Isabelle Régner, vice-présidente à l’égalité femmes-hommes et à la lutte contre les discriminations d’Aix-Marseille Université, détaille le contenu du plan d’égalité professionnelle femmes-hommes qui était en cours de finalisation (entretien réalisé le 15 avril dernier). Elle explique aussi sa méthode pour lutter contre les stéréotypes de genre.
Quelles sont vos priorités aujourd’hui ?
Isabelle Régner : Nos priorités sont de réaliser le plan d’égalité professionnelle, que toutes les universités doivent finaliser avant mai 2021. Le nôtre est quasiment finalisé, nous sommes encore en train de travailler dessus avec les organisations syndicales. Ce plan comporte quatre axes : le premier axe est le diagnostic des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. Le deuxième consiste à lutter contre les stéréotypes de genre. Le troisième, à favoriser équilibre entre vie personnelle familiale et vie professionnelle. Enfin, le quatrième axe est consacré à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Quel dispositif prévoyez-vous pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles ?
I. R. : AMU est déjà très en avance sur la lutte contre harcèlement sexuel. Elle s’est dotée depuis 2016 d’un dispositif que les étudiants et personnels peuvent saisir par mail ou pat téléphone. En l’état actuel, ce dispositif permet de signaler quand on se sent victime, mais également quand on pense être témoin de ces violences. Une référente en charge de la saisine va alors pouvoir mettre la personne concernée en relation avec des médecins, des psychologues, par exemple. Elle va aussi pouvoir qualifier les faits et proposer un rapport juridique pour savoir quelle suite donner à la situation, faire en sorte qu’elle cesse, voire proposer éventuellement une enquête administrative. Il revient ensuite à la gouvernance de mener l’enquête et de mettre en place une commission disciplinaire si cela s’y prête.
« Vers la création d’une structure indépendante et autonome »
Isabelle Régner
Cependant, nous constatons que ce dispositif ne fonctionne pas aussi bien : en effet, il occasionne 25 saisines en moyenne par an, ce que l’on sait être insuffisant compte tenu des problématiques rencontrées au sein d’AMU, comme dans d’autres universités. C’est pourquoi nous sommes en train de réfléchir à la création d’une autre structure, indépendante et autonome, composée de personnes à temps plein qui pourront prendre pleinement en charge la lutte contre les violences sexuelles, mais aussi le harcèlement moral et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Un groupe de travail est actuellement en cours pour réfléchir à ce projet, groupe qui associe des spécialistes, des personnels d’AMU et des organisations syndicales. Par ailleurs, nous prenons des conseils auprès d’autres universités, notamment l’université de Montréal qui a mis en place depuis quelques temps déjà un bureau d’intervention qui fonctionne bien. Nous allons essayer de proposer quelque chose de comparable.
Il est important qu’AMU dispose d’un dispositif interne qui fonctionne bien en interne. Ce qui n’empêche pas, en plus de maintenir et de développer les partenariats avec des structures externes telles que l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (AP-HM), la Maison des Femmes, ou encore la Maison de lutte contre les discriminations.
Vous prévoyez également un dispositif pour lutter contre les stéréotypes au sein des comités de sélection des enseignants chercheurs. En quoi cela consiste ?
Isabelle Régner : Ce dispositif d’action et de sensibilisation fonctionne avec deux outils. Le premier est un test d’associations implicites. Il s’agit d’un outil pédagogique qui permet aux individus de prendre conscience de l’ancrage des stéréotypes de genre. Ce test a une longue histoire et permet de comprendre comment les stéréotypes ont été mémorisés de façon forte dans notre mémoire, alors même que l’on est parfois en désaccord avec ces stéréotypes.
« Repérer les biais de genre et les éviter »
Isabelle Régner
La deuxième étape de ce dispositif consiste à proposer aux évaluateurs, en début de chaque réunion des comités, de visionner des vidéos qui expliquent comment les stéréotypes de genre sont susceptibles d’influer leur perceptions des candidatures et des performances des candidats lors des auditions. Ces vidéos s’appuient sur des résultats d’études scientifiques reconnues. Elles permettent de comprendre par exemple comment on peut être amené à valoriser le CV d’un homme plutôt que celui d’une femme alors qu’ils ont le même CV, ou encore comment les lettres de recommandations peuvent être biaisées. Le choix des mots est différent pour décrire les qualités d’un homme ou d’une femme. Par exemple, pour un homme, seront davantage mis en avant son autonomie, sa compétence et son originalité. À même niveau, on mettra plutôt en avant pour une femme son sérieux, son travail.
L’idée de notre action, basée sur ces deux éléments – les tests et les vidéos – est de permettre aux évaluateurs de repérer ces biais de genre pendant leurs discussions entre eux et d’éviter qu’ils n’interfèrent dans leur jugement. En effet, les études montrent que, lorsque les évaluateurs sont formée à ces questions, ils sont plus à même de les repérer et ainsi de les éviter.
L’appui des études scientifiques
La vice-présidente énumère les chercheurs qui l’ont inspirée pour monter le plan d’égalité professionnelle femmes-hommes de l’université. Parmi les références scientifiques d’Isabelle Régner, le professeur de l’université américaine de Stanford Claude Steele tient une place à part.
L’étude qu’il a menée en 1995, a mis en avant « l’effet menace » que jouent les stéréotypes sur l’origine raciale. Ainsi, les étudiants afro-américains
vont moins bien réussir un examen complexe pour la simple raison que celui-ci leur a été présenté comme un test d’intelligence très complexe. En revanche, si le même test est présenté comme une épreuve de résolution de problèmes (le mot intelligence n’est pas prononcé), les étudiants afro-américains obtiendront de meilleurs résultats. Dans le premier cas, les stéréotypes raciaux, nichés au plus profond de la mémoire, refont ainsi surface pour déstabiliser ces étudiants à leur insu. À l’inverse, le fait de banaliser l’exercice, en ne prononçant pas le mot intelligence, permet de mettre en confiance les candidats et donc de ne pas laisser les stéréotypes envahir leur esprit.
Un raisonnement qui fonctionne aussi avec d’autres types de stéréotypes, comme ceux liés au genre, à l’origine sociale ou à l’âge. Sensibiliser plutôt que sanctionner, tel semble être le mot d’ordre de la nouvelle vice-présidence qui souhaite étendre son action en faveur de l’égalité femmes-hommes au-delà les murs de l’Université et a déjà développé des partenariats avec des associations externes, des entreprises et les rectorats.
Notre dossier :
Egalité femmes – hommes, lutte contre les discriminations : AMU ne se tait pas (1/3)
Document source : notre cahier spécial consacré à l’égalité femmes hommes et à la lutte contre les discriminations à AMU
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