Loïc Fauchon est aujourd’hui à la tête du Conseil mondial de l’eau. Cette structure internationale, basée à Marseille, a pour mission de « mobiliser l’action sur les problèmes critiques de l’eau à tous les niveaux ». L’ex-président de la Safim revient sur une année 2022 marquée par de nombreux épisodes de sécheresse en Provence, et présente les nouveaux enjeux liés à la préservation de l’or bleu. Le climat n’est pas le seul paramètre à prendre en compte.
S’il félicite la Région Sud pour sa volonté d’expérimenter le recyclage des eaux usées, une « solution d’avenir pour les grandes villes », Loïc Fauchon invite tous les pouvoirs publics à multiplier les moyens d’optimiser notre gestion de la ressource en eau. « Ne mettons pas tous nos œufs dans le même panier », préconise-t-il. Le dessalement de l’eau de mer est aussi une technologie intéressante, mais la France est à la traîne. Entretien.
Quels sont les principaux enjeux de votre nouveau mandat en tant que président du Conseil mondial de l’eau ?
Loïc Fauchon : L’année 2022 a été marquée par une accélération de la prise de conscience sur les problèmes de l’eau à travers le monde. Il faut retenir trois aspects importants pour comprendre la situation actuelle. Il y a des territoires avec trop d’eau, où on doit gérer ces excès d’eau, et puis il y a une autre partie du monde qui souffre du manque d’eau. C’est la sécheresse, avec ses effets, notamment sur la production d’alimentation.
Et puis il y a, dans le développement des grandes villes du monde, un défi lié aux pollutions à la fois de l’air, des sols et de l’eau. C’est très préoccupant parce qu’on voit pousser des méga-cités de plus de vingt millions, trente millions d’habitants… Ces pollutions provoquent des maladies, des insuffisances respiratoires. Combinées, elles sont de loin la première cause de mortalité dans le monde.
Selon une étude britannique menée par la revue The Lancet, c’est six à neuf millions de morts par an. Alors imaginez quand cette problématique est associée à un phénomène de sécheresse.
Tout le monde parle du climat. Aujourd’hui c’est la croissance démographique (…) qui pose problème.
Loïc Fauchon
Quelles sont les causes de ces maux ?
L.F : Tout le monde parle du climat. Il faut parler du climat. Mais aujourd’hui, dans le monde, les responsables de l’eau, ceux que j’appellerais les opérateurs de l’eau, ont à traiter, non pas le climat, mais la démographie. Car aujourd’hui c’est la croissance démographique, dont la croissance urbaine, qui pose problème. Et qui va continuer de manière plus aigüe dans certaines régions du monde.
Je pense notamment à l’Afrique où les démographes nous annoncent quatre milliards de personnes à la fin du siècle, contre un peu plus d’un milliard aujourd’hui. La question est la suivante : comment va-t-on abreuver ces populations, les nourrir ? Aura-t-on assez d’eau pour produire l’alimentation de cette croissance ? Donc j’insiste beaucoup dans toutes les enceintes internationales sur le fait qu’il ne faut pas se contenter de dire « le climat, le climat. »
Les évolutions du climat on ne les comprend pas très bien, ça divague. On ne mesure pas encore l’ampleur en termes de ressources en eau. Mais ce que nous traitons aujourd’hui, c’est l’évolution démographique, c’est la croissance de la population mondiale, c’est l’urbanisation, c’est la littoralisation. Car l’humain se concentre notamment au bord des mers, et des grandes rivières.
Les pays riches se trouvent face à une crise qu’ils n’ont pas voulu entendre.
Loïc Fauchon
Tout cela nous amène à tirer la sonnette d’alarme, notamment auprès des responsables politiques, et à dire : attention, on fait déjà face à des difficultés sur l’eau, et on va en avoir encore plus. L’année 2022 a été particulière, parce qu’il y a eu des sécheresses importantes dans les pays dits occidentaux. Tout d’un coup, les pays riches se trouvent face à une crise qu’ils n’ont pas voulu entendre. Dans beaucoup de pays, on n’a pas fait de l’eau une priorité.
Qu’ils soient internationaux, nationaux ou locaux, notre message aux responsables politiques, aux élus, c’est : « stop ignoring water (cessez d’ignorer l’eau) ». Nous avons les solutions techniques, digitales, technologiques. Mais nous avons besoin d’une volonté politique. Ce qui nous amène à notre deuxième slogan : « water is politic ». L’eau est aujourd’hui un sujet politique. Et les politiques de l’eau sont des politiques publiques.
Justement, la Région Sud veut tester la réutilisation des eaux usées « pour lutter contre la sécheresse », est-ce une bonne solution ?
