Marseille ne compte encore que 80 kilomètres de pistes cyclables, selon le collectif Vélos en Ville, à trois ans de son objectif de 250 kilomètres annoncé en 2019. Un plan vélo peu ambitieux qui accentue le retard de la ville et révèle l’inertie de la politique métropolitaine.
Les 3 ans du plan vélo au national
« Ce quinquennat aura été celui d’une naissance de la nation vélo » affirme d’emblée Barbara Pompili, ministre de l’Écologie, lors d’une conférence de presse le 14 septembre à l’occasion des trois ans du plan vélo. Le gouvernement déclare « une progression des déplacements en vélo de 30% dans les villes et de 15% dans les zones rurales depuis 2019 » soutenue par une augmentation du linéaire de pistes cyclables et de voies vertes de 30%. Pour la ministre, ces évolutions sont « liées à un niveau d’investissement inédit de 600 millions d’euros du gouvernement » qui débloquera 250 millions supplémentaires par le biais du plan France Relance, du fonds Mobilités actives et des certificats d’économie d’énergie (CEE).
Ces programmes d’aides de l’État incitent les élus locaux à ne plus mettre la question du vélo sous le tapis. « Les villes n’ont plus d’alibi avec les programmes CEE, les fonds vélos…» déclare Olivier Schneider, le président de la fédération des usagers à bicyclettes (Fub). Le militant en profite pour annoncer le lancement du troisième baromètre des villes cyclables de la Fub, publié tous les deux ans. Cet « objet militant et citoyen » selon son responsable Thibault Quéré « doit permettre à l’ensemble des citoyens d’avertir sur les priorités » d’infrastructures, de stationnements ou d’usages du vélo. Jusqu’au 30 novembre 2021, chaque internaute peut y contribuer et proposer trois idées d’améliorations à la ville.
Lancement du baromètre des villes cyclables 2021. @barbarapompili « savoure le plaisir de parler de vélo ».
— Olivier Razemon (@OlivierRazemon) September 14, 2021
Et @oschneider_fub archive. pic.twitter.com/QvauxGrbUA
Si les ventes de vélos ont quadruplé depuis 2016 selon Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué aux Transports, et que la crise sanitaire accélère le mouvement, « un travail doit être mené sur la filière vélo au sens large » assure Olivier Schneider « pour les réparations, la fabrication, les touristes… ». Or, la France souffre d’un manque de souveraineté économique vis à vis de la Chine qui est le principal exportateur de batteries nécessaires à la fabrication des vélos électriques.
Alors que le gouvernement montre ces chiffres en étendard, les résultats sont très disparates entre les villes. Le baromètre de la Fub, l’illustrait bien en 2019 avec 185 000 citoyens interrogés sur cinq critères : la sécurité, le confort, les efforts de la ville, les services de stationnement et l’évolution des voies cyclables. Et Marseille, dernière ville cyclable, accusait la note de 1,9 sur 6 contre 4,2 sur 6 pour Strasbourg.
Le manque d’ambition du plan vélo à Marseille
Le gouvernement s'est fixé l'objectif d'atteindre 9% des déplacements en vélo en France d'ici 2024, année repère des Jeux Olympiques. A Marseille, le plan vélo, voté par la Métropole Aix-Marseille-Provence en 2019, prévoit « d’augmenter la part modale de 2% à 5% » pour un budget de 60 millions d'euros étalé sur 10 ans, soit 6 millions d'euros par an.
Les premiers bâtons dans les roues du vélo marseillais sont les chiffres. « Ni la ville ni la Métropole ne les ont » s'indigne Cyril Pimentel, membre actif du collectif Vélos en Ville. « Les plans de développement urbain (PDU) ont tendance à minimiser la part modale de vélo ou d’augmenter les kilomètres de pistes cyclables » évoque le militant. Selon lui, certains rapports admettent que Marseille dispose de 200km de pistes cyclables pour atteindre plus facilement les 280 km. Alors que la logique est inverse. « Nous avons 80 km de pistes cyclables et il faut en construire 200 km pour atteindre ces 5% de part modale » explique-t-il.
