voire les violences familiales. Qu’en pensez-vous ?
F.T : Je ne sais pas, je ne réfléchis pas beaucoup à cela. Mais c’est vrai qu’on est entré à nouveau dans une époque enfantine du cinéma où il y a des super-héros. Et là c’est un film humaniste qui parle des gens en chair et en os, d’une famille à risque qui est frappée par la violence et la mort à deux reprises. C’est un film sur le bonheur mais aussi sur la douleur de perdre ce qu’on a. Dans ce sens ce n’est pas la musique qu’on joue aujourd’hui, mais je suis content de ne pas être dans le courant.
Vous avez dit que vous ne vouliez pas faire de cette histoire un film politique, pour quelles raisons ?
F.T : Il y a des maîtres du film politique comme Ken Loach, Costa-Gavras ou Francesco Rossi, moi ce n’est pas mon genre. Mais je savais que même si le film avait un aspect historique et social, plus il serait sur la famille et sur l’amour, plus l’autre aspect serait effectif.
Pourtant les idées politiques transparaissent tout au long du film.
F.T : Oui, mais des idées politiques qui sont des idées de médecin. Des idées très fortes tangibles, concrètes. Les idées politiques c’est quelqu’un qui dénonce des injustices ou qui promet un monde meilleur. Le Docteur Abad parle de santé publique, de vaccin, d’eau potable pour tout le monde, de la prévention des maladies, il a un programme de médecin, un programme humaniste. Ce n’est pas quelqu’un qui dit : « votez pour moi, je vais faire un pays meilleur ! »
D’ailleurs vous montrez très peu les adversaires du Dr Abad, sauf les tueurs que l’on aperçoit à la fin du film.
F.T : Ce ne sont même pas des adversaires. Ce sont des victimes aussi d’une certaine façon. Non, les adversaires je n’aime pas les montrer, je ne le fais presque jamais dans aucun de mes films. Une de mes limites en tant que metteur en scène, c’est que j’aime tourner que sur les gens que j’aime. Si on me proposait un biopic sur Hitler je ne pourrais pas le faire ! Ce n’est pas possible de passer deux ans de ma vie avec un personnage comme cela.
Le film a été produit par la Colombie, avez-vous eu carte blanche ?
F.T : Absolument, ils ont été les producteurs idéaux. Nous on aurait aimé co-produire une petite partie. Dans un autre film, je crois qu’ils auraient dit oui, mais pour celui-là c’était important qu’il soit colombien, symboliquement. Alors pourquoi moi me direz-vous ? Je crois qu’ils voulaient échapper à la localisation, éviter peut-être un regard trop complaisant, donner une vision extérieure pour qu’il soit vu par le plus grand nombre.
C’est la seconde fois que vous travaillez avec Javier Cámara, avez-vous pensé à lui dès le départ ?
F.T : J’ai pensé à lui, mais j’ai d’abord cherché des acteurs colombiens aussi. Puis je me suis rendu compte qu’il serait idéal pour le rôle et qu’il réussirait à prendre l’accent et je crois que j’avais raison. J’ai eu la chance d’avoir des enregistrements d’Héctor Abad dans lesquels il parlait à la radio, des lettres enregistrées à la famille. Javier a eu à sa disposition tous les documents sonores et il a pu s’approprier l’accent du personnage à sa façon.
Les autres interprètes comme Juan Pablo Urrego, Patricia Tamayo sont des acteurs, actrices professionnels, tous colombiens, mais comment avez vous repéré Nicolas Reyes qui joue le rôle du fils du Dr Abad, enfant ?
F.T : Héctor m’a dit j’aimerais que tu vois un garçon qui est un camarade du petit garçon de ma compagne. Quand Nicolas est venu au casting, on avait déjà vu beaucoup d’enfants, et j’ai dit au directeur de casting, « c’est lui » ! Il avait une intelligence incroyable, c’est un surdoué ce gamin !
Pouvez-vous nous parler de la situation du cinéma en Espagne où les salles sont restées ouvertes pendant la pandémie ?
F.T : Oui, mais la moitié sont restées fermées ! Cela va se récupérer, mais il n’y a pas cet amour du cinéma incroyable que vous avez en France. Il y a des cinéphiles, partout en Espagne bien sûr, mais dès que le beau temps arrivent les gens vont sur les terrasses, à la mer ou à la montagne.
Pour conclure, comment avez-vous appris le français que vous parlez parfaitement ?
F.T : Quand j’étais jeune il y avait beaucoup de choses interdites sous l’ Espagne de Franco, mais il y avait un peu de cinéma, américain et français. Un film a été crucial dans ma vie, c’est L’enfant sauvage de François Truffaut. J’avais quinze ans et je me suis dit, « c’est cela que je veux faire! » Mais c’est aussi grâce mon maître Georges Brassens et à mon premier amour qui était une française…
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