L.F : La région Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans sa grande majorité, n’a pas de problème de ressource en eau. Du fait des travaux réalisés par nos anciens, à travers notamment la construction de barrages hydroélectriques. Et du fait qu’on dispose de trois adductions principales qui sont la Durance, le Verdon, et le Rhône. Les deux premières nous permettent, notamment pour les Bouches-du-Rhône et le Var, de disposer d’une eaux d’une excellente qualité, dans des quantités bien supérieures aux besoins de ces départements. Sur le Rhône, il y a tout de même un problème de pollution (…) qui est peu à peu réglé.
Globalement, la situation est bonne. Après, sur un plan plus général, il ne faut mettre tous ses œufs dans le même panier. J’ai eu l’occasion d’en parler avec Renaud Muselier. En matière de ressource en eau, on a beaucoup de possibilités. On a l’eau qui vient des montagnes, on a l’eau sous-terraine, on a l’eau qu’on peut dessaler, on a l’eau qu’on peut transférer, et puis on a le recyclage des eaux usées.
Le recyclage des eaux usées (…) c’est la grande évolution de ce siècle.
Loïc Fauchon
Le dessalement n’a pas trouvé preneur en France, parce qu’on a considéré qu’on en n’avait pas besoin et qu’il était coûteux. Il l’est beaucoup moins. Mais en Espagne, à Barcelone, on est pratiquement à la moitié d’eau dessalée, et mélangée à l’eau des montagnes.
Depuis une vingtaine d’années, le recyclage des eaux usées a fait beaucoup de progrès sur le plan technologique. Aujourd’hui, vous pouvez boire l’eau à la sortie de la plupart des stations d’épuration de notre territoire sans craindre de tomber malade. L’État français prétend, après beaucoup de retard, s’y intéresser depuis un mois. On n’en a pas besoin pour l’instant, mais je pense que c’est une décision sage de la part de la Région Sud.
Le recyclage des eaux usées, c’est pas la révolution, mais c’est la grande évolution de ce siècle. Partout où vous avez une station, vous allez pouvoir réutiliser l’eau. Dans un premier temps pour des activités secondaires. Mais il est important de faire évoluer la législation, et ce dans beaucoup de pays. Aujourd’hui, en France, vous ne pouvez pas mettre dans le réseau d’eau potable de l’eau qui vient du recyclage. Ces choses là vont changer avec le temps.
Le recyclage des eaux usées permettra d’alimenter (…) les grandes villes de demain.
Loïc Fauchon
Le recyclage des eaux usées permettra d’alimenter en partie significative, peut-être même en majorité, les grandes villes de demain. Ce sont elle les premières qui ont mis en place des grandes stations d’épuration. Jouons sur la diversité des ressources en eau pour ne pas se retrouver coincés en cas d’embarras. Il faut souhaiter que l’Europe facilite la recherche, et la mise en œuvre des solutions de recyclage des eaux usées. De manière générale, nous recommandons d’additionner les solutions.
Notre territoire bénéficie d’un matelas confortable sur la ressource en eau. Étant donné la multiplication des épisodes de sécheresse, doit-on craindre dans les prochaines années un changement de paradigme ? Une « guerre de l’eau » ?
L.P : D’abord, il n’y aura pas de guerre de l’eau. C’est un fantasme. Toutefois, il faut prévoir. On ne sait pas quel sera le régime des pluies dans dix ans. On est sur un cycle court, mais on a une dégradation très importante de la situation comme l’explique très bien le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr). C’est en ce sens que l’initiative de la Région Sud est louable. Il faut sans cesse prévoir une éventuelle aggravation de la situation.
Il n’y aura pas de guerre de l’eau. C’est un fantasme.
Loïc Fauchon
Aujourd’hui, 95% de l’eau douce est souterraine. Nous avons des progrès gigantesques à faire sur ce point, pour mieux stocker l’eau en souterrain, et pas en surface. Aujourd’hui, on ne peut pas dire qu’il ne faut pas de réserves d’eau. Il en faut, et c’est une évidence. Au cours du siècle, elles deviendront essentiellement souterraines. Mais là on ne parle que de l’offre en eau.
Tout le monde consomme trop d’eau.
Loïc Fauchon
Il y a aussi une problématique sur la demande. Et là aussi, nous avons des progrès considérables à faire. Tout le monde consomme trop d’eau : le particulier pour l’usage domestique, l’urbain, l’agriculteur (…) et l’industriel, même s’il a fait beaucoup de progrès depuis des années. L’agriculture en France a besoin de progresser sur les types de cultures, mais aussi sur la manière d’apporter l’eau. Mais je ne suis pas pour qu’on pointe du doigt telle ou telle pratique. Il faut conscientiser. La crise de l’énergie va continuer. Il faut chercher notre indépendance aussi dans le domaine de l’eau.
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