Cette promesse est loin d’être réaliste pour le membre de l'association de vélo. D’une part, les objectifs sont « ridicules ». Pour atteindre les 9% de déplacements en vélo au niveau national, « il faut qu’une ville comme Marseille vise les 15% de part modale ». D’autre part, les aménagements prévus pour développer le vélo « ne sont pas à la hauteur de ces 5% » raconte Cyril Pimentel et « aucun aménagement n’a encore commencé à trois ans de 2024 ! ». « Les seuls travaux menés ont été votés il y a 10 ans comme ceux du cours Lieutaud » dans le 6e arrondissement.
Pourtant, Marseille enregistre une hausse constante du nombre de cyclistes urbains. « 10% par an entre 2007 et 2017 et 30% entre juin 2019 et juin 2020 » selon Vélos en Ville. Même si les élus du Printemps Marseillais tentent de changer la donne, ils sont pour l'instant cantonnés à quelques mesures, comme La Voie est libre (dimanche sans voiture sur la Corniche un dimanche par mois) et la mise en circulation des vélos électriques Lime. Car c'est la Métropole, présidée par la Martine Vassal (LR) qui détient la compétence de la voirie. La ville est très loin d’être praticable pour la petite reine.
Des pistes dangereuses et discontinues
A l’heure où Strasbourg (8e ville de France) compte plus de 600 km de voies vertes, Marseille (2e ville de France) en compte 7,5 fois moins. Ces chiffres peuvent expliquer le sentiment d’insécurité des usagers interrogés qui partagent davantage leurs voies avec les véhicules motorisés. Pour cause, la majorité des espaces cyclables à Marseille sont des bandes cyclables, délimitées par une bande de peinture au sol. Or, une piste cyclable sécurisée est une voie exclusivement réservée aux cyclistes, séparée par un terre-plein et signalée aux usagers. La piste cyclable du Prado, bien qu'elle soit identifiée par les cyclistes, est très difficilement visible : le marquage au sol est usé, presque effacé et aucun panneau ne la signale. « Les vélos sont en conflit systématique avec les piétons qui ignorent l’existence de la piste » explique Florian, un habitant du 8e arrondissement.
Adrien, qui se déplace tous les jours de la Corniche à la Préfecture, soulève également la discontinuité des voies cyclables. « De chez moi au travail, il y a 3 km. Mais seulement 1 km soit être sécurisé...» estime-t-il. La comparaison de ces cartes avec Nantes et Strasbourg démontre cette segmentation.
Les grandes fractures territoriales
Le centre-ville est l’un des plus pauvres de France en pistes cyclables. A défaut de construire des pistes, la Métropole a mis à disposition 1 000 vélos mécaniques sur 130 stations (Le Velo opéré par JC Decaux) qui enregistrent 3 000 utilisations quotidiennes et 14 000 abonnés mensuels. L'institution métropolitaine compte développer ce service, et annonce déployer 2 000 vélos électriques sur 200 stations d’ici 2023, soit 70 stations supplémentaires. L’objectif est également d’équiper des quartiers excentrés tels que Luminy (9e) et l'Estaque (16e) car les stations se concentrent dans le centre-ville.
Les quartiers Sud bénéficient de 45 km cyclables sur 80 km au total alors que les quartiers Nord, enclavés par le manque de transports en commun, ne comptent que 19 km de ces voies. Les mairies de secteurs n’y sont pas pour rien. Cyril Pimentel, qui nous refait l'historique, raconte que sous Jean-Claude Gaudin, 25 ans au pouvoir, la compétence des mobilités était accordée aux maires de secteurs alors que cette compétence était déjà légalement métropolitaine. Chaque maire de secteur pouvait alors décider de son côté et privilégier les volontés de ses clients avant celles des habitants.
Alors que « quelques mairies pro vélo font avancer les choses » depuis le changement de municipalité, le Collectif Vélos en Ville vient de porter plainte pour clientélisme contre l'ancienne maire des 4e et 5e arrondissement de Marseille, Marine Pustorino. « Une piste cyclable, qui devait voir le jour à la Blancarde a brusquement été arrêtée pour les deux places de parking du boucher ! » se désole Cyril Pimentel.
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